• Elle criait sur le terrain d'équitation. Quatre nouveaux tentaient tant bien que mal de se faire obéir de leur monture et Boue commençait à désespérer de leur apprendre quoi que ce soit. Elle n'avait pas demandé à être leur professeur, mais comme elle s'ennuyait et que l'ennui la mettait de mauvaise humeur le chef avait jugé prudent de l'occuper. Mais devoir s'occuper de gamins qui se prenaient pour des durs mettait Boue dans un état d'énervement que le chef commençait à regretter.

     

    -Mais enfin assis toi correctement !

     

    Boue s'était rapproché de l'un des cavaliers à l'expression terrifiée: un garçon roux bien trop jeune pour être dans l'armée.

     

    -Il ne veut pas...

     

    Elle le sentait sur le point de fondre en larme : de tout le groupe c'était le seul à ne pas avoir choisi d'être là. Son père l'avait vendu à l'Impératrice pour gagner de quoi faire vivre le reste de sa nombreuse progéniture. Ce garçon là était le dernier et le chétif de la famille : c'était une bouche inutile de moins à nourrir. Les trois autres n'étaient, pour leur part, pas des tendres. Les faubourgs d'Atlantide leurs avaient déjà appris à survivre. C'était surtout la discipline qu'ils devaient intégrer, le reste ils connaissaient déjà. Mais face à Boue ils restaient silencieux. Ils avaient déjà fait l'expérience de son mauvais caractère et ne tenaient pas à ce qu'elle recommence.

     

    -Donne lui du mou où tu vas encore finir le cul par terre, fit elle au petit roux raide sur son cheval.

     

    Son froncement de sourcils n'était pas fait pour l'aider à se détendre mais comme elle ne semblait pas s'impatienter, pour une fois, il essaya de faire ce qu'elle lui disait. Son cheval se calma visiblement quand le mors arrêta de lui scier la bouche. Elle soupira et hocha la tête :

     

    -Bien. Maintenant fais le avancer jusqu'au poteau là-bas et reviens. Plus tu respectes ta monture plus facile ça sera de te faire obéir.

     

    -Ça marche aussi pour tes subordonnés, fit une voix grave derrière elle.

     

    Elle pivota vivement et par pur réflexe se mit en position de combat. C'était évidemment Carri. Elle grogna d'une voix mauvaise:

     

    -Je déteste quand tu fais ça.

     

    -Je sais. Sinon je ne m'embêterai pas à le faire.

     

    Au tour que prenait la conversation le petit roux jugea plus prudent de s'éloigner et réussit miraculeusement à faire avancer son cheval du premier coup.

    Elle croisa les bras, se rappelant la menace du chef de l'enfermer si jamais elle se battait une nouvelle fois avec Carri. Elle pinça les lèvres et siffla :

     

    -Qu'est ce que tu veux ?

     

    -On s'en va. Une rébellion à Avalon.

     

    -Chouette. Une nouvelle ville imprenable.

     

    Elle lui jeta un œil mauvais et se tourna vers ses élèves en criant :

     

    -C'est fini pour aujourd'hui ! Ramenez vos montures à l'écurie et rejoignez les autres ! Et je vous écorche à mon retour si vous oubliez ce que vous avez appris !

     

    Elle ne vérifia pas qu'ils obéissaient et ramena son regard vers Carri. Il la regardait d'un air surpris:

     

    -Qu'est ce qu'il y a ? Fit elle d'un ton rogue.

     

    -Je me demandais depuis quand tu étais devenue si gentille. Peut être que l'intelligence est à ta portée finalement.

     

    Elle lui écrasa son poing sur le visage.

     

     

     

    Avalon était effectivement réputée pour être imprenable. Ville fortifiée entourée d'un véritable fleuve bouillonnant elle n'était accessible que par un unique pont qui était relevé en tant de guerre. Une fois relevé plus personne ne pouvait traverser. Et ce n'était pas de la vantardise de la part des Avalonnais : de nombreux cadavres de soldats avaient été retrouvés flottant des kilomètres en aval, noyé durant leur tentative de traversée, en bateau ou à la nage.

     

    Quand les éclaireurs arrivèrent ce fut un camp déjà déprimé qui les accueillit. Le chef n'était pas venu avec eux et Carri avait naturellement pris sa place.

     

    Arrivés sur la place centrale il se tourna vers Boue :

     

    -Tu me trouves le général et tu me le ramènes. On installe le camp loin du fleuve. De ce côté.

     

    Il indiqua le point le plus loin de la ville.

     

    -Tu pourrais au moins être poli, grogna-t-elle en faisant avancer Troll vers le centre des opérations.

     

    -Inutile puisque tu obéis comme ça, répliqua-t-il.

     

    Elle répondit sans se retourner par un geste très vulgaire qui fut reçu par un haussement d'épaule.

     

    -Si je ne la connaissais pas on pourrait croire qu'elle l'aime bien, fit remarquer Luciole en se tournant vers Liu.

     

    -Hum. Je pense qu'elle joue la gentille. Elle ne peut pas décemment apprécier Carri.

     

    -Je peux savoir de quoi vous discutez tous les deux, Lança Carri en les dépassant, Pendant que tout le monde travaille ?

     

    -De toi crétin, lança Luciole.

     

    Mais elle fit néanmoins volter son cheval et partit faire un repérage.

     

     

     

    Boue trouva rapidement le général. Il était dans la tente de commandement avec les autres officiers. Ils étaient tous penché sur une carte de combat quand elle arriva. Elle avait démonté devant l'entrée, sous le regard méfiant des deux soldats postés là. Ils tentèrent de s'interposer pour l'empêcher de rentrer dans la tente :

     

    -Soyez sérieux les gars, grogna-t-elle, vous n'avez pas les yeux en face des trous ? Le loup il est pas assez gros pour vous ?

     

    -ça ne prouve rien.

     

    -Bon dans ce cas passons à un autre problème : vous pensez sérieusement être capable de m'empêcher d'entrer ?

     

    Ils eurent une hésitation :

     

    -C'est bien ce que je me disais. Maintenant virez vos fesses de là.

     

    Ils s'écartèrent avec un grognement et Boue entra. Les hommes présents dans la tente n'avaient pas prêté attention à la conversation et furent surpris de la voir entrer.

     

    -Qui vous a autorisé à entrer ? Fit un homme de son âge en s'interposant entre elle et la table.

     

    Elle leva les yeux au ciel :

     

    -On va dire que c'est le manque de lumière, marmonna-t-elle.

     

    Elle soupira et annonça d'une voix agacée :

     

    -Soldat Boue, Eclaireur de la Dixième Compagnie. Le capitaine Carri m'a envoyé quérir le Général MacWolf.

     

    -Qu'il se déplace lui-même, grogna quelqu'un depuis la table.

     

    Elle ne voyait rien : l'homme devant elle lui bouchait la vue.

     

    -Cela vous ennuierait de vous écarter un peu ? Je sais que je l'air menaçant mais je vous promet que je ne touche pas à ceux de mon camp.

     

    Il rit et son visage montrait bien ce qu'il pensait des capacités de Boue. Elle soupira et d'un geste brutal lui écrasa son poing sur le visage.

     

    -Désolée, fit elle devant l'air stupéfait des hommes présents. Ça m'a échappé. Je ne suis pas très patiente messieurs.

     

    -Dites à votre capitaine que s'il veut discuter il doit venir me voir lui même. J'ai autre chose à faire que de répondre à la convocation d'un soldat.

     

    Boue haussa les sourcils en se rendant compte que celui qu'elle venait de frapper, et qui venait de parler, n'était autre que le général. Elle mit cela sur le compte de la lumière et jura intérieurement en espérant que Carri ne l'apprenne pas.

     

    -Désolée pour votre nez général. Dans tous les cas je peux transmettre votre message mais vous regretterez de le faire venir ici. Il est pire que moi.

     

    Le général haussa les épaules en tâtant sa pommette. Il grimaça.

     

    -C'est possible ça ?

     

    Il se releva et sans plus la regarder agita une main lui signifiant de partir.

     

    Boue se sentit admirative de la retenue dont il faisait preuve. Elle salua et lança avant de sortir :

     

    -Bon rétablissement général.

     

    Elle eut le temps de l'entendre éclater de rire avant qu'elle n'atteigne son cheval.

     

     

     

    Carri eut l'air mécontent en la voyant arriver seule. Elle démonta et le rejoignit en tenant son cheval par la bride :

     

    -Tu sais très bien que je ne suis pas très diplomate, fit elle en haussant les épaules.

     

    -Il n'a rien de cassé au moins ?

     

    -Comment tu sais ça ?

     

    Elle eut un mouvement de recul en voyant la fureur se peindre sur son visage. Elle ne pensait pas qu'un jour elle aurait peur de lui.

     

    -Tu l'as réellement frappé ? Mais qu'est ce qui t'a pris pauvre idiote ! Tu n'as pas deux sous de jugeote dans ta pauvre caboche ? Ce type est ton supérieur ! S'il me le demandait je lui apporterais ta tête sur un plateau ! Regarde moi !

     

    Boue n'osa pas lever les yeux. Elle resta silencieuse, incapable de savoir si c'était la colère ou la peur qui faisait battre ses tempes. Elle l'entendit souffler bruyamment. Il finit par parler à nouveau, d'une voix plus calme :

     

    -Tu devrais faire attention à ce que tu fais. Je sais que tu as ta fierté mais crois moi, tu ne veux pas mécontenter quelqu'un comme lui.

     

    -Désolée.

     

    -Ferme la. Va attendre Luciole et dès qu'elle revient vous faites le point avec les autres. Je veux que vous sachiez quoi faire quand je reviendrais de cette réunion inutile.

     

    Elle hocha la tête et il s'éloigna.

     

    -Carri, je...

     

    Il lança sans se retourner

     

    -T'en fais pas. On aurait tous fait la même chose j'imagine.

     

    Boue le regarda partir. Elle ne pensait pas être un jour contente de l'avoir pour chef.

     

     

     

    Luciole revint rapidement et elle et Boue allèrent s'asseoir en compagnie des autres près du feu. Ils discutèrent longuement des possibilités mais se rendirent rapidement compte qu'ils n'avaient pas tellement le choix.

     

    Luciole s'assit près de Boue et lui tendit une écuelle :

     

    -Mange, tu vas en avoir besoin.

     

    Boue la prit sans un mot et commença à manger. Luciole resta un instant silencieuse avant de demander :

     

    -Tu n'as jamais peur ?

     

    -Peur de quoi ?

     

    -De mourir. D'être blessée.

     

    -Bien sur que si.

     

    Luciole la regarda d'un drôle d'air :

     

    -Alors pourquoi est ce que tu agis comme si de rien n'était ?

     

    Boue haussa les épaules en posant son écuelle vide. Elle s'allongea, les bras croisés sous sa nuque, observant les étoiles.

     

    -Montrer que j'ai peur n'arrangerai pas les choses. Au mieux les gens me considéreraient comme quelqu'un de normal, au pire plus personne n'avancerai parce que tout le monde serait terrifié. Le métier veut qu'on soit la première ligne. Si tu n'avances pas tu meures écrasé.

     

    -Me donne pas tes grandes phrases. Qui voudrait nous écraser ?

     

    Boue grogna :

     

    -Environ les trois quarts de la population, le gouvernement et le reste de l'armée ?

     

    Luciole ne répondit rien. Elles restèrent un instant silencieuses puis Luciole reprit :

     

    -Je pense que je ne vais pas tarder à arrêter.

     

    -Tu veux dire partir ? Pour faire quoi ?

     

    -Je ne sais pas. Fonder une famille, avoir une petite maison, un jardin. Ce genre de choses.

     

    -Hum.

     

    Arrêter. Idée tentante.

     

     

     

    Quand Carri revint, la nuit était tombée depuis longtemps. Les autres, à part Liu qui était de garde, étaient assis autour du feu, discutant sombrement. Il se laissa tomber près d'eux et demanda :

     

    -Alors ?

     

    -Les murs sont semblables à ceux de Heyei, fit Luciole, mais le fleuve empêche tout accès. C'est un cercle parfait donc pas d'angles morts. La garde semble être parfaitement entrainée et nombreuse. Le fleuve est impossible à traverser. Vraiment. Je n'ai jamais vu d'aussi gros bouillons et des tourbillons imprévisibles se forment emportant tout sur leurs passage. Un tronc d'arbre se ferait hacher en morceaux en essayant de passer.

     

    Elle se tut et il fronça les sourcils :

     

    -Et alors vous n'avez rien trouvé ?

     

    Les autres se tournèrent vers Boue. Elle resta les yeux fixés au sol :

     

    -Il faut sauter par dessus.

     

     

     

    Boue sentait une boule se former dans son estomac. Elle savait que c'était elle qui avait proposé cette idée et elle savait que c'était probablement leur seule chance de jamais entrer dans la cité. Mais là maintenant, devant le fleuve tourbillonnant elle se demandait si finalement elle n'avait pas fait ça simplement pour redorer son blason. Elle savait qu'elle était la seule à pouvoir franchir un tel espace avec une perche et d'ensuite grimper au mur et de traverser la moitié de la cité et d'abaisser le pont-levis tout en tuant ceux qui lui bloquait le passage. Elle savait tout ça. Elle savait aussi qu'elle n'avait qu'une seule chance de ne pas mourir noyée ou écrasée contre le mur. Une seule. Pas de rattrapage.

    Seul Carri était présent. Pour plus de discrétion et aussi pour ne pas ajouter le poids des regards au stress de Boue. Celui de Carri suffisait déjà amplement. Elle le regarda :

     

    -Ça va aller, fit il.

     

    -Tu te rends compte que tu viens de dire quelque chose de parfaitement stupide ?

     

    Il grogna et elle sourit.

     

    -Ok, soupira-t-elle, Si je survis à tout ça tu me rappelleras de démissionner ?

     

    Il hocha la tête.

     

    Elle se recula, sa perche à la main. Il s'écarta. Elle avait peut de temps avant la prochaine sentinelle.

     

    Il ferma les yeux un instant et les rouvrit brusquement en sentant le vent passer. Il arrêta de respirer en la voyant s'élever dans les airs. Elle sembla flotter une éternité au dessus du fleuve. Trop court, pensa-t-il un instant. Trop long, pensa-t-il l'instant suivant.


    Elle aurait voulu hurler mais le son était heureusement bloqué dans sa gorge. Elle ne regardait pas en bas mais elle sentait l'eau bouillonner sous elle. Ses yeux fixaient le mur qui se rapprochait à toute vitesse. Trop long pensa-t-elle horrifiée. Soudain sa chute s'accentua et elle eut juste la présence d'esprit de se préparer à rouler avant que le sol ne la heurte violemment.

     

    Os qui éclatent. Oreilles hurlantes. Noir.

    Elle resta étendue sur le sol. Son corps hurlait mais elle entendait le bruit de l'eau. Elle ouvrit les yeux. Elle voyait quelques étoiles. Elle remua les doigts. Elle était vivante. Elle se redressa douloureusement. Son genou droit semblait enflé. Elle le plia et grimaça. Chouette. Elle s'appuya sur ses poignets sensibles et se leva. Elle tituba, la tête tournante. Son genou lui criait de se rasseoir et d'attendre mais elle n'avait pas le temps. Elle se tourna chancelante vers l'autre rive et agita le bras vers Carri. Il leva une main. Elle se détourna et se prépara à grimper le plus haut mur qu'elle ai jamais vu.

     

    L'ascension dura une éternité. Elle avait cessé de pensé et ce ne fut que lorsque sa main atteignit le rebord qu'elle se rappela où elle était. Elle s'immobilisa pour écouter. Le bruit d'une patrouille s'éloignait. Elle se hissa difficilement sur le rempart et retomba de l'autre côté. Elle respira profondément.

     

    Ils ne l'avaient pas vue. Ils ne l'avaient pas entendue. Si elle avait pu elle aurait ri. Mais elle manquait de souffle. Elle se traîna jusqu'au bord du chemin de ronde.

     

    Haut. Elle se recula en fermant les yeux. Elle devait bouger. Elle se redressa et se mit à claudiquer derrière la patrouille. Elle devrait passer par une tour. Elle espéra qu'elle avait choisi le bon côté de la ville.


    La tour était pleine et Boue était prise au piège. Elle n'avait aucun moyen de faire demi tour car la patrouille suivante allait arriver d'une minute à l'autre et elle n'avait aucun moyen de descendre sans que tout le monde la voit. Elle sortit doucement son sabre regrettant d'avoir du abandonner sa cote de maille pour pouvoir franchir le fleuve et s'éloigna de la tour. Elle s'approcha du bord du mur et après un soupir se laissa glisser sur l'extérieur. Pendue à bout de bras entre deux créneaux elle attendit. Ses bras brûlaient, ses mains commençaient à glisser. Elle entendit les armures approcher. Ils passèrent sans la voir et elle remonta d'une traction, retombant silencieuse derrière eux. En deux pas elle fut sur eux. Deux secondes plus tard ils gisaient silencieux et égorgés à ses pieds. Elle les attacha avec leurs ceintures et les pendit par dessus le mur. D'un pas silencieux, s'empêchant de penser à son genou, à ses mains, à ses bras et à son dos elle glissa vers la tour. Elle devait être rapide. Rapide ou morte elle n'avait pas beaucoup le choix. Elle prit une profonde inspiration et lança un coup d'oeil par la porte entrouverte. Ils étaient toujours aussi nombreux. Ils avaient l'air détendu. Peu portaient une armure complète et ils semblaient presque tous avoir posé leurs armes. Elle avait une chance. Elle expira et poussa la porte.

    Elle eut le temps d'en tuer trois avant qu'ils ne soient sur elle. Aucun d'entre d'eux n'auraient pu la battre s'ils n'étaient pas tous ensemble. Mais à six contre elle, blessée, elle avait peur. La salle semblait se liguer contre elle, envoyant des tables dans son dos, des tabourets dans ses pieds et des bouteilles pour faire du bruit. Elle étouffa un cri en sentant une lame lui entailler le bras. Elle tua l'homme mais deux le remplacèrent. Elle recula vers l'escalier en blessa un au ventre, tua l'autre d'un coup de sabre à travers l'oeil. Les trois autres la pressaient de tout côté, hurlant de rage, l'empêchant de réfléchir. D'un coup de pied elle repoussa l'un d'eux et tua les deux autres. Elle allait finir celui qui se relevait. Elle devait le finir. Elle le vit lancer son bras dans un long mouvement circulaire et se sentit lente et lourde en tentant de l'arrêter. Elle se recula mais pas assez. Elle hurla quand la lame trancha la chair de son ventre, pénétrant profondément. Elle abaissa son bras et il eut la tête tranchée en deux. Elle s’effondra.

     

    -Merde...

     

    Elle se tenait le ventre en sifflant. Un putain de coup d'épée. Un seul coup et elle allait en rester là ? Elle ferma une seconde les yeux et se mordit la lèvre. Elle devait bouger. Le boucan avait du réveiller toute la ville. Elle arracha une chemise déchirée sur un cadavre. Elle entendit du bruit sur le rempart. Pressant la chemise sur son ventre sanglant elle tituba vers l'escalier. S'appuyant au mur elle le descendit en gémissant. Arrivée en bas elle enroula le morceau de tissus autour de sa taille, le serrant au maximum, serrant les dents. Elle prit une lance dans un râtelier et, s'appuyant dessus, sortit de la tour alors que résonnaient déjà les cris des gardes qui, là-haut, venaient de découvrir le carnage.

    Elle courait et titubait à la fois. Elle se repérait aux étoiles tentant de se diriger vers la porte principale. Elle avait vu des plans de la ville mais elle était incapable de s'en rappeler. Elle se pressa dans une encoignure de porte, évitant une troupe de soldats qui courait vers le carnage. Elle n'attendit pas qu'ils aient disparu pour se remettre à avancer. Elle continua sa route.

    Elle tomba sur la porte presque par hasard. Elle en aurait crié de joie si un certain nombre de gardes n'étaient pas en poste à son pied. Mais son carnage avait eut le bénéfice de les mettre en panique. Ils furent tous appelés sur le mur et seul un homme resta en bas près du levier. Facile. La douleur était presque devenue une drogue. Elle se redressa et couru vers l'homme. D'un seul mouvement elle l'avait décapité. Elle observa le haut du mur. Il s'éclaircissait tendis que les hommes se dirigeaient vers un autre endroit du mur. Elle entendait une clameur de l'autre côté du mur. La diversion ? On peu dire qu'ils arrivaient au bon moment. Elle haletait et manquait d'air.

    Elle commença à relever la herse. Elle avait l'impression qu'à chaque fois qu'elle appuyait sur la roue une épée de feu s'enfonçait dans ses entrailles, tentant de les extirper de son intérieur. Elle cru même un instant qu'elles étaient sorties et dut toucher son ventre pour s'assurer qu'elle était encore en vie. D'un coup de pied elle débloqua le levier qui retenait le pont-levis. La deuxième chaîne ne suffit pas à le retenir et il s'écrasa sur l'autre rive. Elle dut s'appuyer au mur pour ne pas s'effondrer. Elle entendait la clameur des soldats et elle s'aida du mur pour aller accueillir ses compagnons qui étaient, elle le savait, au premier rang. Elle alla s'adosser à la tour et croisa les bras sur son ventre, espérant qu'ils ne tardent pas trop. Elle ne tenait pas à ce qu'ils lui marchent dessus.

    Elle vit Carri courir vers elle. Comment avait-il fait pour la voir dans tout ce fatras, se demanda-t-elle au milieu du brouillard qui commençait à l'envahir. Il s'arrêta en face d'elle :

     

    -Bravo.

     

    Il s'apprêtait à repartir quand elle appela d'une voix faible :

     

    -J'aurais encore besoin d'un coup de main...

     

    Il se retourna en fronçant les sourcils. Elle écarta les bras et il ouvrit de grands yeux.

     

    -Ça t'embêterai de me ramener à la maison ? Fit elle d'une voix hachée.

     

    Elle s'effondra dans ses bras et il grogna :

     

    -Il faut croire que je ne suis bon qu'à ça.

     

    Elle gémit quand il la souleva :

     

    -Arrête de te plaindre, fit il d'une voix faussement agacée et réellement inquiète, je te rappelle que je vais te sauver la vie là.

     

    -Génial...Tu me...préviens... si tu... réuss...


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  •  

    Elle sentait le monde s'agiter autours d'elle, des gens la déshabiller et l'examiner. Elle toussa lorsqu'un liquide acre lui coula dans la gorge :

    -Bois, ça va t'aider à supporter la suite, fit une voix qu'elle ne reconnu pas.

    Elle ne voyait rien. La douleur avait dépassé son seuil sensoriel et elle était simplement coupée de son corps. Elle ne sentait plus rien. Quelqu'un lui murmurait à l'oreille mais elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait encore en vie. Ses entrailles avaient du tomber depuis le temps. Pourquoi s'embêtaient-ils à la rafistoler ? Tous savaient qu'un ventre ouvert n'est pas réparable en gardant le blessé en vie.

    -Oh ! Boue reste avec nous tu veux !

    Elle sentit une gifle sur sa joue et cracha quelque chose. Un goût métallique. Elle se laissa aller dans le noir, attendant que l'agitation se calme d'elle même. Le bruit diminuait, devenait lointain. Elle se sentait au chaud. Reposée.

     

    Elle ouvrit les yeux en gémissant. Tout son corps brûlait, elle sentait toutes les douleurs possibles en dix fois, cent fois plus fort. Pire que tout ce qu'elle avait pu vivre jusqu'ici. Elle voulait crier, pleurer, se tordre mais rien ne répondait. Elle avait l'impression d'avoir du sable dans la gorge, aux coins de ses yeux desséchés. Au dessus d'elle une toile de tente. Pourquoi une tente ? Ah oui. Avalon. Elle avait presque failli oublier. Sa main resta posée sur le drap lorsqu'elle essaya de la bouger. Etait-elle vraiment en vie ? Elle n'arrivait pas à savoir si elle devait s'en réjouir ou s'inquiéter du fait qu'elle ne pouvait bouger. Un visage s'interposa devant ses yeux. Une grande cicatrice barrait sa joue. Un homme. Grisonnant.

    -Boue ? Tu es réveillée ?

    Elle lui darda un regard mauvais et croassa une réponse colérique. Il n'eut pas l'air de s'en formaliser.

    -Il est temps de faire quelques vérifications. Bouge les doigts.

    Elle essaya. Elle ne sentit rien mais l'homme eut l'air satisfait :

    -Bien. Maintenant regardons les pieds.

    Il disparut de son champ de vision et elle sentit soudain un courant d'air froid glacer ses orteils, remonter le long de ses jambes nues, geler le bas de son dos.

    -Remue les doigts de pied s'il te plait.

    Elle sentit ses gros orteils bouger. Il revint vers elle.

    -Ce n'est pas encore ça, fit il, mais avec tout ce qu'on t'a fait avaler ce n'est pas étonnant. Il va falloir attendre quelques jours avant de faire des tests plus probant.

    Il s'éloigna et revint avec une gourde :

    -Bois ça. Ça va t'aider à dormir et pour l'instant je pense que c'est ce qu'il y a de mieux à faire.

     

    Une semaine entière passa avant qu'elle ne réussisse à bouger. Pendant tous ces longs jours d'immobilité forcée elle réalisa à quel point elle avait de la chance d'être encore vivante. A quel point elle aurait pu rester prostrée dans un lit jusqu'à la fin de ses jours. Son corps semblait avoir bien plus souffert qu'elle ne l'avait imaginé, bien plus même qu'elle ne l'avait ressentit. Comment était-ce possible ? Elle n'en avait aucune idée. Des centaines de coupures étaient apparues, son genou était dans une attelle, ses mains était toujours si rouge qu'elle avait l'impression de les avoir plongée dans un pot de teinture. Et une longue cicatrice barrait sa joue, du coin de l'oeil jusqu'à l'oreille. Le médecin avait l'air confiant quand à la presque disparition de cette marque disgracieuse. Elle s'en moquait presque. Elle était désormais capable de bouger légèrement les jambes et les bras, pouvait même se redresser légèrement.

    On ne lui avait pas encore dit ce qu'elle allait devenir et elle avait étrangement peur de l'entendre.

    A force de passer du temps dans cette infirmerie elle commençait à reconnaître les voix, comprendre l'état des autres occupants. Parce qu'il y en avait d'autres. Son égocentrisme lui avait fait oublier que le siège avait commencé bien avant qu'elle ne s'en mêle et que d'autres avaient tenté la traversée avant elle.

    L'homme du lit voisin en était un. Il ne disait jamais rien. Le médecin lui avait expliqué qu'il avait essayé de traverser à la nage et qu'on ne l'avait retrouvé que plusieurs jours après son échec, loin en aval, déchiqueté, inconscient, mais toujours vivant. Il ne décochait pas un mot lorsqu'il était réveillé, et hurlait lorsqu'il dormait.

    Jusque là elle n'avait pas réalisé combien sa souffrance était minime à côté de celle des autres.

    Aussi quand le médecin lui annonça qu'il était temps qu'elle sache son état réel elle était calme. Elle pouvait bouger, elle pourrait bientôt marcher, elle savait pouvoir bientôt se battre. C'était tout ce qui comptait. Mais le médecin avait l'air si grave et désolé qu'elle commença à s'inquiéter. Elle inspira profondément.

    -Allez y doc, fit elle d'un air décidé, dites moi tout.

    -La blessure que tu as reçu au ventre était très profonde et a touché un certain nombre d'organes. J'ai fais ce que j'ai pu mais je ne pensais pas que tu passerais la nuit. Que tu ais survécu à ça est... surprenant.

    -Jusque là c'est plutôt bon non ? Fit elle d'une voix faussement joyeuse.

    -Je ne pense pas que tout ait parfaitement guérit.

    Elle n'aima pas ce qu'il lui annonça.

    Elle resta silencieuse si longtemps qu'il finit par soupirer et se prépara à sortir.

    -Doc !

    Il se retourna :

    -Ne le dites à personne.

    Il la regarda un instant, semblant se demander si elle avait encore toute sa tête. Le visage de la jeune femme était décidé, calme. Elle n'admettrait aucun refus. Il haussa les épaules et hocha la tête : après tout elle faisait ce qu'elle voulait. Il écarta le panneau de la tente et sortit.

    Dans la tente elle entendait les bruits des autres, la plupart inconscients, un ou deux déjà morts. Elle tourna la tête vers son voisin. Il regardait toujours le plafond, immobile. Elle laissa retomber sa tête sur l'oreiller et ferma les yeux.

     

    -Comment ça va ?

    Luciole était assise sur le bord de son lit, une expression inquiète sur la figure. Boue était pâle, les yeux fatigués. Elle haussa les épaules et grimaça en posant une main sur son ventre :

    -Comment tu veux que j'aille ?

    Elle n'était pas de mauvaise humeur, pas vraiment. Elle était surtout fatiguée. Et cela plus que tout inquiétait Luciole. Elle fronça les sourcils :

    -Raconte moi ce que le médecin t'a dit.

    Boue haussa les épaules d'un air si indifférent que Luciole en frissonna.

    -Raconte, ordonna-t-elle d'un ton sans réplique.

    Boue ferma un instant les yeux puis lui raconta.

    Luciole lui serra doucement la main :

    -Je suis désolée.

    Boue leva une main lasse :

    -Ça ne fait rien. Je vais finir par m'habituer à l'idée. Et puis je suis toujours vivante, c'est le plus important pour l'instant. Mais surtout n'en parle pas. Ça ne regarde personne.

    Luciole la regardait d'un air si triste et compatissant que Boue grogna :

    -ça va ! Va-t-en, tu as autre chose à faire.

    Luciole fronça les sourcils mais se leva.

    -Tu es sure que...

    -Oui, je te dis. Va.

    Luciole sortit et Boue se laissa retomber sur ses oreillers. Elle ferma les yeux, pinçant les lèvres, essayant d'oublier la douleur. Elle était devenue assez douée à ce jeu là au cours de cette dernière semaine.

     

    Boue fut réveillée en entendant quelqu'un entrer dans la tente. Par réflexe elle voulut sortir de son lit mais une douleur fulgurante lui traversa le ventre et elle retomba haletante sur ses oreillers. Un grognement lui échappa.

    -Eh ben....

    Elle ouvrit vivement les yeux. Rif se tenait au pied de son lit. Il était vêtue d'une tenue de voyage passablement usée et un grand manteau poussiéreux lui couvrait les épaules. Son visage était sombre.

    -Qu'est ce que tu fais ici ?

    Il s'approcha et s'assit au bord du lit :

    -A ton avis ? Je venais voir comment tu allais. Tu m'as fait une sacrée peur tu sais ?

    Elle renonça à lui demander comment il était au courant.

    Elle tenta de se réinstaller plus confortablement mais son ventre continuait de la lancer. Rif la soutint et replaça ses oreillers, les tapotant avant de la reposer dessus. Il la regarda un instant puis suivit un instant la cicatrice qui traversait sa joue :

    -Essaye de ne plus me faire aussi peur, d'accord ?

    Elle haussa les épaules et détourna la tête. Elle prenait soudain conscience de l'état de son visage. Il s'assit.

    -Dans quelques semaines on ne la verra plus, tu sais. Et ça te donne une allure de guerrière assez intéressante.

    Elle ne put s'empêcher de sourire et il sembla soudain soulagé. Il lui ouvrit les bras et elle vint se blottir contre lui. Elle se sentait au chaud, en sécurité.

    -Je ne pourrais jamais avoir d'enfant, murmura-t-elle d'une petite voix.

    Il la serra contre lui, sans rien dire. Il la sentait sangloter silencieusement, le nez dans sa chemise. Il resta là, silencieux, jusqu'à ce qu'elle finisse par se calmer. Quand ses épaules cessèrent de s'agiter il l'écarta légèrement et déposa un baiser sur son front. Elle ferma les yeux en souriant doucement. Il la reprit contre lui et la berça tendrement. Quand il la reposa doucement sur ses oreillers elle s'était endormie, épuisée.


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  • Le chariot cahotait sur la route. Boue se sentait mal. Elle avait commencé le voyage assise sur son cheval, la tête haute le visage renfrogné comme à son habitude. Mais quand elle avait commencé à vomir Carri l'avait forcée à voyager dans le chariot. D'abord assise elle s'était évanouie de douleur lorsqu'une roue s'était coincée dans un nid de poule. Elle s'était réveillée allongée dans le chariot, incapable de faire le moindre mouvement sans pleurer. Carri n'avait rien dit pour une fois. Pas un seul commentaire. Personne n'avait fait de commentaire. Mais tout le monde pensait la même chose : si Boue ne survivait pas le chef allait les tuer. Littéralement.

     

    Boue regardait le ciel. D'un blanc grisâtre il était sans intérêt, sans couleurs. Elle s'ennuyait. Elle avait mal. Elle attrapa machinalement le dé pendu à son cou. Elle savait qu'il avait été imprégné de son propre sang. Pour Luciole c'était étrange de vouloir garder un collier aussi étrange et sans intérêt. Mais Boue avait promit qu'elle ne s'en séparerait plus. Il se logea familièrement dans le creux de sa main. Elle soupira et se redressa. Luciole, qui chevauchait à côté d'elle eut l'air inquiet.

    -Tu es sure d'être en état ? Tu devrais rester allongée encore un peu.

    -ça me donne mal au cœur tous ces cahots.

    Elle s'assit en grimaçant et se tint un instant le front, tentant de faire disparaître la douleur qui pulsait derrière ses yeux. Elle ne se rappelait pas avoir prit de coup à la tête, mais à dire vrai, elle ne se rappelait pas grand chose de cette nuit là. Et elle s'en moquait.

    -On arrive bientôt ? Demanda-t-elle d'une voix bougonne.

    -On devrait y être dans quelques heures. Le chef va égorger Carri et te voyant dans cet état.

    Boue haussa les épaules :

    -ça ne serait pas plus mal. Mais on ne peut pas dire qu'il y soit pour grand chose.

    Au contraire, il était même pour beaucoup dans sa survie. Mais elle commençait à en avoir sérieusement marre de lui être redevable.

     

    Ile fut en vue deux heures après. Falaise menaçante sous un ciel gris. Il bruinait et l'humeur des soldats s'était grandement détériorée. Carri était plongé dans un silence menaçant et son marasme s'était répandu dans toute la troupe. Boue, assise dans son chariot, avait la tête courbée sous sa cape, l'eau dégoulinant sur ses cuisses. Elle avait froid, elle avait faim et elle avait envie de tuer quelqu'un. Son ventre la tiraillait et elle se languissait d'un bon feu et d'un lit chaud. Ce qu'elle savait qu'elle n'aurait pas sur Ile. Seulement une paillasse et une tente l'attendait. Elle dut abandonner le chariot pour la traversée, ce qu'elle ne regretta pas. Elle se tint tranquillement debout dans le bac, tandis que le passeur les emmenait de l'autre côté. Elle marcha sans aide pour sortir de la grotte et entrer dans le camp. Il n'était pas très tard malgré le manque de lumière et beaucoup de monde était encore dehors. Ils croisèrent un groupe de nouveau qui les regardèrent passer avec des yeux ronds. Boue jeta un coup d'oeil à ses compagnons et eut un sourire amusé : boueux, l'air noir et menaçant. Une douleur soudaine irradia dans sa joue et elle se rappela également son allure : grande, sombre, une tunique tachée de sang et un visage barré d'une cicatrice toute fraîche. Elle avait eut de la chance de ne pas perdre son œil. Elle n'arrivait pas à comprendre comment une telle blessure avait pu arriver là. Probablement le tumulte de la porte.

    Elle jeta un coup d'oeil à Carri. Étonnamment il la regardait déjà.

    -Va à l'infirmerie, fit il d'un ton froid, ta joue s'est rouverte et tu fais peur aux gamins.

    -Je ne te croyais pas si sensible, ironisa Boue.

    Il fronça les sourcils mais elle leva une main en signe d'abandon. Elle se dirigea vers l'infirmerie sans un mot de plus, demandant au passage à Luciole de s'occuper de son cheval.

     

    Le médecin la vit arriver en soupirant :

    -Si je ne te connaissais pas, je me dirais que tu en fais exprès : il n'y qu'un seul blessé et c'est forcément toi !

    -La force des choses. Il fallait bien que je fasse mon travail.

    Il l'emmena vers l'une des chambres en rideaux et lui fit enlever sa cape. Il faisait bon dans l'infirmerie, rare bâtiment en dur et réellement chauffé du camp, et Boue soupira de contentement.

    -Tu as fait des exploits ?

    Elle haussa les épaules en grimaçant :

    -J'ai fait tomber la ville.

    Il éclata de rire et la fit s'asseoir sur le lit. Riant encore il entreprit de nettoyer sa joue et de la recoudre : les premiers points avaient craqués.

    -Tu auras une belle cicatrice, j'en suis désolé. Dommage que tu ais tiré dessus, elle semblait plutôt bien partie.

    Elle haussa les épaules, fataliste :

    -Ce n'est pas la pire.

    -A voir l'état de ta chemise j'imagine que non. Je peux jeter un coup d'oeil ?

    Elle s'allongea, obéissante pour une fois, et il coupa son bandage, retira doucement les couches de tissus.

    -Ouh...

    Il n'ajouta rien, jetant simplement un coup d'oeil à la figure de Boue. Elle était indifférente. Il entreprit de remettre un bandage propre.

    -ça m'a l'air en bonne voix de guérison. Celui qui t'a soigné à fait du bon boulot.

    -C'est ce que j'ai cru comprendre.

    -Tu as toujours cet étrange collier à ce que je vois.

    -Je l'aime bien.

    Le médecin n'ajouta rien. Boue savait très bien qu'il comprenait plus de chose qu'il ne laissait paraître et lui fut reconnaissante de ne pas faire de remarques.

    -Tu devrais rester ici encore quelques nuits, fit l'homme, avec le temps qu'il fait je ne veux pas te voir traîner dans toute cette humidité. Et hors de question de participer à quoi que ce soit avant plusieurs semaines.

    -Bien chef.

     

    Boue resta à l'infirmerie deux semaines. Elle sortait dans la journée, se promenait un peu, discutait, mais elle se fatiguait rapidement et passait beaucoup de temps au chaud dans le bâtiment. L'hiver s'était installé et elle profitait encore un peu de la chaleur. Elle se sentait faible et détestait ça. Mais le médecin lui avait formellement interdit de prendre froid. Elle en profitait pour lire.

    Elle n'en avait pas eut le temps depuis des années. Malheureusement il n'y avait pas grand chose dans le camp sinon les quelques livres de médecine de l'infirmerie et un ou deux récits de campagnes. Elle lut donc les rapports de missions des éclaireurs. Elle en apprit beaucoup plus qu'elle n'aurait voulu. Sur l'Empire qui s'étendait dans toutes les directions, sur le Nord qui était désormais sous un contrôle sévère, sur la guerre contre la cité-état de Lish qui ne semblait jamais vouloir finir, sur le rôle des éclaireurs au milieu de tout ça. Cela lui rappela de douloureux souvenirs qu'elle avait fait de son mieux pour oublier.

    Elle cessa de lire. Au bout d'une semaine elle finit par se décider à reprendre un peu d'exercice, histoire de se remettre en forme. Elle commença par marcher, faisant le tour d'Ile, traversant parfois pour aller jusqu'au village. Elle allait observer les entraînements des autres, les regardant jalousement au milieu des éclaireurs les plus jeunes. Elle aurait dû être parmi les combattants, pas les spectateurs.

     

    Quand Boue fut enfin remise d'aplomb elle fut autorisée à retourner dormir avec les autres. Elle eut un instant de regret : elle commençait à s'habituer à la douce chaleur de l'endroit.

    Elle traversait le camp d'un air maussade, emmitouflée dans sa cape, une écharpe lui couvrant le nez et son paquetage dans les bras quand elle croisa un groupe de nouveaux qui la regardèrent en riant. Elle les avait déjà vu lors des entrainements et ils étaient plutôt bon.

    -Je ne pensais pas qu'on acceptait les grand-mères ici ! Fit l'un d'entre eux, le froid n'est pas fait pour les faibles !

    Boue s'arrêta net, sa mauvaise humeur la réchauffant soudain. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait une remarque de ce genre sur son passage, mais elle avait plutôt eut tendance à faire la sourde oreille, trop fatiguer pour se lancer dans un combat. Mais puisqu'elle était de retour autant remettre les choses en ordre.

    Elle baissa son écharpe et quelques uns eurent un mouvement de recul : elle savait que sa cicatrice était bien visible et lui donnait une allure assez terrible. Celui qui avait parlé lui tournait le dos et il poussa un cri de douleur quand la main de Boue l'attrapa au collet :

    -Je suppose que tu parlait de moi ? Fit elle d'une voix glaciale en l'entraînant vers le terrain de combat, eh bien regardons si la grand-mère peut battre le blanc-bec.

    -La... lâche moi ! Fit-il en se débattant sans succès, Tu n'as pas le droit !

    -Ah bon ?

    Elle ralentit un peu, faisant semblant de réfléchir, puis le fixa d'un air féroce :

    -Tant pis.

    Elle le poussa devant elle et il s'écroula sur le sable dur de la piste.

    -Debout ! Ordonna Boue.

    Il se releva d'un air digne et la toisa. Il était plus grand qu'elle, ce qui n'était pas très courant. Elle lui renvoya un regard mauvais. Sa capuche était tombée et ses cheveux vaguement tressés formaient une masse sale autours de son visage. La cicatrice était rouge sur sa peau pâle. Un petit groupe commençait à se former autour du terrain. Des jeunes comme des plus anciens. Boue aperçu ses compagnons qui s'accoudèrent à une barrière pour observer. Boue étudia le garçon. Il était assez grand et bien bâti, les cheveux courts. Il ne devait pas être beaucoup plus jeune qu'elle, deux ou trois ans peut être. Et il semblait s'en être rendu compte au vu de son visage perplexe et moqueur. Il devait être encore dans la période où il se considérait meilleur que n'importe quelle femme.

    -Alors mon grand ? Je te laisse choisir une arme. Ça fait une éternité que je n'ai pas combattu alors j'espère que tu seras indulgent avec moi.

    Il fronça les sourcils en entendant des rires. Les nouveaux se firent rapidement expliquer qui était cette étrange femme et ils eurent soudain l'air très inquiet pour leur camarade.

    -Très bien, fit enfin le jeune homme, je choisis l'épée.

    Boue haussa un sourcil amusé mais ses yeux restèrent froid.

    -Bon choix. Mais j'espère que tu sais ce que tu fais.

    -Evidemment.

    Il dégaina et se mit en garde. Boue tendit le bras comme pour récupérer la sienne, accrochée dans son dos, avant de se rappeler que c'était Luciole qui l'avait. Elle grogna et le garçon eut un sourire en coin :

    -Tu peux en emprunter une si tu veux, fit il en agitant la main comme s'il lui faisait une faveur.

    -Trop aimable.

    Elle allait se diriger vers Luciole quand elle aperçut Carri qui s'approchait :

    -Le chef veut te voir, fit il en ignorant le garçon.

    -Je peux régler ça avant ? Sinon ce jeune homme va finir par croire que je ne suis pas sérieuse.

    Ses paroles étaient légères. Elle se sentait bien pour la première fois depuis des semaines. Il ne lui manquait plus qu'un petit combat.

    -Tu n'as pas d'épée, remarqua Carri.

    -Bien vu, j'ai laissé la mienne à Luciole en arrivant.

    Il grogna.

    -Dépêche toi, fit il , je n'ai pas que ça à faire.

    -Si tu me donnais ton épée ça irait plus vite.

    -Va en chercher une autre, je tiens à garder la mienne en bon état.

    -Crétin.

    Il haussa les épaules et se détourna. Boue alla emprunter l'épée de Luciole qui avait laissée celle de son amie à l'armurerie.

    Quand elle revint vers le jeune blanc bec celui ci demandait à Carri d'une voix un peu inquiète:

    -Capitaine ? Vous... vous la connaissez ?

    Carri lui jeta un regard agacé :

    -Je te croyais plus intelligent que ça. Tu me déçois.

    Il s'éloigna pour s'adosser à la barrière la plus proche.

     

    Boue se pencha sur le jeune homme affalé sur le sol.

    -ça va aller ?

    Il ouvrit les yeux :

    -Je suis désolé de vous avoir provoqué.

    -Je n'en doute pas, fit Boue d'un ton plus calme.

    Elle lui tendit la main et l'aida à se relever.

    -Maintenant tu sauras qu'il ne faut pas provoquer les gens que tu ne connais pas si tu n'es pas sur d'avoir le dessus. Ah et n'oublie pas de ne jamais sous estimer ton adversaire, surtout si c'est une femme. Elle risque de le prendre très mal et de te faire souffrir pour te faire comprendre.

    Il hocha la tête d'un air penaud.

    Boue se détourna et Carri fut le seul à voir sa grimace de douleur.

    -Tu n'aurais pas dut forcer dès le premier jour, remarqua-t-il.

    -Ferme la.

    Ils avancèrent en silence puis Boue dit :

    -Il était doué ce gamin. C'est toi qui t'en occupe ?

    -Avec Paul et Luciole. Je ne pensais pas qu'il te donnerait tant de mal. Je suis content.

    Elle ne répondit pas à la provocation et se posa la main sur le ventre, tentant de calmer la douleur.

    -Je crois que le chef changera sa décision en voyant ta tête.

    -Quelle décision ?

    Il haussa les épaules :

    -Il a décidé de séparer l'unité. On va tous partir en équipe de deux. Et comme il semblait que nous nous entendions mieux il voulait nous mettre ensemble.

    -Drôle d'idée.

    Carri fut surpris de son manque de réaction. Il se tourna légèrement vers elle : elle était pâle.

    -ça va ?

    -ça devrait aller dans une minute.

    -Tu n'as pas l'air aussi mécontente de devoir me supporter que je ne l'aurais cru.

    -Qu'est ce que tu veux ? Que je me jette sur toi pour te réduire en pièce ?

    -C'est ce que j'avais imaginé mais vu ton état j'en doute que tu sois capable.

    -D'où mon manque de réaction. De toute façon je suis totalement incapable de combattre, alors j'imagine qu'il changera ses plans.

    -Je suppose oui.

     

    Comme l'avait annoncé Carri leur unité fut séparée. Le chef leur annonça la suite des évènements. Ils ne devaient plus travailler dans l'armée. Leurs missions seraient désormais plus secrètes, moins avouable que des guerres encensées par l'Impératrice et acclamées par le peuple, qui par ailleurs acclamait tout ce qui ne lui nuisait pas directement. Ces œuvres là n'étaient pas connues, et lorsqu'elles l'étaient, n'étaient pas aimées.

    Tous les proches de l'Impératrice Camyl le savaient, un régime comme celui d'Atlantide ne tenait que parce qu'ils y avaient des gens qui s'occupaient de le maintenir en place. Non pas l'Impératrice et ses conseillers, bien qu'ils soient évidemment indispensables, mais bien tous ceux qui réussissaient à « convaincre » les plus réticents à suivre l'Impératrice. Les éclaireurs étaient les plus actifs. Ils agissaient par équipes de deux ou trois, et leurs missions allaient du simple renseignement à l'assassinat, en passant par l'espionnage et la protection.

    Le chef les avait prévenu :

    -Parmi vous certains ne s'en sortiront pas vous le savez. C'est notre métier qui fait ça. Mais le compagnon avec qui vous travaillerez devra être plus importants que tout le reste, plus important que votre vie elle-même. A partir de maintenant vous n'avez plus de famille, la seule que vous ayez sera votre partenaire et ensuite la compagnie.

     

    Ce discours avait laissé un froid.

     

    Boue suivit Carri sous la tente du chef. Il releva la tête d'une carte en les entendant entrer.

    -Ah ! Vous voilà enfin. Qu'est ce qui se passe dehors ?

    -Boue a fait des siennes.

    Le chef haussa un sourcils et Carri haussa les épaules :

    -Rien de bien important.

    Le chef secoua la tête d'un air désabusé.

    -Bon. Boue il t'as mis au courant ?

    Elle hocha la tête.

    -Il y a peut-être un soucis, fit-elle.

    Le chef la regarda d'un œil inquiet.

    -Vous me sembliez bien trop calme aussi.

    Carri eut un sourire et Boue grogna :

    -Ce n'est pas de sa faute pour une fois. Je ne suis simplement pas en état de combattre.

    Le chef la regarda fixement :

    -Pardon ?

    Elle grimaça :

    -Le bruit que avez entendu dehors c'était moi rabattant le caquet d'un débutant. J'ai eu du mal à le battre.

    Le commandant Ilère se passa la main dans ses cheveux court. Il avait vieilli se dit Boue, depuis la première fois qu'elle l'avait vu. Et pourtant elle le savait encore capable de les réduire en charpie, Carri comme elle. Surtout elle.
    Il eut l'air de réfléchir un instant puis soupira.

    -Bon. Je n'ai pas tellement le choix j'imagine, si je ne veux pas t'envoyer au casse-pipe. Je ne peux pas me passer de Carri pour l'instant, donc on va repousser votre association. Boue tu vas partir avec Luciole au palais impérial. L'Impératrice a demandé une garde d'élite je ne peux donc pas lui refuser. Néanmoins elle sera tellement entourée que vous n'aurez probablement pas grand chose à faire. Cela te permettra de reprendre l'entrainement en douceur et de récupérer. Carri tu vas travailler avec Liu pour le moment.

    Il leva une main pour couper court aux protestations de ce dernier :

    -Je sais, vous n'êtes pas amis. Ce n'est pas ce que je vous demande et de toute façon ce n'est que temporaire. Mais j'ai besoin d'une équipe efficace en attendant que Boue soit en état et c'est tout ce que je peux faire pour le moment.

    Carri grogna et Boue le regarda d'un air amusé. Il devenait de plus en plus diplomate au fil des jours. Pour sa part, bien qu'elle ne l'aurait pas avoué aux deux hommes, elle n'était pas mécontente d'aller au palais. Ses rêves de petite fille revenaient en force et elle se demanda si elle aurait l'occasion de participer à un bal.


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  •  Boue et Luciole prirent la route dès le lendemain en direction d'Atlantide. Le ciel était couvert mais même le léger crachin qui tombait ne parvenait à entamer la bonne humeur des deux jeunes femmes. Leur chevaux ayant adopté un trot tranquille elles ne purent s'empêcher d'essayer d'imaginer ce que serait leur vie là-bas, dans cette grande capitale pour laquelle elles risquaient leur vie tous les jours. Boue avait réussi à mettre en arrière plan la légère douleur de sa blessure et redevenait ce qu'elle avait oublié d'être depuis si longtemps : une jeune femme.

     

    Lorsqu'elles arrivèrent à Atlantide, la nuit était tombée. A leur grande déception elles ne virent rien du panorama magnifique que la ville était censée offrir aux nouveaux arrivants et même les lumières des tours du palais étaient cachées dans un nuage. Et pour couronner le tout les portes étaient fermées lorsqu'elles arrivèrent devant les murailles. Le crachin était devenu une pluie diluvienne et leurs capuches ne suffisaient pas à les protéger. La bonne humeur de Boue s'était envolée et ce fut d'un point rageur qu'elle frappa à la porte :

     

    -Hey ! Ouvrez !

     

    -C'est fermé pour la nuit ! Fallait arriver avant ! Répondit une voix depuis les hauteurs du mur.

     

    -Ouvrez bande d'imbécile ! On a un laissé-passé !

     

    -C'est ça ! Eh bien montrez le demain !

     

    Boue poussa un cri de rage et Luciole soupira.

     

    -Allez viens ! On verra demain.

     

    -Et tu veux faire quoi en attendant ? Tu as vu une auberge à moins de dix kilomètres ?

     

    Luciole écarta les mains en signe d'impuissance :

     

    -Et tu veux faire quoi ? Prendre la ville d'assaut ?

     

    Boue lui jeta un regard mauvais mais ne répondit pas et s'écarta :

     

    -Hey ! Là-haut !

     

    -T'es encore là ? Dégage !

     

    Elle retira rapidement sa cape, sa patience douchée par l'eau glacée qui s'infiltra directement dans ses sous-vêtements. Elle retira son tabard et ramassa une pierre qu'elle enroula dedans.

     

    -Hey ! Attrapez ça !

     

    Elle se recula d'un pas et lança la pierre de toutes ses forces. Celle ci s'éleva et disparu au dessus du mur. Boue attendit, dégoulinante, les poings sur les hanches, les yeux levés vers le parapet.

     

    Une petite porte grinça et une voix retentit :

     

    -Montrez vos laissé-passés !

     

    Luciole s'avança et tendit un rouleau de cuir qui disparu. Moins d'un minute plus tard la porte s'ouvrait à nouveau :

     

    -C'est bon !

     

    Boue et Luciole entrainèrent leurs chevaux de l'autre côté pour se retrouver face à un sergent mi-furieux mi-inquiet :

     

    -Vous pouviez pas le dire plus tôt ? Fit il en tendant le tabard.

     

    Boue n'avait pas remit sa cape et son visage était d'un blanc glacé.

     

    -Vous allez nous laisser pourrir ici longtemps ? Répliqua-t-elle d'un ton mauvais.

     

    L'homme fronça les sourcils, Luciole s'approcha son habituelle expression gentille sur le visage. L'homme la dévisagea un instant, revint sur Boue. Elles avaient le même regard. On ne jouait pas avec l'humeur des éclaireurs.

     

    -Un garde va vous emmener au palais.

     

    -Merci.

     

    Boue s'en alla sans un regard en arrière. Luciole sourit au pauvre sergent qui frissonna. Elle s'en fut à la suite de son amie, laissant l'homme se demander ce qui allait lui arriver.

     

     

     

    Elles avaient descellés et brossés leurs chevaux fatigués quand un garde arriva:

     

    -L'Impératrice vous recevra demain matin. Elle a fait préparer une chambre pour vous dans l'aile des servantes. Une fille vous attend à l'intérieur pour vous y emmener.

     

    Luciole le remercia et elle et Boue le suivirent dehors.

     

     

     

    La chambre était à l'image de son nom. Les murs étaient blancs et nus et les quelques meubles étaient en bois brut, fonctionnels. Il y avait deux lits aux pieds desquels des draps et des couvertures étaient pliés. Des tabourets installés de chaque côté servaient de tables de chevet. Deux coffres complétaient l'ameublement à tout le moins sobre de la chambre. Le seul luxe de la pièce semblait être la vue du jardin depuis l'unique lucarne creusée dans l'épaisseur du mur.

     

    -Je vous ramène des bougies, fit la jeune servante, la salle de bain est au bout du couloir. Il y a deux baignoires et de l'eau chaude à volonté. Il devrait y avoir des vêtements secs dans les coffres.

     

    Elle sortit, laissant les deux jeunes femmes étudier leur nouvel environnement d'un air maussade.

     

    -Au moins c'est sec, fit Luciole d'un air malheureux.

     

    -On peut dire ça.

     

    La jeune fille réapparut :

     

    -Voilà les bougies. Une bougie tous les deux jours, pas plus. Vous pouvez faire sécher vos vêtements dans la buanderie à côté de la salle de bain. Mais ils ne seront pas sec demain s'il continue de pleuvoir comme ça.

     

    -Tu dis qu'il y a des vêtements dans les coffres ?

     

    Luciole ouvrit le premier et en sortit une robe rouge et des dessous blancs, déjà usés.

     

    -Normalement vous pouvez tout régler à vos tailles. Sauf pour la longueur.

     

    Boue grimaça :

     

    -Je savais bien que ça finirai par me retomber dessus. Tant pis. Merci quand même.

     

    -Ce n'est pas moi. L'Impératrice veut que tout le monde soit habillé à sa couleur alors elle s'assure que ce soit le cas. On viendra vous chercher demain matin à la deuxième cloche. Bonne nuit !

     

    Elle s'en fut en fermant la porte. Luciole soupira :

     

    -J'espère que demain sera meilleur !

     

    -ça pourrait être pire ?

     

    -On pourrait nous avoir oublié dans les écuries.

     

    -Vu la tête du sergent j'en doute.

     

    -On pourrait être avec les gardes.

     

     

     

     

     

    Boue bondit hors de son lit, un poignard dans la main, quand elle se rendit compte que ce qui venait de la réveiller n'était qu'une cloche. Luciole la regardait d'un air endormit :

     

    -Tu es vraiment incroyable.

     

    -Je faisais un drôle de rêve.

     

    Luciole leva les yeux au ciel et sortit de sous ses couvertures en frissonnant:

     

    -Il va falloir que tu t'habitues à la vie dans un château. Je ne suis pas sure que mes nerfs tiennent le coup si tu te lèves comme ça tous les matins.

     

    Boue haussa les épaules et reposa son poignard. Elle s'étira et alla prendre la robe posée sur son coffre. La veille au soir elle avait troqué ses dessous trempés contre ceux du coffre : une longue chemise et une culotte légèrement bouffante. Elle se souvenait encore de la chaleur du bain. Elle fronça les sourcils :

     

    -On doit vraiment mettre ça ?

     

    -Tu veux remettre ceux d'hier ?

     

    Boue leva une main en signe d'abandon. Elle hésita néanmoins encore un long moment, secouant la robe, lissant les plis, avant d'enfin l'enfiler. Luciole était déjà habillée. La robe rouge lui allait plutôt bien et ses cheveux dorés retombaient en boucles enfantines autours de son visage, adoucissant la dureté de ses yeux. Boue baissa les yeux sur les lacets encore ouverts de la sienne. Elle savait qu'elle n'aurait pas l'air douce dans sa robe. Dans n'importe qu'elle robe. Elle était grande, elle était musclée, et une cicatrice barrait sa joue de façon extrêmement voyante. Elle laça sa robe d'un air résolu, arrangea rapidement les plis et remonta ses cheveux en un chignon lâche. Luciole hocha la tête d'un air approbateur.

     

    La jeune servante frappa et passa la tête par la porte entrebâillée :

     

    -Vous êtes prêtes ? L'Impératrice va vous recevoir.

     

     

     

    Les couloirs qu'elles traversèrent étaient loin des légendes qu'elles avaient entendu. Ils était étroits, sombres et si encombrés de serviteurs courant dans tous les sens qu'elles eurent du mal à se frayer un chemin jusqu'à la tour impériale.

     

    La vue que Boue aperçut au hasard d'une fenêtre lui fit oublier tous ses désagréments. Le soleil brillait à travers les nuages et le palais blanc semblait rayonner. Eblouissantes de lumière des flèches s'élevaient de tous côtés, donnant l'impression de vouloir toucher le ciel. La veille elle ne s'était pas rendue compte à quel point ils étaient monté dans la ville mais dans la luminosité du matin elle pouvait distinguer la route par laquelle elles étaient arrivés. De minuscules points s'agitaient au pied des remparts, des charrettes, des marchands, des voyageurs passaient et repassaient sous la porte qui l'avait tant agacée le jour auparavant.

     

    -Boue !

     

    Elle sursauta et dut courir pour rattraper les deux jeunes femmes qui l'attendaient avec impatience :

     

    -Qu'est ce que tu faisais ?

     

    -J'admirais le paysage.

     

    -Tu feras ça après, fit Elis la jeune servante, l'Impératrice n'est pas du genre à apprécier attendre.

     

    Boue haussa les épaules et les suivit dans un couloir un peu plus dégagé. Elles empruntèrent une petite porte et se retrouvèrent soudain dans une véritable avenue. Le plafond s'était élevé de plusieurs mètres et de grandes baies ouvrant sur le parc éclairait le passage de dizaines de nobles en robes multicolores. De grands lustres, pour le moment éteints, pendaient du plafond et des torchères ouvragées étaient accrochées aux murs. Le sol était une mosaïque lumineuse de formes géométriques plus impressionnantes les unes que les autres.

     

    Elis sourit devant la mine ébahie des deux femmes :

     

    -Vous n'avez encore rien vu ! Ce n'est que la galerie princière, attendez de voir la salle du trône.

     

    Elle les entraîna d'un pas rapide sur le côté de la galerie, là où marchaient les serviteurs.

     

    -Surtout ne marchez pas au milieu des avenues du palais. Je ne sais pas quel statut vous aurez ici, mais il vaut mieux ne pas froisser les nobles. D'autant plus que moins on vous verra et mieux ça vaudra pour vous. Être invisible c'est la meilleurs chose à faire pour vivre bien dans cet endroit.

     

    -ça promet, marmonna Boue.

     

    Elle se tourna vers Luciole mais celle ci n'avait pas écouté. Elle avait le regard tourné vers un attroupement de nobles, installés près d'une fenêtre. Ils riaient bruyamment aux paroles de l'un d'eux. Boue fronça les sourcils.

     

    -Il ressemble à...

     

    -...Carri, termina Luciole.

     

    Elle lui jeta un regard.

     

    -Est ce que tu as entendu les rumeurs à son sujet ?

     

    Boue hocha la tête :

     

    -Il vient de la ville frontière.

     

    Elis s'était rendue compte que les autres ne suivaient plus et revenait sur ses pas :

     

    -Qu'est ce que vous regardez ?

     

    Luciole lui indiqua l'homme :

     

    -Qui est ce ?

     

    Elis eut un soupir :

     

    -Il aurait mieux valu que vous ne le voyiez jamais. Il s'agit du Prince Consort, Kahn, frère du Basileus de Lish.

     

    Elles regardèrent l'homme d'un œil nouveau et suspicieux : Pacifique pendant des années, la cité-état de Lish était finalement entrée en guerre il y avait peu, à la suite du mariage de l'Impératrice avec le frère du Basileus de la ville. Les circonstances n'avaient jamais été vraiment expliquées au grand public mais Boue savait que le mariage n'était pas la seule raison pour laquelle l'Empire avait déclaré la guerre. Dans les rapports qu'elle avait lu lors de son long séjour à l'infirmerie elle était tombée sur celui de l'un des gardes qui accompagnaient l'Impératrice lors de sa dernière visite. Il faisait état d'une possible relation entre l'Impératrice et le Basileus actuel, relation qui avait tournée au vinaigre lorsque Lish avait refusé d'entrer pacifiquement dans l'Empire. L'homme avait ajouté quelques phrases codées à la fin de son rapport et Boue n'avait réussit à en comprendre qu'une petite partie : la rumeur courait que le Prince Kahn avait fuit Lish pour échapper aux assassins de son frère.

    Mais à le regarder discuter et et courtiser dans la galerie personne n'aurait pu se douter qu'un tel mystère entourait l'homme. Grand à la peau sombre, le Prince était bel homme. Sa voix grave résonnait dans les hauteurs du plafond, séduisante et attirante. Il était ce jour là vêtu d'une étrange façon. Ses cheveux blond sombres étaient noués en catogan sur sa nuque et portait une chemise d'un rouge vif sous un gilet de cuir noir brodé d'argent. Son pantalon rouge bouffait au dessus d'une paire de botte du même noir luisant que sa tunique et une couronne ceignait son front. Une légère barbe recouvrait son menton et sa lèvre, laissant ses joues parfaitement rasées. Il n'était pas beau, il était magnifique.

     

    -Méfiez vous de lui, fit Elis en les entraînant vers le bout du couloir, c'est un séducteur, mais vous pouvez être sures qu'il ne fait jamais rien au hasard.

     

    -On dit qu'il a épousé l'Impératrice par amour, fit Luciole.

     

    -On dit beaucoup de choses, mais tant qu'il ne vous l'a pas affirmé haut et clair je n'y croirais pas. Cet homme est un manipulateur. Et il n'est pas le pire.

     

    Elis les entraîna dans un couloir plus petit où la foule s'espaça. Elle s'arrêta soudain et se retourna vers les deux jeunes femmes qui la regardèrent d'un air surpris :

     

    -Je ne sais pas pourquoi on vous a envoyé ici, mais il vaut mieux que je vous le dise maintenant : toute personne qui passe par ce palais est marquée à jamais. L'Impératrice n'oublie jamais un visage et vous allez la côtoyer de près. Faites bien attention à ce que vous allez faire à partir de maintenant. 

    Elle marmonna d'une voix presque inaudible:

    -La Chance n'a pas sa place ici.

    Luciole ne sembla pas avoir entendu mais Boue si. Elle lança un regard perçant à Elis qui baissa les yeux.

     

    -Allons y.

     

     

     

    La porte devant laquelle elles s'arrêtèrent semblait bien trop simple comparée au couloir. Un battant de bois rouge, une poignée cuivrée. Elle aurait pu passer pour l'entrée de n'importe quel secrétaire impérial. Mais deux gardes étaient plantés devant, immense, menaçant. Ils n'eurent pas un sourire quand Elis les salua.

     

    -L'Impératrice les attend, fit-elle en montrant Luciole et Boue.

     

    Ils eurent un froncement de sourcils.

     

    -Attendez ici.

     

    L'un d'eux frappa et entra en refermant la porte derrière lui. Luciole sourit à l'autre garde :

     

    -Vous avez été formé sur Ile non ? Il me semble vous avoir déjà croisé.

     

    Il ne répondit rien. Boue grogna :

     

    -Si c'est vraiment le cas il ne te dira rien. J'espère qu'on est pas venues là pour les remplacer.

     

    -Je crois que si.

     

    La porte s'ouvrit à nouveau et le premier garde leur fit signe d'entrer.

    La porte donnait sur une antichambre décorée avec deux fauteuils tapissés de velours bordeaux et de deux tableaux accrochés l'un en face de l'autre : l'un représentait le couple impérial l'autre le blason de la famille : un dragon crachant du feu, les ailes déployées mais encore posé sur la plus haute tour du palais d'Atlantide.

    Une autre porte leur faisait face, ouverte. Elis resta dehors tandis que le garde leur faisait passer l'ouverture.

    Le bureau dans lequel elles entrèrent était à la hauteur de la personne qui l'occupait : impérial. Tout était recouvert de bois, les murs décorés de magnifiques tapisseries brodées de rouge et d'or, les couleurs impériales, racontant les exploits des ancêtres de la famille régnante. L'Impératrice était assise derrière un immense bureau en bois rouge d'essence inconnue, dont les pieds ouvragés représentaient quatre dieux entièrement nus, soutenant sans effort le plateau luxueux.

    Quant à la femme assise derrière le bureau elle était telle qu'on la racontait. Majestueuse, impressionnante, ses long cheveux noirs flottaient sur ses épaules, uniquement retenu par un diadème d'argent tressé auquel étaient pendus une dizaine de rubis. Son visage fin et bien dessiné ne souriait pas et respirait l'autorité. Sa robe était d'un beau rouge sang et l'encolure était brodée en fils d'argent. De longues manches allaient en s'élargissant pour finalement disparaître sous la table. La femme les regardait. Ses yeux froids les étudièrent de haut en bas, s'attardant sur la cicatrice bien visible sur la joue de Boue et sur les cheveux courts de Luciole. Mal à l'aise les deux jeunes femmes eurent un temps avant de se mettre au garde à vous, saluant comme le militaires qu'elles étaient, sans se rendre compte de l’incongruité de leur tenue.

     

    -Redressez vous, dit finalement l'Impératrice.

     

    Sa voix était plus chaleureuse que ses yeux et laissait transparaître un certain amusement.

     

    -Ainsi vous êtes les envoyées du commandant Ilère. Deux femmes. Devrais-je me sentir vexée par son envoi ?

     

    Elles ne répondirent pas. Boue avait froncé les sourcils, son habituel regard noir fixé sur la fenêtre derrière l'Impératrice. Elle n'aimait pas le ton de cette dernière.

     

    -Boue Finylt et Luciole Hart. Si j'en crois vos états de services vous n'êtes pas parmi les meilleurs.

     

    Luciole jeta un coup d'oeil à Boue mais elle ne réagit pas. L'Impératrice attendit un instant, un pli songeur sur sa bouche peinte d'un rouge rubis.

     

    -Néanmoins je comprend que votre commandant ai décidé de ne pas se passer de ses meilleurs éléments quand ma sécurité est déjà assurée par des centaines de gardes. Vous ne serez que deux parmi la multitude mais j'ai jugé intéressant d'avoir des représentants des éclaireurs dans ma suite. Après tout vous êtes censées être meilleures que n'importe lequel de mes soldats.

     

    L'Impératrice se tut un instant, comme attendant une réponse. Mais que pouvaient-elle bien dire ?

     

    -Quoi qu'il en soit, poursuivit-elle au bout d'un moment, vous ferez partie de ma garde personnelle.

     

    On frappa à la porte et avant que l'Impératrice ait pu répondre quelqu'un entra. Boue vit Luciole avaler avec difficulté une seconde avant qu'elle ne voit l'intrus. Le Prince Kahn.

     

    -Vous arrivez au mauvais moment mon époux, fit l'Impératrice.

     

    Son visage était froid et toute trace d'amusement avait disparu de sa voix.

     

    -Ah ? J'aurais pourtant juré être à l'heure. J'aimerais prendre l'un, l'une, de vos éclaireurs pour ma propre garde.

     

    Camyl, femme puissante parmi les puissants, eut un claquement de langue agacé :

     

    -Et pourquoi auriez vous besoin de l'une d'elle ? Je vous sais déjà parfaitement entouré.

     

    -J'aimerais mieux connaître les soldats qui nous permettent de rester habiter dans cette belle cité, mon amie, et quoi de mieux que dans avoir une en ma compagnie ?

     

    -C'est hors de question. Vous pourrez interagir avec elles lorsqu'elles ne seront pas de service, c'est tout. Maintenant si vous voulez bien sortir, j'ai des choses à discuter avec elles.

     

    Le Prince eut une moue déçue puis lança :

     

    -Très bien ! Faites comme bon vous semble.

     

    Il se détourna et, après un regard appuyé en direction des deux jeunes femmes, sortit.

     

    Boue se retint de fermer les yeux et s'appliqua à garder son souffle régulier. Cet homme était impressionnant. Et définitivement très charmant. L'Impératrice pinça les lèvres et reprit comme s'il n'était jamais venu :

     

    -Vous ferez partie de ma garde mais ce ne sera qu'une petite partie de vos devoirs. Un bruit m'est récemment parvenu sur la possible présence d'espion et de comploteurs au sein même de la ville et du palais. Je veux savoirs qui sont ces gens. Votre but ici est de les trouver et de me les amener.

     

    Boue tourna son regard vers la femme qui fronça les sourcils :

     

    -Vous avez une question, soldat Finylt ?

     

    -Tous, votre majesté ?

     

    -Tous.

     

     

     


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  • -Et comment veut-elle qu'on fasse exactement ? Explosa Boue une fois revenues dans leur chambre, On ne connaît rien ni personne ici !

    -J'imagine que c'est la raison pour laquelle elle nous a choisi, on ne risque pas d'avoir déjà formé une alliance.

    Elle s'assit sur son lit en soupirant :

    -Pourquoi tu ne lui as pas dit qui tu étais vraiment ?

    Boue haussa les épaules :

    -Si le chef ne lui a pas dit c'est pour une bonne raison. Et je n'ai pas particulièrement envie d'attirer son attention, crois moi. Elle me fait déjà bien assez peur comme ça.

    Luciole eut un petit rire :

    -Toi ? Peur d'elle ?

    Boue grogna et s'apprêta à ressortir.

    -Où tu vas? Fit Luciole.

    -Chercher mes vêtements et après en ville. Nous avons la journée pour nous et il est hors de question que je passe cinq minutes de plus dans cette robe.

     

    Elle sangla son sabre dans son dos et soupira d'aise. Ses vêtements étaient un peu raides et usés, mais bien plus pratiques que la robe. Luciole ne l'avait pas imité et portait encore les couleurs de l'Impératrice.

    -Tu ne viens pas ? Demanda Boue.

    -Je crois que je vais explorer un peu le palais. Il a l'air suffisamment grand pour que je m'y perde.

    Boue fronça les sourcils :

    -Fais attention à ne pas te frotter à trop de gens étranges.

    -Si tu parles du Prince, je ne vois pas pourquoi il viendrait me parler. Mais ne t'en fais pas, va t'amuser et on se retrouve plus tard. Si tu me trouves une chemise neuve je suis preneuse.

    Boue agita la main et sortit de leur petite chambre.

    Elle descendit le couloir des servantes d'un pas tranquille, saluant aimablement celles qui n'étaient pas encore descendues. Elle emprunta un escalier de service et après de nombreuses marches se retrouva dans le passage menant aux cuisines. Une bonne odeur de pain frais lui rappela qu'elle n'avait pas encore pris de petit déjeuner. Elle suivit son nez et se retrouva bientôt à l'entrée des cuisines les plus immenses qu'elle avait jamais vues. Elle fronça un instant les sourcils avant de secouer la tête et d'entrer. Il y avait un monde impressionnant. Servantes et marmitons se bousculaient dans tous les sens, criant et s'insultant sans jamais rien renverser. Une femme semblait régner sur tout ça. Assez mince elle respirait néanmoins une force que seules les femmes de sa position peuvent posséder. La cuisinière semblait voir tout, savoir tout. Elle remarqua Boue au moment où celle-ci posa le pied sur le pas de la porte et glissa rapidement jusqu'à elle.

    -Vous désirez ?

    -Euh... j'ai senti l'odeur du pain.

    La femme la regarda un instant, l'examinant de la tête au pied. Boue enfonça les mains dans les poches de son pantalon et carra les épaules, jetant un regard défiant à la femme.

    -Eclaireur. Vous ne devez rien connaître à la bonne chaire. Attendez un instant, quelqu'un va vous apporter à manger. La prochaine fois venez en même temps que tout le monde dans la salle.

    La femme se détourna sans un mot de plus et quelques secondes plus tard un jeune garçon apparut devant Boue, portant une tasse de lait fumante et une tranche de pain beurré, encore chaude du four.

    -Tenez. Vous pouvez aller vous installer là bas, fit il en montrant une table près de la cheminée.

    Deux gardes en armures y étaient installés, mangeant avec appétit ce qui semblait être un ragoût épais. Boue les rejoignit et ils la saluèrent d'un air surpris lorsqu'elle s'installa.

    -Vous n'êtes pas d'ici, fit l'un d'eux en enfournant une énorme cuillerée.

    C'était un jeune homme d'une vingtaine d'année, les cheveux bruns, les yeux sombres. Il avait cet air candide et suffisant des nouvelles recrues.

    Boue haussa les épaules en entamant sa tartine. Le deuxième garde sourit. Il avait la même allure mais quelque chose dans son regard le classait dans la catégorie des vétérans.

    -Tu as toujours la même amabilité.

    Boue tourna vivement le regard vers lui et eut un long moment avant de le reconnaître. Avalon. L'un des gardes devant la tente du général. Elle grogna :

    -J'aurais préféré ne pas être si mémorable.

    L'homme éclata presque de rire. Il se retint au dernier moment, figé par le regard noir de Boue. Il se contenta de secouer la tête avant de se remettre à manger. Le premier les regardait d'un air perplexe et vraisemblablement agacé de ne pas être mis au courant. Il finit par demander d'une voix un peu sèche :

    -Et vous êtes qui au juste ?

    Boue s'était détourné et lui jeta à peine un regard pour répondre d'une voix neutre :

    -Boue.

    L'autre attendit un instant qu'elle précise mais comme elle restait silencieuse il se tourna vers son compagnon :

    -Tu m'expliques ?

    L'autre avala sa cuillerée et soupira :

    -C'est une éclaireur. Elle était au siège d'Avalon avec sa compagnie.

    L'autre la regarda d'un air perplexe. Vexée, Boue eut un grognement mauvais. Elle avala d'un trait son lait et quitta la table sans un mot. Elle alla déposer sa chope sur la pile de vaisselle sale et, après avoir remercié la cuisinière, sortit.

    Le soldat d'Avalon la rattrapa dans la cour.

    -Attend !

    Elle se retourna et le regarda d'un air surpris :

    -Qu'est ce qu'il y a?

    -Je ne me suis jamais présenté : je suis le sergent Kymé.

    -Sergent ?

    -Promu après la bataille.

    Elle hocha la tête et serra la main qu'il lui tendait.

    -Tu allais quelque part ?

    -En ville. J'ai des choses à récupérer.

    -Je peux t'accompagner ? Je ne suis pas de service ce matin.

    Elle eut une moue qui semblait signifier son accord. Ou quelle s'en moquait.

    Elle jeta un coup d'oeil derrière elle. Le deuxième garde les regardait depuis les marches de la cuisine.

    -Tu le laisses tout seul ?

    Il soupira :

    -C'est mon cousin. Il vient d'entrer dans la garde et je suis censé le surveiller. Il a tendance à faire des bêtises. Ça t'embête s'il vient avec nous ? Il ne connaît personne encore.

    Boue hésita un instant puis haussa les épaules :

    -Fais comme tu veux.

    Kymé eut un sourire qui éclaira son visage et retourna vers les cuisines. Boue le suivit un instant du regard, le visage impassible, avant de se détourner pour se concentrer sur les remparts.

    Kymé et son cousin revinrent bientôt. Boue regarda le cousin une seconde mais comme il ne disait rien elle pivota vers la sortie.

    -On y va ?

    Ils traversèrent la cour d'un pas rapide et se dirigèrent vers la ville.

    -Tu disais aller où, déjà ?

    -Je ne l'ai pas dit. Je dois aller au relais d'abord.

    Kymé hocha la tête mais Klaus ne sembla pas comprendre. Boue soupira d'impatience avant d'expliquer :

    -Le relais des éclaireurs.

    -Qu'est ce que c'est ?

    Elle le regarda d'un air franchement surpris et Kymé grimaça. Klaus se renfrogna :

    -La ferme de mes parents est loin de tout et je n'avais jamais voyagé avant de venir ici.

    -Et tu n'as jamais entendu parlé des relais pendant ton voyage ? Etonnant.

    Il haussa les épaules et Kymé lança un regard amusé à Boue. Elle l'ignora mais se mit néanmoins à expliquer d'un ton indifférent.

    -Les Eclaireurs forment un corps très mobile dans l'armée Impériale. Nous ne sommes que rarement cantonné à un seul endroit et il est très rare que nous nous déplacions en compagnies complètes. La plupart du temps nous sommes divisés en petites équipes de deux et allons là où l'on a besoin de nous. Le camp de base est situé sur Ile, pas très loin d'ici. Les relais ont été créés pour faciliter notre circulation. On y trouve toutes les choses utiles à nos missions. Il y a toujours du monde dans un relais.

    -Et les relais ne sont jamais attaqué ? Il y a pourtant beaucoup de brigands sur les routes non ? Des groupes énormes parfois à ce que j'ai entendu.

    Boue lui jeta un regard franchement méprisant et ne répondit pas. Klaus eut la bonne grâce de rougir.

    -Est ce que tu vas venir t'entraîner avec nous ? Demanda Kymé pour changer la conversation. On aurait bien besoin d'un peu de nouveauté. Surtout maintenant que le Prince nous fait grâce de sa présence...

    -On verra, éluda-t-elle.

    Une douleur lui fit porter la main à son ventre et elle s'empêcha de grimacer et de ralentir. Ils ne semblèrent rien remarquer et Klaus indiqua une rue de la main :

    -Si on va par là on tombera sur le port. Est ce qu'on pourra entrer dans le relais ?

     

     

    Ce fut Kymé qui les guida jusqu'au relais. Il se situait au fond d'une impasse aux murs aveugles et aux portes basses dans le troisième cercle de la ville. La ville était formée de quatre cercles chacun entouré d'une épaisse muraille percée de deux portes. Le plus au centre était celui du palais et tout le monde n'y avait pas accès. Le second renfermait les maisons de villes des nobles ainsi que les guildes les plus riches et le trésor royal. Le troisième était celui du port et des commerces ainsi que de la plupart des guildes. La population du troisième était de manière générale assez aisé mais tous ceux qui travaillait dans le troisième cercle n'y habitaient pas forcément. Le quatrième était les faubourgs qui ne répondaient à aucune règle d'habitation particulière si ce n'était que les plus pauvres y habitaient, ainsi que ceux qui préféraient rester loin des routes principales. Il était formellement interdit de construire au delà des murailles.

     

    Boue eut un sourire devant l'air impressionné de Klaus. Il avait beau avoir le même âge qu'elle il avait vraiment l'air d'un gamin. Ils s'arrêtèrent devant une porte d'aspect banal dont seule la poignée en tête de loup indiquait son appartenance.

    Boue frappa et après un moment la porte s'ouvrit :

    Un homme se découpa dans l'embrasure. Il était immense et vêtu du noir des éclaireurs il était assez effrayant. Son crâne était rasé et tatoué et une longue moustache poivre et sel recouvrait sa lèvre.

    -C'est pourquoi ?

    -Boue Finylt, dixième.

    L'homme l'étudia un instant, son regard s'attardant sur la poignée de son épée qui dépassait de son dos et sur la cicatrice encore visible sur son visage.

    -Pol m'avait dit que tu devais arriver. Et eux ?

    -Des gardes du palais.

    Il leur jeta un dernier coup d'oeil avant de dire :

    -Entre. Ils restent dehors.

    Elle se tourna vers ses compagnons qui semblaient déçus :

    -Je vous retrouve plus tard.

    -On sera au Loup de Bois.

    Elle hocha la tête et entra, refermant la porte derrière elle.

    -Je suis Hugh, fit-il en refermant la porte. Il n'y a pas beaucoup de monde de levé pour le moment alors on devrait être tranquille.

    Boue hocha la tête et lança un coup d'oeil à son environnement. L'intérieur ressemblait à celui de tous les autres relais. Sombre mais propre et ordonné, une grande table pour le moment inoccupée en occupait le centre et une cheminée allumée enfumait l'endroit. Boue sourit. Elle adorait les relais.

    -Pol est ici ?

    -Il est repartit tôt ce matin. Des petites choses à régler. Il m'avait dit que tu devais venir à Atlantide mais il ne m'a pas dit pourquoi.

    Boue grogna:

    -Je suis au service de l'Impératrice avec une autre éclaireur de ma compagnie.

    Il eut l'air étonné :

    -Ah oui ?

    Boue secoua la tête d'un air sombre et il n'insista pas.

    -Est ce qu'il y a des uniformes ici ?

    -On en a reçu des neufs récemment. C'est vrai que le tient est dans un sale état.

    -Ile n'avait plus rien à ma taille.

    -Viens allons voir.

    Ils quittèrent la salle principale en empruntant un long couloir sombre bordé de portes.

    -Des réserves, la salle des cartes, la salle de bain, indiqua Hugh au fur et à mesure. On a même l'eau chaude ici.

    Boue poussa une exclamation ravie :

    -Vraiment ?

    -Elle y est au palais aussi tu sais.

    -Je ne pensais pas qu'un relais y avait droit.

    -Bienvenue à Atlantide.

    Ils s'arrêtèrent devant la dernière porte et Hugh entra. Une petite pièces pleine d'étagères recouvertes de vêtements et de tabards.

    -Tu n'as pas ton tabard, remarqua Hugh.

    Boue secoua la tête.

    -Tu en veux un neuf ?

    -ça ira. Je ne le mets pas souvent.

    Il hocha la tête :

    -Bon je te laisse choisir et essayer. Tu sais comment ça fonctionne.

    Il la laissa et elle entreprit de fouiller dans les étagères pour trouver une chemise et un pantalon à sa taille. Elle aurait aimé une paire de bottes neuves également mais il ne semblait pas y en avoir ici.

     

    Elle retourna dans la salle quelques minutes après, vêtue de neuf avec un sac en toile sur l'épaule.

    -J'ai pris un change pour Luciole, l'autre éclaireur.

    Hugh hocha la tête. Il était assis à l'extrémité d'une table, le visage tourné vers la cheminée, sirotant une bière. Boue se dirigea vers un placard et après avoir fouillé quelques instant revint avec une écuelle qu'elle alla remplir d'un ragoût qui mijotait près du feu. Elle s'assit et mangea en silence les yeux dans le vague. Ils n'ajoutèrent rien et quand Boue eut terminé son assiette elle se leva, alla la nettoyer et la rangea.

    -J'y vais, fit elle en e dirigeant vers la porte, merci pour les uniformes.

    Hugh sembla se réveiller et lança :

    -Je dirais à Pol que tu es passée. Tu restes combien de temps ?

    -Probablement jusqu'au printemps.

    -Bon courage. Atlantide en hiver, c'est déprimant.

     

    Elle quitta l'impasse mais au lieu de prendre la direction du port elle s'enfonça dans les ruelles étroites qui menaient vers la ville basse. Elle marcha un long moment entre les maisons cossues de la deuxième enceinte, enregistrant inconsciemment toutes les impasses, les rues plus larges que d'autres, les placettes. Elle arriva bientôt devant la porte qu'elle avait empruntée à son arrivée. Elle était ouverte et traversée d'un flot continu de marchands en tous genres. Elle prit place dans la queue des piétons et se retrouva bientôt de l'autre côté.

    Les premières rues ne semblaient pas très différentes de ce qu'elle avait vu dans la troisième enceinte, mais dès qu'elle quitta la voie principale elle découvrit un tout autre aspect de la ville. Les maisons étaient basses, aveugles, collées les unes aux autres. Les cours fleuries avaient disparues remplacées par des carrés de terre battue, parfois plantés de quelques légumes et herbes folles. Boue déambula un instant, hésitante sur la route à suivre. Elle n'était pas certaine de l'aspect de ce qu'elle cherchait. La rue dans laquelle elle était n'était pas très fréquentée et elle finit par retourner sur une rue un peu plus commerçante. Elle descendit la rue pavée, évitant les chariots et les marchands ambulants et s'arrêta devant une petite boutique d'aspect pauvre mais propret. Il n'y avait pas d'ouverture sur la rue, mais la porte assez large était ouverte. Sur un panneau suspendu au dessus une fleur était représentée en couleurs vives.

    Boue entra et ses yeux eurent un léger temps avant de s'adapter au peu de lumière de l'endroit uniquement éclairé par une cheminée allumée et une seconde porte, ouverte sur une courette dans laquelle des plantes en pots étaient posées. L'intérieur de la boutique était assez petit, d'autant plus réduit par les étagères et meubles à tiroirs recouverts de jarres en tous genres et disposés le long des murs. Boue s'avança vers le comptoir au fond de la pièce et fit retentir la clochette posée dessus.

    Une femme apparut presque immédiatement dans l'encadrement de la porte du fond. Elle portait une robe grise recouverte d'un tablier qui avait dut être blanc, et ses cheveux châtains grisonnant étaient remontés en un chignon duquel s'échappait quelques mèches rebelles. Elle sourit à Boue en essuyant ses mains pleines de terre.

    -Bonjour ! Excusez ma tenue, je m'occupais de mes plantes. C'est incroyable la difficulté que l'on peut avoir à faire pousser quelque chose dans cette ville. Que puis-je faire pour vous ?

    -On m'a dit que je pourrais trouver de l'élixir de Fleur du Désert ici.

    Boue commençait à transpirer. Sa petite marche l'avait fatiguée et son ventre la lançait. Elle n'avait rien prit depuis son départ d'Ile. Le doc l'avait prévenu qu'elle ne tiendrait pas. Elle aurait du l'écouter. La femme haussa un sourcil en répondant :

    -Je vais vous en chercher, ne bougez pas.

    Elle disparut derrière un rideau de toile rouge épaisse, situé dans un coin de la pièce. Boue ferma un instant les yeux. Elle les rouvrit brusquement en entendant la femme revenir.

    -Voilà, fit elle en posant une petite fiole sur le comptoir. Pas plus de deux goûtes à chaque fois et pas plus de trois fois par jour. Vous êtes sure d'avoir besoin de quelque chose d'aussi fort ? J'ai de très bons remèdes ici qui sont beaucoup moins dangereux et moins chers vous savez.

    Boue secoua la tête :

    -Je suis sure.

    La femme ne semblait pas vouloir lâcher la petite bouteille :

    -J'espère que vous ne voulez pas vous en servir à mal, fit elle d'un ton suspicieux, parce que vous avez une allure quelque peu menaçante.

    Boue leva les yeux au ciel :

    -Non madame, je n'ai pas l'intention de m'en servir à mal.

    Mais la femme ne semblait toujours pas convaincue. Boue grogna et délaça sa veste de cuir. La femme et regardait d'un air un peu surpris quand, d'un coup sec, Boue souleva sa chemise.

    La guérisseuse baissa les yeux, ses sourcils se haussant très hauts derrière ses mèches folles.

    -Je vois.

    Elle lâcha la bouteille et releva les yeux :

    -Est ce si grave que ça en à l'air ?

    Boue se rhabilla :

    -ça l'était. C'est mieux.

    -Si jamais il vous faut autre chose n'hésitez pas à revenir. Surtout faîtes attention à ne pas trop prendre de ça, ajouta-t-elle en tapotant la fiole, même si vous souffrez. Ça pourrait faire plus de mal que de bien.

    -J'y penserai. C'est combien ?

    La femme consulta un petit carnet qu'elle tira de sous le comptoir avant de répondre :

    -Trois pièces d'or.

    Boue grimaça mais décoinça la pochette dissimulée dans sa ceinture et compta les pièces qu'elle déposa sur le bois. La femme la regarda d'un air songeur :

    -Je ne devrais pas m'en préoccuper puisque vous me payez, mais vous savez qu'ils en ont au palais ? Vous logez au palais n'est ce pas ? Vous auriez probablement pu en avoir gratuitement là-bas.

    -Je sais.

    La femme attendit qu'elle poursuive mais comprenant que Boue n'ajouterait rien elle finit par prendre les pièces et les ranger.

    -Surtout n'attendez pas d'être mal avant de revenir. Au moindre problème vous venez me voir. J'habite au dessus. Ne soyez pas aussi stupide que les autres soldats.

    Boue la regarda, étonnée de sa sollicitude. La femme avait l'air vraiment inquiète. Boue sourit gentiment :

    -Je le ferais. Merci de votre aide.

    La femme hocha la tête et regarda Boue sortir en secouant la tête. Elle ne comprendrait jamais les éclaireurs.

     

    Boue ne rejoignit pas les deux gardes immédiatement. Elle erra un moment dans les bas quartiers, étudiant les enseignes et les habitants. Elle finit par entrer dans une auberge minuscule et sombre. Elle se sourit à elle même en se disant que c'était le seul endroit où sa tenue ne semblerait pas étrange.

    Les quelques personnes qui se trouvaient dans la salle portaient des tenues de routes sombres et pratiques. Des armes dépassaient de leurs ceintures ou étaient posées sur les chaises, et les conversations se faisaient à voix basse. Boue n'hésita pas en entrant et se dirigea vers le comptoir où l'aubergiste la dévisagea d'un oeil suspicieux.

    -Une bière, fit elle tranquille.

    L'homme attrapa une chope en étain qu'il remplit à un tonneau posé derrière lui avant de la poser sur le comptoir. Boue tira une pièce de cuivre de sa ceinture et la posa sur le bois. Elle prit sa bière et se dirigea vers une table près du mur. Elle s'assit face à la salle et se mit à siroter tranquillement sa boisson, les yeux dans le vague. Les autres consommateurs ne mirent pas longtemps à accepter sa présence et le bourdonnement de conversations à voix basses reprit bientôt.

    Boue ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait ici. Elle n'avait même pas prévu d'y entrer avant de se retrouver dedans. Elle observa les autres buveurs. Trois hommes étaient assis à une table de l'autre côté de la petite pièce. Des sacs de voyages étaient posés à leurs pieds et des épées étaient appuyées contre la table. Leurs vêtements étaient sales mais solides et confortables. Ils ne semblaient pas se préoccuper de leur environnement et Boue les rangea dans la catégorie des mercenaires. Une femme et un homme étaient assis près de la porte. Ils ne parlaient pas et ne touchaient pas aux chopes posées devant eux, se contentant d'observer la salle d'un regard nerveux. Ils étaient assez jeunes et malgré leur apparente saleté semblaient trop bien portant pour être des soldats. Probablement des fuyards. Un couple peut être.

    Boue se redressa en grimaçant et sortit la petite fiole de sa bourse. Elle versa deux goûtes du liquide bleuté dans sa bière et la rangea prestement, vérifiant du coin de l'oeil que personne ne surveillait son petit manège. L'aubergiste la regardait d'un œil méfiant mais elle savait qu'il ne dirait rien. C'était mauvais pour les affaires de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Elle avala d'un trait la fin de sa chope et pinça les lèvres pour s'empêcher de régurgiter le tout. L'essence avait un goût horrible. Un mélange d'herbe moisie et de corps en décomposition. Elle s'apprêtait à aller faire remplir sa chope quand la porte d'entrée s'ouvrit à nouveau. Elle lança un regard distrait vers le nouvel arrivant et se figea.

    Rif s'immobilisa sur le pas de la porte, semblant prendre le temps d'habituer ses yeux à la lumière avant d'entrer, le battant se refermant derrière lui.

    Boue était restée assise, incapable de décider si elle devait le reconnaître ou l'ignorer. Elle ne l'avait jamais vu dans un endroit publique avant. Elle ne put s'empêcher de remarquer qu'il avait l'air en pleine forme. Ses vêtements de voyages étaient sales mais presque neufs, et malgré la boue sur sa cape on pouvait encore apercevoir le riche bleu du tissus.

    Boue s'était résolu à ne pas bouger et elle détourna le regard, essayant d'imaginer un plan pour sortir sans qu'il ne la remarque. Mais quand il s'arrêta juste devant sa table elle fut bien obligée de lever les yeux.

    Il la regardait d'un air curieux, la tête légèrement penchée sur le côté, semblant attendre une explication.

    -Je ne m'attendais pas à te croiser ici, fit il en haussant les sourcils.

    Il ne souriait pas pour une fois et Boue se sentit mal à l'aise, comme si elle était prise dans un lieu où elle n'était pas censée être.

    -Je ne m'attendais pas à te croiser non plus.

    Il souffla d'un air amusé et s'assit, croisant ses longues jambes avec un air détendu. Boue le regarda, s'efforçant de ne pas détailler ses larges épaules, ou son torse musclé sous sa chemise sombre, ou son ventre plat ou...

    Elle pinça les lèvres et s'adossa à sa chaise. Il eut l'air surpris:

    -Tu sembles en colère. J'ai fait quelque chose de mal ?

    -Qu'est ce que tu fiches à Atlantide ?

    -Je dois rencontrer des gens.

    Elle haussa les sourcils en une question muette.

    -Non, tu ne sauras pas qui ils sont.

    -Tu t'es déjà penché sur le fait que tu connais presque tout de ma vie et moi rien de la tienne ? C'est assez injuste comme procédé.

    Il grogna et ferma les yeux un instant, croisant les bras derrière sa tête. Il les rouvrit en soupirant :

    -C'est pour un boulot. Je rencontre des gens pour un travail que je dois effectuer et ils doivent m'en donner les détails. Tu n'en sauras pas plus sur ce sujet.

    -Où est ce que tu vas entre les moments où tu viens prendre des nouvelles de ma santé ?

    Il leva les yeux au ciel :

    -Tu veux vraiment entamer cette conversation maintenant ?

    -Tu vois un meilleur moment ? Je ne suis ni blessée ni sur le point de l'être et tu es là, apparemment sans obligations urgentes puisque tu as pris le temps de venir discuter avec moi.

    -Je vais un peu partout. Là où je peux trouver des choses à faire.

    -Quel genre de choses ?

    Il la regarda d'un air amusé et elle grogna en détournant le yeux:

    -Ce genre de chose.

    Elle observa un instant le couple qui les regardait d'un œil apeuré.

    -C'est pour ça que tu es là ?

    -Tu veux vraiment savoir ?

    Elle allait répondre quand deux hommes entrèrent dans la salle. Ils regardèrent dans leur direction et parlèrent à voix basse, immobile sur le seuil.

    -Je crois que c'est pour toi, fit Boue en les indiquant de la tête.

    Rif se retourna et examina les deux hommes.

    -Oui, je crois aussi.

    Boue se leva en soupirant:

    -Je m'en allais de toute façon. Tu reste longtemps ici ?

    -Je te trouverais avant de partir.

    Elle hocha la tête et s'en alla, jetant un coup d'oeil aux deux hommes lorsqu'elle les dépassa. Ils la dévisagèrent de haut en bas avant de rejoindre la table qu'elle venait de quitter. La porte se referma avant qu'elle n'eut pu voir la suite.

     

    Elle quitta les bas quartiers d'un pas tranquille et rejoignit bientôt le port. Elle tourna un moment avant de retrouver l'auberge que Kymé et son cousin lui avait indiqué. La mi-journée approchait et elle avait de nouveau faim. La douleur de son ventre s'était calmée et avait presque disparu. Le ciel s'était légèrement couvert et un crachin commençait à tomber.

    L'auberge avait meilleure allure que celle qu'elle venait de quitter. Une large verrière faite de petits carreaux d'une couleur vert bouteille maintenus ensemble par un quadrillage de plomb s'ouvrait à gauche de la porte. Un enseigne peinte de couleurs vives était suspendue au dessus et un nuage de fumée s'échappait à chaque fois que la porte s'ouvrait.

    Boue entra et chercha ses compagnons du regard. Ils étaient installés près d'un mur en compagnie de deux autres hommes que Boue ne reconnu pas tout de suite. Elle fronça les sourcils. Kymé semblait à l'aise, mais son cousin ne cessait de s'agiter nerveusement sur sa chaise. Ce fut lui qui l'aperçut en premier et il eut l'air soulagé de la voir arriver. Elle s'approcha de la table et regretta instantanément sa décision. Les deux inconnus ne l'étaient pas tant que ça. L'un d'eux était le général Flinn dont elle avait cassé le nez, quelques semaines plus tôt, au pied des murailles d'Avalon. L'autre était le médecin qui l'avait soignée sur place. Ce dernier hocha la tête en la reconnaissant, sans s'attarder sur la blessure de son visage qui ressortait encore légèrement sur sa peau pâle. En revanche le général poussa une exclamation de surprise en la voyant :

    -Soldat Finylt ! Vous avez une mine affreuse ! J'avais entendu parler de vos blessures mais je ne m'attendais pas à cela !

    Boue s'assit sur une chaise libre et le dévisagea d'un air peu amène.

    -Merci de votre délicatesse général, ça fait toujours plaisir de se sentir admirée.

    L'homme éclata de rire, pas désolé le moins du monde. Les trois autres semblaient un peu mal à l'aise.

    -Ne vous en faite pas, même cette cicatrice ne gâche pas vos jolis yeux.

    Boue eut un sourire, vaguement gênée et changea le sujet.

    -Comment va votre nez ? Il n'a pas l'air d'avoir gardé une marque.

    -Notre bon médecin ici présent est très doué dans ce domaine. Néanmoins il est resté légèrement tordu. Dommage pour ma vanité.

    Le médecin grimaça et secoua la tête :

    -ça se voit à peine, arrête de te plaindre.

    Kymé eut un sourire, habitués aux échanges entre les deux hommes, mais Klaus se tortillait toujours sur sa chaise. Boue se demanda un instant si elle devait l'inclure dans la conversation avant d'abandonner. Elle n'était pas sa mère.

    -Qu'est ce que vous faites à Atlantide ? Demanda Boue en s'installant plus confortablement.

    -Avalon est tombée alors on est rentré au bercail en attendant de nouveaux ordres. Le Duc et l'Impératrice sont en pleine discussion en ce moment pour savoir où nous envoyer en premier.

    -Le Duc De Guerre, fit Kymé en voyant l'expression perdue de son cousin, le Commandant suprême des armées. Chaque armée est composées de plusieurs unités chacune dirigée par un capitaine secondé de sergents. Chaque corps d'armée est dirigé par un Commandant qui lui est soumis au Général, qui dirige l'armée dans son ensemble. Il y a actuellement quatre armées complètes dans l'Empire qui sont toutes sous les ordres du Duc qui lui même siège au conseil impérial.

    -De quelle armée dépendent les éclaireurs ? Fit Klaus en se tournant vers Boue.

    -D'aucune en particulier. Nous formons un corps indépendant ne rendant des comptes qu'à l'Impératrice et au Prince Consort.

    -Le Prince aussi ? Dit Flinn d'un air étonné.

    Boue hocha la tête :

    -Il n'a pas vraiment d'autorité en la matière, puisqu'il est soumis à l'Impératrice, mais dans le cas où elle serait... indisponible, il a autorité directe sur nous.

    -Pas sur toutes les armées ?

    Elle secoua la tête :

    -Le reste dépendrait du conseil. Le Prince fait partie du conseil mais n'a qu'une position de conseillé, rien de plus.

    -Et si l'Impératrice, les Dieux la protège, fit le médecin, venait à mourir sans héritier ? Elle n'a pas d'héritier pour le moment n'est ce pas ?

    -Alors le Prince deviendrait régent jusqu'à la désignation d'un héritier.

    -Comment tu sais tout ça ? Demanda Kymé d'un air impressionné.

    -J'ai potassé pendant ma convalescence.

    Ils eurent un sourire et le général demanda :

    -En parlant de convalescence, quand viens-tu t'entraîner avec nous ?

    Le médecin haussa les sourcils en regardant Boue. Il était probablement le seul du groupe à avoir pleinement conscience de la gravité de ce qu'elle avait subit.

    -Pas tout de suite, fit Boue d'un ton détaché, j'ai pas mal de choses à régler pour le moment.

    Les autres eurent l'air déçu et le médecin la regarda d'un œil critique. Elle l'ignora et se leva pour aller se chercher à boire. Il y avait du monde au comptoir et elle s'accouda pour attendre. Elle regrettait d'avoir accepté la compagnie des soldats. Elle n'avait pas envie de se rappeler à quel point elle était passée près de la mort. Et ce qu'elle lui avait arraché.

    Sa bière n'arrivait toujours pas. Elle eut un grognement et abattit brutalement son poing sur le bois :

    -Patron ! Vous attendez le déluge ?

    L'homme à la stature de barrique eut une grimace de colère en entendant cette voix féminine oser réclamer dans son établissement. Il se retourna avec l'intention de la remettre à sa place. Il croisa le regard mauvais de Boue. La bouche de la jeune femme formait un pli agacé et son regard le défiait de répondre. Elle n'avait qu'une envie, c'était de briser la mâchoire de quelqu'un et elle était persuadée que celle d'un vulgaire aubergiste ferait l'affaire. L'homme était plus sage qu'il n'y paraissait. Son visage était toujours froissé de colère quand il posa la chope devant elle, mais c'était plus pour la forme. Boue posa sa pièce de cuivre sur le comptoir d'un geste sec et s'en alla sans un autre mot. Elle rejoignit sa table et s'assit sous le regard intrigué de Klaus :

    -Pourquoi vous faites cette tête là ? Demanda-t-il.

    -Mêle toi de ce qui te regarde, répondit-elle sèchement.

    Il se renfonça dans sa chaise d'un air renfrogné. Flinn regarda Boue avec un grand sourire :

    -Ah ! Fit il d'un ton enjoué, Enfin te voilà de retour. Je me demandais quand ton mauvais caractère réapparaitrait.

    -Ta gueule.

     

     

    Quand Boue retourna au palais elle se trompa d'escalier et se perdit dans un dédale de couloirs inconnus. Elle tourna longtemps avant de se perdre complètement et finit par se retrouver devant une double porte, ouverte sur ce qui semblait être une immense bibliothèque poussiéreuse. Sa curiosité l'emporta sur son inconfort et elle entra. Un homme était assis à un bureau près de l'entrée. Il eut l'air surpris de voir du monde.

    -Mademoiselle ? Vous désirez quelque chose ?

    -Oh... euh... pas vraiment.

    Il eut un sourire devant sa gêne.

    -Vous vous êtes perdue j'imagine. Vous êtes nouvelle au palais ?

    -Oui, je suis arrivée hier soir. C'est la bibliothèque officielle ? Je l'imaginais plus...
    -Propre ? Impressionnante ? Ne vous en faites pas, moi aussi. Et puis on s'habitue. Vous lisez ?

    -Un peu. Je n'en ai jamais vraiment eut l'occasion. Il n'y avait pas beaucoup de temps pour ça sur Ile.

    -Oh.

    En bon bibliothécaire il savait tout ce qu'il y avait à savoir sur l'Empire.
    -Milles excuses. J'aurais du...

    -Ne vous en faites pas. Vous êtes le premier à ne pas me dévisager grossièrement, c'est reposant.

    Elle voulut s'étirer mais un pic de douleur la fit se plier en deux et elle sut s'appuyer sur un mur, soufflant bruyamment.

    -ça va aller ? Fit l'homme d'un air inquiet.

    Il était sortit de derrière son bureau. Il était vêtu d'une grande robe sombre et malgré ses cheveux gris il ne semblait pas très vieux. Il était assez grand et maigre mais lorsque Boue s'appuya sur le bras qu'il lui tendait il ne flancha pas.

    Il la fit s'asseoir un peu plus loin, sur une chaise capitonnée.

    -Blessure de guerre ? Demanda-t-il.

    -Oui.

    Boue avait toujours une main posée sur son ventre mais son souffle s'était calmé.

    -Merci, fit elle.

    L'homme sourit gentiment :

    -Oh je m'en voudrais de laisser souffrir l'un de mes rares visiteurs.

    L'homme avait l'air sympathique et Boue lui sourit en retour. Il prit une chaise et s'installa en face d'elle.

    -Je suis Elion, bibliothécaire royal.

    -Boue, Eclaireur.

    Ils se sourirent puis Elion demanda :

    -Alors dites-moi. Qu'aimez vous lire ?

    -Je dois avouer que je ne sais pas. J'ai surtout lu des récits de batailles et des rapports militaires jusqu'ici. Il n'y avait pas grand chose d'autre au camp. Mais je me rappelle un livre de contes que mon... que l'on me lisait quand j'étais petite.

    Elle ne comprit pas sa propre répugnance à parler de son enfance.

    -Hum, il faut donc commencer du début... voyons voir...

    Il se leva en marmonnant et se dirigea vers une étagère au fond de la salle. Il disparut derrière, laissant à Boue tout le loisir d'examiner l'endroit. La pièce était immense et haute de plafond. De grandes fenêtres sales l'éclairaient d'une lumière blafarde et l'air était froid. Des dizaines d'étagères étaient installées sans ordre apparent, créant un labyrinthe de livres. Boue se leva pour aller examiner les titres de l'étagère la plus proche. Elle sentit plus qu'elle n'entendit l'homme s'approcher derrière elle. Elle se retourna.

    -Oh ! Fit elle surprise, Votre majesté.

    Elle s'inclina maladroitement. Il eut un petit rire qui la fit frissonner.

    -Ne faites pas tant cas du protocole ici, fit il de sa belle voix grave, après tout personne ne nous regarde.

    Elle haussa un sourcils. Il sembla suivre sa pensée car il rit à nouveau.

    -Ah, vous êtes trop méfiante, mademoiselle.

    -Votre réputation vous précède.

    Celle d'un très très séduisant séducteur.

    -Et qu'en pensez vous ?

    Elle eut un demi sourire :

    -Pour l'instant elle me semble plausible.

    Ils furent interrompus par le bibliothécaire qui revenait.

    -Oh ! Votre majesté, je ne vous avais pas entendu arriver. Comment allez-vous aujourd'hui ?

    -Plutôt bien. D'autant que je viens de rencontrer une autre prise à conquérir.

    -J'ose espérer que vous ne parlez pas de mademoiselle ainsi en sa présence.

    -Je n'oserais pas, fit le Prince en s'inclinant légèrement devant Boue, je parlais de la jeune femme qui l'a accompagnée ici.

    Boue eut un grognement peu féminin qui lui valut les regards des deux hommes. L'un surpris, l'autre amusé.

    -J'espère qu'elle sait dans quoi elle tombe.

    -Très bien je le crois. Je doute d'ailleurs que la conquête soit compliquée.

    Boue n'en doutait pas. Luciole n'attendait probablement que ça.

    Elle soupira et haussa les épaules. Un serviteur s'annonça à l'entrée de la bibliothèque et l'homme en robe grise s'excusa, laissant les deux autres seuls, au grand dam de Boue qui se sentait un peu trop sensible au charme du prince.

    -Alors ? Que venez-vous faire dans cette belle bibliothèque ?

    -Je me suis perdue en tentant de retrouver ma chambre.

    Le prince sourit de plus belle.

    -Alors je suis content que ce palais soit un vrai labyrinthe cela m'aura permis de vous revoir plus rapidement que prévu.

    Boue ne répondit pas, tentant de trouver un moyen poli de s'enfuir. Elle se détourna légèrement, faisant mine de regarder les livres de l'étagère. Elle sentit le souffle du prince sur sa nuque quand il se pencha :

    -Je ne savais pas que vous lisiez le Lishâ.

    Elle jura intérieurement.

    -Je ne le lis pas. Je tentais de trouver un livre pour commencer mais il faut croire que je suis tombée sur la mauvaise étagère.
    Elle fit un pas sur le côté, évitant de toucher le Prince et s'enfuit sans un mot de plus.

    Elle retrouva sans grande peine le chemin de sa chambre et s'enferma à l'intérieur. Elle s'adossa au battant, respirant profondément. Cet homme avait quelque chose de terrifiant quand il s'y mettait.


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