• Le matin suivant Boue fut réveillée en sursaut par la cloche qui annonçait l'aube. Elle se redressa brutalement et s'empêtra dans ses couvertures avant d'aller s'écraser au sol. Luciole se redressa en grommelant.

    -Qu'est ce qui se passe ?

    -Je déteste cet endroit ! S'écria Boue en se relevant.

    Luciole la regarda d'un air blasé avant de se recoucher en soupirant. Boue aurait bien aimé faire de même mais la douleur de son ventre et sa vessie pleine la convainquirent de se lever. Elle s'extirpa de ses couvertures et sortit de la chambre en se frottant les yeux. Quelques servantes s'agitaient déjà dans les couloirs papotant gaiement en faisant la queue pour la salle de bain et les latrines. Boue fit de même, tentant de sourire et de se joindre aux conversations. Celles ci tournaient principalement autour du Prince Consort : on lui supposait une nouvelle amante. Les soupçons se portaient sur une jeune noble fraîchement arrivée des Iles de l'Océan avec son père.

    Les Iles n'appartenaient pas à l'Empire. C'était un archipel situé à plus d'une semaine de voyage des côtes Atlantes. Les Iliens venaient peu sur le continent, plusieurs décennies de guerres avec l'Empire les avaient rendus méfiants, mais la puissance de leur flotte était légendaire.

    Après de nombreux ports détruits et une flotte presque réduite à l'impuissance l'Impératrice avait finit par préférer entamer des négociations de paix.

    La jeune noble était arrivée avec la première délégation, un mois auparavant.

    Mais ce qui intéressait tout le monde ce matin là ce n'était pas la politique, malgré leur place au palais les femmes n'en avaient pas grand chose à faire. Non, ce qui les intéressait c'était la femme en elle même. D'une beauté à couper le souffle, elle avait fait tourner la tête d'un nombre incroyable d'hommes en quelques jours, Prince compris. Quand elle avait fini par accepter ses avances les rumeurs avaient été lancées : qui des deux maitrisait le plus la situation ?

    -Ils ne pourraient pas réellement être intéressés ? Demanda naïvement Boue.

    Elle se vexa quand des regards condescendant se posèrent sur elle.

    -Tu es nouvelles, fit une femme aux cheveux grisonnants qui se tenait derrière elle, mais un jour tu comprendras que le Prince n'est pas homme à tomber amoureux.

    -Qu'est ce qui vous fait dire ça ?

    Les femmes eurent un sourire :

    -Disons que lui et l'Impératrice se ressemblent plus qu'on ne l'admet généralement.

    Boue grimaça et les autres éclatèrent de rire.

     

    Quand se fut son tour elle s'approcha de l'un des grand baquet de bois et commença à le remplir. Deux autres femmes la rejoignirent et elles se glissèrent rapidement dans l'eau brûlante. La robinetterie et l'eau courant étaient encore une nouveauté pour elle mais elle était certaine de rapidement s'y habituer. C'était un luxe qu'elle trouvait particulièrement appréciable. Son ventre se contracta douloureusement sous la chaleur et elle grimaça.

    -ça va ? Demanda Edna, la femme aux cheveux gris.

    Boue hocha la tête, se détendant lentement

    -Comment tu t'es fait ça ?

    Ce fut à Boue de les dévisager d'un air condescendant et Edna soupira :

    -Bien sur. Je suis bête. Ça fait longtemps ?

    Elle haussa les épaules :

    -Un certain temps. Je commence à m'y faire.

    -ça doit être gênant.

    Boue se leva un peu brutalement, éclaboussant autour d'elle. Nue, musclée, les cheveux épinglés sur le haut de son crane. Elle ignora les regards critiques qui se tournèrent vers elle.

    -Je me débrouille.

    Elle enjamba le rebord et attrapa une serviette dans laquelle elle s'enroula. Elle salua rapidement et quitta la pièce. Elle eut le temps d'entendre Edna remarquer à voix basse :

    -Une femme ne devrait pas combattre comme ça, regardez ce qu'elle est devenue.

    Boue serra les dents et referma la porte derrière elle.

    Luciole était levée quand elle arriva :

    -Je vais à la salle de bain, tu m'attends pour descendre ?

    Boue acquiesça et Luciole sortit. Boue se dirigea vers son coffre et tira la petite fiole d'élixir de son sac. Elle se versa un verre d'eau et y ajouta une goute du liquide bleuté. Elle avala le tout en trois longues gorgées. Elle enfila son uniforme neuf et tressa ses cheveux avant de les enrouler en un chignon qu'elle épingla. Elle jura en sentant quelque chose glisser dans son décolleté et rattrapa vivement le dé avant qu'il ne tombe par terre : le lacet usé s'était brisé. Le dé blottit au creux de sa main, elle alla fouiller dans son sac et prit l'un des lacets de sa vieille chemise pour remplacer le précédent. Avant de remettre le dé à sa place elle l'examina attentivement. Le bois commençait à être tâché de tout ce qu'elle lui avait fait subir et elle savait que sa couleur marron n'était pas dû à l'âge. Elle le caressa légèrement du pouce, pensive, puis le rattacha autour de son cou le dissimulant sous sa chemise. Elle était peut-être superstitieuse, mais elle n'aimait pas le retirer.

    Luciole revint peu après et elles rejoignirent le groupe de caméristes qui allaient réveiller l'Impératrice.

     

    Il était bien trop tôt pour que les courtisans parcourent déjà les couloirs mais Alya, l'une des caméristes de l'Impératrice, leur affirma qu'elles croiseraient la nouvelle amie du Prince.

    -Elle est matinale, expliqua-t-elle, sa servante m'a dit qu'elle était parfois levée plusieurs heures avant l'aube.

    -Qu'est ce qu'elle fait pour avoir besoin de se lever si tôt ? Demanda Luciole d'un ton incrédule.

    -Ils disent qu'elle prie.

    Les autres murmurèrent d'un ton inquiet et Boue demanda d'une voix neutre:

    -Elle prie qui ?

    Alya haussa les épaules :

    -Qu'est ce que j'en sais ? Je ne me mêle pas de ces histoires, moi. C'est trop dangereux.

    Les autres hochèrent la tête et Boue sentit soudain le poids du dé autour de son cou.

    Prier demandait une diplomatie sans faille. Ou simplement une stupidité sans borne. Dans les deux cas, il était dangereux de laisser des rumeurs courir sur ce sujet. Et elle était bien placée pour le savoir.

    Elles entraient dans la Galerie Impériale quand elles croisèrent une jeune femme en robe bleue très simple. Plus petite que Boue, elle était néanmoins élancée, sa peau d'une teinte sombre, d'une couleur différente de ceux du sud. Ses cheveux noirs étaient détachés et tombaient en boucles gracieuses sur ses épaules. Une poitrine menue et bien faite, de longues jambes visibles dans la lumière, tout cela lui donnait une allure régale qui agaça Boue. Elle n'accorda pas un regard au groupe qui la dépassa et Alya attendit qu'elle ait disparu pour murmurer :

    -On dit qu'elle était prêtresse chez elle.

    Il n'y eut aucune réponse.

    Boue laissa son regard errer sur les fresques du plafond. C'était une représentation assez réaliste d'un ciel d'orage, peuplé de soldats, d'anciens Empereurs, d'animaux étranges et fantastiques. Boue grimaça en remarquant une scène d'accouplement entre un minotaure et ce qui semblait être une Impératrice. L'artiste avait visiblement eut droit à beaucoup de libertés.

     

    Les deux éclaireurs furent prier d'attendre à l'extérieur des appartements tandis que les camériste allaient s'occuper du réveil impérial. A entendre les bruits qui sortaient de la chambre, Camyl Troisième Du Nom ne devait pas apprécier l'heure de ce réveil. Boue laissa ses pensées vagabonder sur la jeune Ilienne. Elle semblait correspondre si parfaitement aux rumeurs que s'en était louche. Comme si tout avait été inventé dans un but précis. Lequel ? Boue n'arrivait pas à savoir. Mais elle n'était pas là depuis suffisamment longtemps pour réellement comprendre les rouages de ce jeu. Et elle espérait bien être partie avant d'avoir le temps de l'apprécier.

    Elles attendirent plus d'une heure devant la porte rouge. Les deux gardes finirent par perdre un peu de leur stoïcisme et leur demandèrent des nouvelles d'Ile :

    -Pol est-il toujours là-bas ?

    -Pol ? Demanda Luciole d'un air interrogatif.

    -Vous ne savez pas ? Demanda Boue surprise, Il est en poste à Atlantide en ce moment.

    L'homme la regarda d'un air méfiant :

    -Tu es sure de ce que tu avances ? Je l'aurais vu.

    -Il n'est pas là souvent d'après ce que j'ai compris. Vous le connaissiez bien ?

    L'autre haussa les épaules :

    -On était dans la même compagnie avant qu'on nous envoie ici. Mais ça commence à faire un moment.

    Boue n'ajouta rien mais Luciole fronça les sourcils :

    -Et vous n'êtes pas resté en contact ?

    Les deux hommes haussèrent les épaules :

    -Vous êtes trop jeunes pour comprendre.

    Luciole se renfrogna et Boue marmonna :

    -Il y a tellement de choses que j'espère ne pas avoir le temps de découvrir.

    La porte s'ouvrit et une servante apparut :

    -Elle est de mauvaise humeur, les avertit-elle avant de les faire entrer.

     

    Dedans l'Impératrice était debout sur un petit banc de bois, entourée de femmes portant tissus, épingles et aiguilles, fils, dentelles, flanelles, jupons, corsets, lacets, rubans, perles et pierres précieuses étincelantes à la lueur du feu qui ronflait dans l'énorme cheminée. Toutes s'affairaient autour de la majestueuse femme qui les surplombait du haut de son ridicule tabouret, uniquement vêtue d'un corset à peine serré et d'un jupon immaculé, bordé de dentelle.

    Les servantes les abandonnèrent à leur sort, retournant à leurs occupations sans le moindre mot.

    Le silence était total et Boue comprit pourquoi quand l'Impératrice se tourna vers elles: elle avait une gueule de bois. Boue retint difficilement l'irrésistible sourire qui lui montait aux lèvres. L'Impératrice avait le visage fatigué et les yeux cernés, son nez magnifique était rouge à force de se moucher et ses beaux yeux verts étaient minuscules de fatigue. Camyl, la femme la plus puissante du monde, siffla de colère en voyant la tête de Boue et celle ci se reprit bien vite. D'autant plus vite qu'un vigoureux coup de coude la rappela à l'ordre. Elle se tint droite et inexpressive aux côtés de Luciole qui, bien mieux qu'elle, tenait son rôle de soldat.

    L'Impératrice pinça les lèvres et fit signe aux deux jeunes femmes de se rapprocher:

    -Vos tenues sont peu appropriées à des femmes, fit-elle d'une voix sèche.

    Ni Boue ni Luciole ne répondirent, se contentant de rester immobiles, les yeux fixés sur le mur. Camyl plissa les yeux.

    -Soldat Finytl !

    Sa voix claqua et Boue se mit au garde à vous :

    -A votre service, Majesté.

    -Après réflexion j'ai décidé d'accordé l'une d'entre vous à mon époux. Il échappe bien trop souvent à sa garde pour la santé mentale de mes conseillers.

    Son ton était calme mais ses yeux luisaient de colère. Elle n'appréciait pas être obligée de faire quelque chose.

    -Vous devrez le suivre partout où il ira, et si cela signifie partager sa couche vous avez mon autorisation, et même l'ordre de le faire.

    Boue avala de travers.

    -Sa garde sera toujours présente aussi vous n'y êtes pour le moment pas obligée, mais dans le cas où il se retrouverait sans je vous interdit de quitter son côté, est-ce clair ?

    -Très clair, votre majesté.

    Boue contrôla la vague de panique qui menaçait de la submerger. Pourquoi elle ? Luciole aurait été plus que prête à s'occuper du Prince, elle en était sure. Elle...elle préférait ne pas penser au Prince. Et elle allait maintenant devoir le fréquenter toute la journée.

    -Je vous verrais régulièrement pour avoir votre rapport, ajouta l'Impératrice, je vous relève de la mission que je vous ai confié tant que cela ne touche pas directement mon époux.

    Elle dévisagea Boue un instant l'éclaireur préféra baisser les yeux. Elle devait s'avouer que cette femme lui faisait un peu peur.

    -Une servante vous attend pour vous mener à ses appartements.

    Boue eut un instant de silence avant de comprendre qu'on venait de la mettre à la porte. Elle salua et pivota avant de sortir d'un pas vif. Une toute jeune fille l'attendait à la sortie et, sans un mot, l'entraîna dans les couloirs.

     

    La tour Impériale, la plus haute du palais, était reliée au reste des bâtiments par un nombre presque infini de passerelles, de couloirs et d'escaliers. Conçu comme une véritable toile d'araignée le palais était labyrinthique. La tour du Prince était séparée de celle de l'Impératrice par la Bibliothèque. Bâtiment presque aussi large que haut il était l'un des plus vieux du château, au temps où celui ci n'abritait encore que la famille Impériale.

    La jeune servante emprunta sans hésitation un escalier étroit avant de pousser une porte menant sur une passerelle ouverte, s'élevant en un arc aussi gracieux que fragile. Boue s'immobilisa à son pied, soudain incertaine.

    -Tu es sure que c'est praticable ? Demanda-t-elle en frissonnant.

    Il ne pleuvait pas, mais le ciel blanc et le vent qui sifflait entre les tours ne rendait pas l'atmosphère particulièrement rassurante.

    -C'est le passage le plus rapide. Autrement il faut redescendre de deux étages pour retrouver l'autre passerelle, ou passer par la tour de justice pour rejoindre la tour de la bibliothèque avant de passer dans celle du Prince.

    -ça n'a pas l'air solide.

    La gamine haussa les épaules. Elle était maigrichonne sous sa robe rouge. Boue grimaça avant de grogner :

    -Très bien, très bien. Allons y.

    La fille s'engagea sur la passerelle et Boue la suivit, s'efforçant de ne pas s'agripper à la délicate rambarde de pierre et de garder les yeux fixés sur la porte qui s'approchait de l'autre côté. Quand le battant se referma après son passage Boue eut un discret soupir de soulagement et fut heureuse de se sentir à nouveau sur un sol qui ne tanguait pas.

    Elles empruntèrent un couloir étroit, aveugle et sombre avant de déboucher sur l'autre côté de la tour, face à une passerelle qui ressemblait désagréablement à la première. Boue eut un grognement mais ne s'arrêta pas, s'efforçant d'ignorer le vide qui s'étalait sous ses pieds et le fait que la ville semblait se trouver à des kilomètres en dessous d'elle.

    La porte de la tour Princière était peinte en bleu. Légèrement étonnée de ce changement de couleur Boue resta stupéfaite en découvrant la décoration intérieure. Les murs étaient fait d'une pierre blanche dans laquelle les décorations avaient été directement taillées : gravure, volutes, chapiteaux, bas reliefs, tout était arrangé et pas un angle ne semblait rester sans ornement. Les motifs étaient floraux, feuillus, ou présentaient d'étranges animaux issus d'un bestiaire mystérieux. Elle avança sans s'en rendre compte, fasciné par le décors. Seuls ses réflexes l'empêchèrent de s'écraser contre la servante qui s'était arrêté devant une porte noire, ornée d'argent et d'or.

    -Voilà.

    Boue hocha la tête et la gamine fit demi-tour, disparaissant rapidement dans le couloir étrange. Boue remarqua distraitement que les volutes brillants dessinés sur la porte évoquaient un ésotérisme de mauvais aloi dans un lieu où la prière était censée être bannie. Boue n'aimait décidément pas cette journée. Elle toucha nerveusement son dé avant de soupirer et de frapper à la porte.

    Une voix grave lui répondit. Elle poussa la porte.

     

    Le Prince la regarda entrer avec un haussement de sourcils surpris. Debout face à la cheminée, un livre à la main, il était uniquement vêtu d'un pantalon de toile blanche et ses cheveux blonds tombaient librement sur ses épaules. Il était magnifique et Boue fit un effort immense pour ne pas le fixer d'une manière tout à fait impolie.

    Elle ferma la porte derrière elle et se mit au garde à vous.
    -Soldat Boue Finylt votre majesté.

    -Et ?

    Boue se demanda soudain s'il était au courant.

    -Euh... L'Impératrice m'envoie.

    Il fronça les sourcils :

    -Pour quoi faire ?

    Elle réprima un grognement agacé et expliqua d'une voix neutre :

    -Elle me met à votre service, votre majesté. Je suis chargée d'assurer votre protection.

    Il la regarda un instant en silence, un petit sourire aux lèvres puis soupira :

    -Très bien.

    Il agita la main en se détournant et Boue prit ça pour une signe qu'elle pouvait se détendre. Il se dirigea vers un guéridon sur lequel il posa son livre. Un tapis épais recouvrait la presque totalité du sol, étouffant ses pas. Boue laissa son regard vagabonder un instant et fut amusée de l'atmosphère qui se dégageait de la pièce: des petites tables étaient disposées ça et là, recouvertes de livres, de papiers et de parchemins roulés. Un canapé et deux fauteuils étaient installés près de la cheminée, tous les trois encombrés d'objets hétéroclites, du sextant aux bottes en passant par d'autres énormes livres. Le tapis et les rideaux étaient un curieux mélange des couleurs impériales et des mystérieux volutes qu'elle avait déjà vus sur la porte. Boue releva les yeux et croisa le regard u Prince qui semblait l'étudier, les sourcils froncés. Elle pinça les lèvres, attendant en silence la fin de cet examens.

    -Vous êtes le soldat de la bibliothèque, n'est ce pas ?

    Sa voix était chaude, agréable. Il était impossible de ne pas l'apprécier. Néanmoins Boue s'agaça qu'il fasse semblant de ne pas se souvenir d'elle.

    -Oui, votre majesté.

    -Savez vous pourquoi l'Impératrice vous a envoyé vous, et pas votre camarade ?

    Boue le regarda d'un air mauvais :

    -Non.

    -Vous mentez, mais je ne vous en veux pas. Laissons tomber le sujet pour l'instant.

    Il sembla l'examiner à nouveau :

    -Vous êtes moins charmante que votre camarade, mais vous n'êtes pas si mal malgré votre aspect dangereux.

    Boue ne savait pas si elle devait s'énerver. Pas si mal était toujours mieux que défigurée après tout. Et il avait tellement l'air de ne pas l'insulter que c'était difficile de juger.
    -Et ? Demanda-t-elle un peu effrontément et à court d'idée.

    -Et quoi ?

    -Quel est le rapport entre mon apparence et le fait que je doive vous servir de garde du corps ?

    -Aucun a priori, si ce n'est que l'Impératrice mon épouse a probablement pensé que je serais moins attiré par vous et que par conséquent je vous laisserais faire votre travail.

    Boue fronça les sourcils :

    -J'hésite entre me sentir insultée et vous casser le nez et prendre votre désintérêt pour une chance et laisser passer vos insultes. Vous choisissez quoi ?

    Son ton était neutre mais elle espérait qu'il ne choisirait pas la première option. Il eut un sourire amusé :

    -Au vu de votre regard je ne sais pas ce qui vous plairait le plus. Disons que pour aujourd'hui je vais vous faire des excuses. En revanche j'ai horreur d'avoir des soldats inutiles à ma porte, vous l'aurez remarqué. Ça m'empêche de réfléchir.

    Boue ne savait pas quoi dire, mais comme manifestement il attendait une réponse elle finit demander :

    -Que voulez-vous que je fasse ?

    -Eh bien restez là pour l'instant.

    Il se détourna et alla se saisir d'un rouleau de parchemin, posé sur un fauteuil. Sans plus prêter attention à l'éclaireur debout dans son salon, il se mit à lire. Mal à l'aise Boue resta un instant immobile avant de se diriger discrètement vers la fenêtre. Elle jeta un coup d'oeil dehors et sourit. La tour donnait sur la mer.

    -Vous êtes bien plus jolie quand vous souriez, vous devriez le faire plus souvent.

    Elle se retourna lentement, son visage de nouveau sans expression.

    -Majesté ?

    Il soupira et demanda, levant le parchemin :

    -Vous vous y connaissez en diplomatie ?

    Elle fronça les sourcils :

    -J'ai lu quelques rapports sur des missions diplomatiques. Pourquoi ?
    -Que diriez vous de devenir mon conseiller ?

    -Je vous demande pardon ?

    -Vous êtes soldat, éclaireur même. Vous devriez avoir vu un peu de pays. Je me trompe ?

    -Non, mais...

    -J'ai besoin d'un interlocuteur qui ne répète pas ce que je lui raconte. Vous semblez être la mieux placée. Et je n'aime pas les vieux bougons qui me tiennent lieu de conseiller. Vous êtes bien plus agréable à regarder malgré votre cicatrice.

    Elle n'arrivait pas à lui en vouloir, et pourtant il venait de l'insulter pour la deuxième fois de la matinée. L'étudiant un instant elle ne put s'empêcher de le comparer à Carri. Il lui ressemblait, c'était certain, comme deux personnes expatriées peuvent se ressembler, mais il ne possédait pas le côté froid et désagréable toujours sous-jacent chez Carri. A la place un regard calculateur l'animait. Elle n'était pas certaine de préférer.

    L'expression inquiète de Carri quand il l'avait trouvée éventrée au pied des portes d'Avalon s'imprima devant ses yeux.

    Elle pinça un instant les lèvres, chassant l'impression de manque qu'elle ressentait soudain. Le Prince eut un demi-sourire.

    -Ce que vous voyez vous convient ? Demanda-t-il en s'appuyant au dossier du canapé.

    Elle se mordit la lèvre en se rendant compte qu'elle le fixait du regard. Elle répondit d'une voix légèrement plus sèche qu'elle ne voulait:

    -ça ira.

    Il éclata de rire et elle frissonna d'un plaisir inattendu.

    -Bon ! Que diriez-vous d'une tasse de thé ?

     

    Elle quitta le Prince en fin de journée, épuisée et affamée. Le thé qu'elle avait pris dans la matinée n'avait pas remplis son estomac et le Prince n'avait pas fait une seule pause de la journée. Elle avait même dû demander pour aller se soulager. Le moment le plus gênant de sa vie.

    Mais le Prince s'était révélé un interlocuteur passionnant et passionné. Ils avaient parlé pendant des heures des troubles à l'Est, de la conspiration des Dissidents, des paysans des abords de la ville, des routes. Ils avaient même abordé l'attentat contre l'Impératrice de la semaine passée. Le Prince avait semblé étonnamment sombre sur le sujet. Un homme avec tant d'amantes. Boue ne l'avait pas imaginé si attaché à l'Impératrice. Il avait dû comprendre car il avait sourit en disant qu'il lui expliquerait peut être un jour.

    Elle trébucha et jura en tentant de retenir la pile de livre qu'elle tenait. Cet idiot avait été horrifié de sa méconnaissance des institutions de l'Empire. Il avait été déçu d'apprendre que les cours théoriques des éclaireurs se réduisaient à des tactiques militaires et à de l'astronomie. Elle était donc censée travailler sur sa culture générale pendant la nuit. Quand elle avait argumenté qu'elle n'était pas censée le laisser seul il l'avait dévisagé, mi-figue mi raisin :

    -Moi ça ne me dérangerais pas mais je ne suis pas sur que vous compreniez bien ce que je fais avec les gens qui restent avec moi la nuit.

    Elle avait mis un moment avant de comprendre. Elle avait préféré partir et laisser un garde prendre le relais. Le Prince n'avait pas trop protesté, juste un peu pour la forme.

    Elle retrouva sa chambre sans trop de difficultés mais sa mauvaise humeur reprit le dessus quand elle fit tomber ses livres en essayant d'ouvrir la porte. Elle jura copieusement et fut récompensée par le rire joyeux de Luciole.

    -Je vois que le Prince ne t'a pas trop changé. Tu veux de l'aide ?

    -ça va.

    Elle avait ouvert la porte et s'écarta pour laisser passer son amie avant de ramasser les volumes et d'entrer à son tour. Elle en choisit un et déposa le reste sur le coffre. Elle retira ses bottes d'un coup de pied et s'allongea en soupirant.

    -Dure journée ? Demanda Luciole.

    -ça va. Et toi ?

    Luciole eut un sourire désabusé :

    -Disons qu'au moins j'aurais le droit de porter une robe.

    Elle fit une petite révérence, montrant sa robe d'un geste plein d'auto-dérision. Elle était tissée dans une belle laine rouge, semblable à celles des suivantes de la reine, mais avec quelques amélioration pour qu'elle puisse attraper ses armes, cachées sous ses jupons.

    -C'est pour me mêler à ses dames de compagnies, expliqua-t-elle, elle a décidé que puisque tu n'étais plus là, je pouvais passer plus inaperçue ainsi.

    -Oui je n'ai pas une tête de dame de compagnie, fit Boue.

    Son ton était distrait et Luciole fut surprise de ne pas la voir exprimer plus d'émotions à ce sujet.

    -Tu sembles détendue, fit-elle d'un ton méfiant.

    Boue lui lança un regard surpris :

    -De quoi tu parles ?

    -Quand je pense que tu t'occupes de l'homme le plus intéressant de ce palais et que tu n'en a même pas conscience.

    Boue grogna et Luciole soupira :

    -Oublie. Tu lis quoi ?

    Boue lui montra la couverture :

    -Histoire du Monde. Je suis censée me cultiver.

    -Et ?

    -Disons que j'essaye.

    -C'est le Prince qui t'a demandé ça ? Tu n'es pas supposée être son garde du corps ?

    Boue soupira :

    -C'est un peu compliqué de n'être qu'un garde avec cet homme. Je préfère lire des livres que partager son lit.

    Luciole leva les yeux au ciel :

    -Qu'est ce que je disais. Moi je ne suis pas sure que j'aurais choisi cette option.

    -Il était d'ailleurs déçu que tu ne sois pas à ma place.

    Luciole rougit sous le regard critique de son amie et fut sauvée par Alya qui passa la tête par la porte :
    -Boue, Luciole, on descend manger pour le premier service, vous venez ?

    Luciole bondit littéralement vers la porte et Boue la suivit plus calmement en secouant la tête.


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  • Boue poussa la porte des appartements du Prince, un pli de mauvaise humeur barrant son front. Assis dans un fauteuil, une jambe par dessus l'accoudoir, il leva les yeux de son livre avec un air inquiet :

    -Qu'est ce que j'ai encore fait ?

     Boue lui lança un regard assassin :

     -A part m'envoyer courir après un conseiller qui est parti il y a deux semaines, chercher un livre que vous avez déjà et délivrer votre courrier très personnel, vous voulez dire ?

    Il eut la bonne grâce de paraître gêné et resta un instant silencieux avant d'agiter son livre :

     -Les Histoires du Monde. Voulez vous que je vous lise le passage dont nous parlions ?

     Boue fit la moue avant de soupirer :

     -Maintenant que je suis là.

     Elle s'adossa au mur, près de la fenêtre et croisa les bras. Le prince rouvrit son livre, cherchant la page et s'installa plus confortablement avant de commencer sa lecture :

     -La cité-état de Lish est rapportée comme étant la première à avoir possédé un corps d'armée spécial et très indépendant nommé Erissen. Les Erissen sont un peuple originaire du Désert entourant la cité et ne dépendent d'aucun état connu. Réputés voyageurs, les hommes et les femmes du désert le parcours depuis leur naissance, ce qui leur donne un lien particulier avec ce dernier. Capable de retrouver leur chemin même au milieu d'une tempête , insensibles aux poisons des diverses fleurs poussant sous le sables, ils n'ont que de contact avec le monde extérieur. Des légendes courent sur quelques personnages très particuliers de ce peuple, maitrisant le vent, les tempêtes, ou le sable lui même. Les Erissens sont présumés dépendre du désert pour leur survie, ne pouvant le quitter plus de quelques mois et ne pouvant mourir ni ailleurs, ni dessus.

     Le Prince leva les yeux vers Boue. Elle avait les yeux dans le vague, écoutant son discours avec attention. Ses cheveux étaient seulement tressés ce matin là, tombant dans son dos en une longue tresse brune. Des mèches s'étaient échappées et encadraient son visage songeur. Elle avait un air tranquille, presque apaisé si l'on oubliait ses mains crispés et les cicatrices sur ses doigts et bien sur la grande ligne rose qui barrait sa joue. Une femme étrange. Elle tourna le regard vers lui et haussa les sourcils, un petit sourire aux lèvres :

     -Ce n'est pas logique. Comment peuvent-ils ne pas pouvoir mourir ni en dehors du désert, ni dedans ?

     Le Prince sourit :

    -ça fait parti de la légende. Même à Lish on ne sait pas grand chose de plus.

    -Je croyais qu'ils étaient dans l'armée ?

    -Plus ou moins. D'après ce que j'ai entendu dire ils sont beaucoup moins indépendants maintenant, depuis la mort de leur chef. Mais avant il était impossible de les embaucher, de les payer pour faire quoi que ce soit. Ils ne faisaient que ce qu'ils voulaient et même leur chef n'était qu'un... guide en quelque sorte. Mais c'était il y a longtemps.


    -Que s'est-il passé ?

    Boue avait les yeux brillants de curiosité et il eut un sourire amusé :

    -Leur chef est mort, se dépérissant d'amour selon la légende.

    Boue eut une moue dubitative mais ne fit aucun commentaire. Le Prince reprit sa lecture :

    -Le corps des éclaireurs Atlante est directement inspiré de ce peuple. La légende veut que l'Empereur Adirin le Grand, impressionné par la puissance de ces soldats demanda la création d'une force d'élite, capable de se confronter à ces Erissen et d'en ressortir indemne. Ses conseillers militaires réunirent les meilleurs soldats de toute l'armée, d'anciens rebelles du Nord et de l'Est à qui ils promirent l'anmistie s'ils formaient de jeunes soldats à l'art de la guerre. Personne ne sait si ces hommes ont survécu pour profiter de cette offre, mais le corps des éclaireurs est maintenant considéré comme le plus puissant de toutes les armées voisines de celles de l'Empire.

    Boue avait froncé les sourcils, agacée par un souvenir qu'elle n'arrivait pas à replacer. Le Prince la regarda d'un air inquiet :

    -ça va ? Vous semblez troublée.

    Elle haussa les épaules :

    -Ce n'est rien.

    Elle tourna un regard acéré vers le Prince qui s'était levé pour reposer le livre sur une pile déjà haute :

    -Vous ne prouvez absolument rien avec ce texte.

    -Comment ça ? Il est clairement dit que les Eclaireurs ont été créés d'après les Erissens.

    -Ils se sont inspirés des Erissens, mais il n'y aucun lien de plus. Les Erissens sont un peuple indépendant, les éclaireurs ne sont qu'un corps d'armée formé de personnes venant de tout l'Empire. Nous n'avons aucun pouvoir magique.

    Kahn sourit à demi :

    -Pourtant certaines légendes courent sur Avalon...

    Boue ignora l'allusion. Depuis trois semaines il essayait de lui faire avouer ce qu'elle savait sur le siège de la ville et jusqu'ici n'avait pas réussi. Mais Boue doutait qu'il ignora quoi que ce soit dans l'Empire. Cet homme était diabolique.

    -Dites moi, n'avez vous pas vu ma belle Ilienne ce matin ?

    Boue lui lança un regard assassin :

    -Vous me posez sérieusement la question ?

    -Je suis toujours sérieux.

    -C'est bien ce que je craignais.

    -Alors ?
    -Eh bien non, je n'ai pas croisé votre amante depuis hier soir quand elle vous a rejoint. Pourquoi ? Vous manque-t-elle déjà ?

    Il grimaça :

    -Elle n'est pas restée hier soir. Nous avons eu un petit différent.

    -Vous n'êtes pas en train de me parler de vos histoires de cœur j'espère.

    -Savez vous qu'elle me reproche de passer trop de temps en votre compagnie ?

    Boue éclata de rire :

    -Vous n'êtes pas sérieux.

    Le Prince se rassit, amusé :

    -Très sérieux. Elle m'a dit que j'étais incapable de passer plus de deux heures d'affilé en compagnie d'une femme sans avoir envie de me... hum... rapprocher d'elle et que je parvenais toujours à mes fins.

    Boue leva les yeux au ciel :

    -D'où votre différent. Elle ne vous a pas cru quand vous lui avez dit la vérité ?

    -Hélas non. J'aurais dû essayer de lui dire le contraire, peut-être aurait-elle apprécié ?

    Boue le dévisagea d'un air peu amène et il éclata de rire :

    -Ne vous en faites pas, rien que l'idée de m'attirer vos foudres m'empêcherait de poursuivre une telle action.

    -Mais vous cherchez quand même à la revoir ?

    Il eut l'air étonné :

    -Moi ? Bien sur que non, elle est ennuyeuse à mourir. Non je voulais savoir si elle vous en voulait toujours autant ou si elle avait finit par comprendre.

    -Si je meurs empoisonnée, je n'aurais pas chercher l'origine c'est ça ? Merci du cadeau.

    -Ah je viendrais sauver ma bien-aimée !

    Boue avala de travers :

    -... garde du corps ! Acheva-t-il précipitamment.

    -Vous êtes un homme désagréable, j'espère que vous vous en rendez compte.

    -Parce que je préfère séduire les femmes que les garder, je suis forcément désagréable?

    Boue eut un grognement et se redressa :

    -Je crois que je préfère encore monter la garde dehors.

    Elle se dirigea vers la porte mais il s'interposa en un bon souple et élégant :

    -Ne soyez donc pas si susceptible. Restez.

    Il eut un sourire, comme s'il ne pouvait s'empêcher d'ajouter :

    -Si vous sortez tout le monde croira que nous avons eut une querelle d'amoureux.

    Boue afficha une expression si meurtrière que le Prince eut un mouvement de recul, presque certain qu'elle allait le frapper.

    Elle en aurait été extrêmement envie, si ce n'était l'idée gênante qu'il avait probablement raison : la rumeur avait du s'enfler au point de la mettre dans le lit de l'homme irrésistible. Il la regardait d'un air interrogateur, attendant qu'elle lui fasse part de ses réflexions.

    -Vous pensez vraiment que la rumeur m'a mise dans votre lit ? Demanda-t-elle avec une grimace, s'attendant au pire.

    Il soupira en s'écartant, retournant près de la cheminée qui dispensait une agréable chaleur dans cette matinée de fin d'automne.

    -Vous n'y aviez pas réfléchi avant ? La rumeur court depuis plusieurs jours déjà. Depuis cet épisode dans les écuries.

    Boue se mordit les lèvres, ne se rappelant que trop bien le moment où le Prince l'avait écartée des sabots d'un cheval emballé, la façon dont ses mains s'étaient un peu trop attardées sur sa taille... et le regard sans équivoque des garçons d'écuries.

    -Vous en avez fait exprès j'imagine, fit Boue sans aucune rancoeur.

    Elle ne faisait que constater un fait auquel elle s'était rapidement habitué : malgré son apparente désinvolture le Prince ne faisait jamais rien au hasard. Et c'était un manipulateur hors pair.

    Il eut un grand sourire en se retournant vers elle :

    -Bien sur. C'est tellement plus drôle de vous avoir pour amante fictive qu'en simple garde du corps. Et puis cela nuirait à ma réputation si tout le monde savait comme vous restez de marbre face à mon charme.

    Boue leva les yeux au ciel et changea de sujet :

    -Vous ne deviez pas rencontrer vos conseillers ce matin ?

    -Si. Ils ne devraient d'ailleurs plus tarder.

    -Vous ne les recevez pas dans votre bureau ?

    -Si bien sur. D'ailleurs nous y allons. De quoi j'ai l'air ?

    -D'un homme sans chemise ?

    Il baissa les yeux, semblant seulement remarquer la tenue légère dans laquelle il se trouvait.

    -Vous ne pouviez pas le dire plus tôt !

    Il se précipita vers une porte dissimulée dans les boiseries et l'ouvrit brusquement pénétrant dans sa chambre à grands pas :

    -Venez m'aider à choisir ! Appela-t-il, Je n'y arriverais jamais en si peu de temps.

    -Vous êtes le Prince, lui rappela-t-elle en s'approchant de la porte, Vous n'avez pas besoin de vous presser !

    Il apparut de derrière une porte de placard, un veste bleu sombre à manches longues et une chemise blanche à col haut à moitié enfilée :

    -Vous n'y connaissez vraiment rien, n'est ce pas ?

    Boue se renfrogna, légèrement vexée.

    -Ces hommes sont pires que des mercenaires ! Si je ne suis pas à la hauteur ils iront vendre leurs services ailleurs ! Nous serions alors obligés d'employer les grands moyens pour ne pas qu'ils aillent vendre les secrets du palais au plus offrant.

    Boue soupira et s'appuya au chambranle de la porte, croisant les jambes.

    -Dans ce cas vous devriez vous dépêcher, fit-elle d'une voix moqueuse.

    Il lui renvoya un regard noir et, posant la veste sur une chaise, entreprit de mettre correctement sa chemise. Puis il enfila rapidement sa veste et la boutonna en revenant vers Boue :

    -ça ira ?

    Boue eut un petit sourire :

    -Vous feriez mieux d'attacher vos cheveux si vous ne les coiffez pas.

    Il soupira et attrapant un ruban argenté le lui tendit :

    -Tressez les pendant que je finis de boutonner cette maudite veste.

    Boue obéit, tressant avec la rapidité de l'habitude les beaux cheveux blonds du Prince.

    -C'est bon, fit-elle en finissant de nouer le ruban.

    Il se retourna vers elle et lui sourit un instant. Elle ne put s'empêcher d'y répondre et aurait juré que s'ils n'étaient pas déjà si en retard, la rumeur aurait trouvé quelques fondements. Elle fut soulagée de le voir se détourner pour marcher à grands pas vers la sortie. Elle le dépassa pour lui ouvrir la porte et il s'avança dans le couloir si rapidement que Boue dû presque courir pour le rattraper. Elle se rendit compte qu'il n'avait pas cessé de parler et dû faire un effort de réflexion pour comprendre de quoi il retournait :

    -...tellement susceptibles que j'ai parfois l'impression d'être à leur service plutôt que eux au miens. Cela m'oblige à le leur rappeler et j'ai horreur de ça.

    Mais à voir l'expression de joie moqueuse qui s'affichait sur son visage Boue douta de cette affirmation.

    Ils arrivaient devant le bureau. Une porte de bois teint d'une couleur bleutée avec une poignée en feuille. Le Prince la déverrouilla et entra, laissant Boue refermer derrière elle. Elle alluma quelques bougies supplémentaires et raviva le feu tandis que le Prince s'installait à son bureau avec précipitation, éparpillant des papiers d'un air affairé. On frappa à la porte. Boue se détacha de l'agréable chaleur de la cheminée pour aller ouvrir. Trois hommes se tenaient devant elle, l'air suffisant. D'âge moyen, ils étaient vêtus de pantalons moulants montant jusqu'à la poitrine surmontés de chemises bouffantes, brodés de motifs aux couleurs vives plus ou moins abstraits. Des vestes de tissus rouge sans manche et des souliers à boucles luisants complétaient cette tenue. La veste longue et bleue du Prince semblait étrange en comparaison. Elle les toisa quelques secondes avant de s'écarter pour les laisser entrer. Ils ne lui accordèrent pas un regard en la dépassant et elle referma silencieusement la porte derrière eux. Ils avancèrent jusqu'au bureau et s'inclinèrent très bas sous le regard perçant du Prince qui souriait toujours. C'était étonnamment effrayant.

    -Conseillers.

    Les trois hommes s'entre-regardèrent, mal-à-l'aise devant le manque de volubilité de leur seigneur. Le plus âgé s'avança légèrement et s'éclaircit la gorge. Brun, les cheveux courts lissés en arrière, il était grand et sec. Son visage sévère était plissé en un froncement mécontent.:

    -Hum... votre impériale majesté, commença-il, j'ai ici des rapports inquiétants sur les seigneurs de l'Est. Ils s'insurgent de l'augmentation des impôts de cette année. Ils disent qu'ils ont déjà suffisamment payé des guerres qui ne les concernent pas.

    -Rappelez leur que tout ce qui concerne l'Empire les concerne. Utilisez les formules de menaces habituelles et faîtes leur bien comprendre que tout impayé aurait des conséquences désastreuses sur leurs vies tranquilles.

    Le plus jeune des trois hommes, un roux à la peau pâle et aux yeux verts, prenait rapidement des notes. Une aura d'efficacité l'entourait.

    -Nous avons également des nouvelles des pirates qui ont ravagé la côte Ouest, votre majesté, la flotte Ilienne les a abordés au large de leur Ile principale et nous a fait gracieusement parvenir la tête de leur chef.

    -Remerciez les en bonnes et dues formes et ajoutez une invitation à l'anniversaire Impérial. Ils ne l'accepteront pas, mais nous nous devons de proposer.

    -Nous avons des nouvelles des Dissidents.

    Le Prince se pencha en avant, soudain très intéressé.

    -Et ?

    -Nous craignons que le seigneur en question ne soit qu'un leurre. Nos agents sur place sont quasiment certain que ce n'est pas lui qui gère le mouvement.

    -Vous disiez que les messages provenaient de son château pourtant.

    -C'est ce que nos agents ont rapporté et ils en sont toujours persuadés. Mais le seigneur ne serait pas impliqué à un très haut niveau.

    -Bon. Continuez les recherches. Qu'en est-il de la piste du Palais même ?

    -Nous sommes encore loin, majesté. Les messagers que nous avons interceptés sont morts avant que nous n'ayons pu obtenir quoi que ce soit.

    -Et les messages ?

    -Intranscriptibles. L'eau en a gâché une grande partie et le reste est codé.

    Le Prince afficha une expression mécontente mais n'ajouta rien.

    -En revanche nos équipes dans la demi-ville semblent confiantes, fit le troisième homme sur un signe insistant du premier conseiller. Lish est peu présente dans cette région mais semble avoir beaucoup de relations avec les nomades.

    -Et comment va mon frère ?

    Le ton était froid et le premier conseiller hésita avant de répondre :

    -Aux dernières nouvelles il assistait à une rencontre avec les Erissen.

    Le Prince pinça les lèvres et hocha la tête.

    -Je vous remercie. Autre chose ?

    -Nos agents du Nord demandent s'ils doivent continuer les recherches pour les traitres. Ils n'ont rien trouvé depuis des années maintenant.

    -Non, ce n'est plus nécessaire. S'ils ne sont pas morts ils doivent être trop isolés pour poser problème. Faites les revenir au palais avant de les renvoyer en mission, je veux des retours en personne.

    -Bien majesté.

    Le Prince les dévisagea en silence, sans expression. Boue s'était adossée au mur, les bras croisé et observait la scène avec quelque amusement.

    -Vous n'avez rien à ajouter ? Finit par demander le Prince.

    Les deux conseillers ne levèrent pas les yeux quand le premier répondit :

    -Non votre majesté.

    -C'est bien dommage. Et vous Thomas ? Vous ne semblez pas être d'accord avec vos aînés.

    Le jeune homme eut droit à un regard mauvais des deux autres mais ne sembla pas s'en émouvoir.

    -La Chance a été vue il y a peu, et comme à son habitude des ravages ont suivi.

    -ça n'a pas grand intérêt pour sa majesté, fit sèchement le premier conseiller.

    -Au contraire, interrompit le Prince d'une voix froide, continuez je vous prie.

    -La bataille s'est déroulée il y a moins d'une semaine, dans une petite ville un peu plus bas sur la côte. Nous ne savons toujours pas ce qui a pu provoqué le combat, mais seuls trois gardes ont survécus de la garnison de soixante qui était postée là-bas.

    -Je n'apprécie pas le savoir si près de nous. Toujours aucune description de son aspect j'imagine ?

    -Non, majesté.

    -Avez-vous une idée de ses allégeances actuelles ?

    -Pour autant que je le sache, il vend son arme au plus offrant et je crains qu'en ce moment vos opposants n'aient ce privilège.

    Le Prince grimaça :

    -c'est facheux. Mais j'imagine qu'on ne pouvait pas l'empêcher. Il semble travailler pour tout le monde sauf l'Empire, c'est terriblement ennuyant.

    Le jeune homme eut la délicatesse de ne pas répondre, mais tout le monde connaissait la rumeur : la Chance n'aimait pas l'Impératrice et elle en était déçue.

    -Autre chose ?

    -Pas pour le moment votre majesté.

    -Bien, vous pouvez disposer. Quant à vous, ajouta-t-il en tourna un regard froid vers les deux autres, j'espère que vous ferez mieux dorénavant. Pour votre propre confort.

    Ils ne se le firent pas dire deux fois et après une courbette à se racler le nez sur le tapis ils sortirent, presque sans se bousculer.

    La porte une fois refermée Boue tourna les yeux vers le Prince et remarqua :

    -Vous avez une étrange manière de les maintenir dans vos bonnes grâces.

    Il haussa les épaules :

    -Je suis le Prince Consort. Ce n'est pas une bande de petits gratte-papiers qui va m'empêcher de faire ce que je veux.

    Boue leva les yeux au ciel :

    -Vous êtes d'une inconstance tellement prévisible que s'en est décevant. Pourquoi les garder s'ils sont si inutiles ?

    -Ils ne le sont pas. Ils ont juste besoin d'un peu de motivation.

    Il prit une pile de papiers laissée par un secrétaire un peu plus tôt dans la matinée et se mit à les examiner. Boue s'étira lentement et se perdit dans ses pensées.

    Rif avait encore fait des siennes. Il était étrange qu'elle n'entende pas parler de lui plus souvent. Elle avait parfois l'impression qu'il sortait de son trou uniquement pour s'assurer que sa réputation était toujours intacte.

    Elle n'entendit la voix du Prince que lorsqu'il répéta son nom d'une voix insistante :

    -Boue !

    -Hum ? Oh, pardon majesté.

    Elle eut un air gêné qui le fit sourire :

    -Je vous demandais ce qui pouvait bien vous absorber autant. Vous dormiez ?

    -Non, je réfléchissais.

    -A quoi donc ?

    Boue s'empêcha de jurer.

    -A... votre frère.

    Il s'assombrit.

    -Que voulez vous dire ?

    -Je me demandais pourquoi vous preniez tant à cœur le fait d'avoir des informations à son sujet. Vous semblez le détester bien au delà de ce que la rumeur raconte.

    -La rumeur est rarement vraie, comme vous avez pu le constater à vos dépends.
    Sa voix était légèrement sèche, mais il ne semblait pas en colère contre elle. Intriguée malgré elle, elle poussa un peu plus loin.

    -Vous semblez haïr l'Impératrice en sa présence et l'aimer malgré tout lorsqu'elle n'est pas là pour en témoigner. Vous semblez détester votre frère en public et malgré ça...

    -Vous êtes bien curieuse aujourd'hui.

    Sa voix avait fraîchi. Boue haussa les épaules :

    -Je ne vous demande rien. Je m'interrogeais en silence, vous avez voulu savoir le fond de mes pensées.

    Il eut un sourire un peu désabusé :

    -La plupart des gens mentent pour répondre à ce genre de question.

    A qui le disait il.

    -Vous n'êtes vraiment pas faite pour vivre à la cour, fit le Prince d'un air songeur, les gens ne cesseraient d'essayer de vous tuer et, n'y arrivant pas, ils essayeraient de vous corrompre.

    -Ce serait une vie fatigante, fit Boue en grimaçant, et salissante.

    Il éclata de rire et changea de sujet.

    -Que diriez-vous d'aller à la bibliothèque ? J'aimerais vous intéresser au Lishâ.


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  • Boue repoussa l'idée de frapper le Prince. Mais ce fut de justesse. Elle se força à desserrer le poing, posé sur sa cuisse, sous la table et pinça les lèvres en ce qui pouvait passer pour un sourire poli. Emporté dans son sujet le Prince n'y prêta pas attention. Il aurait probablement dû.


    -C'est incroyable, continua-t-il, que vous en sachiez si peu sur le reste du monde. Que vous apprennent-ils sur Ile ? Il faudra que j'en touche deux mots à l'Impératrice. Il est absolument indispensable que vous compreniez un peu mieux ce qui se passe autour de vous ! A quoi allez-vous servir si tous ce que vous savez faire c'est vous battre ?


    Boue se mordit la langue, pensant que s'ils se mettaient à s'intéresser à la politique l'Impératrice arrêterait de dormir.
    Elle carra les épaules et reposa les yeux sur le livre, ouvert devant elle. Ils étaient installés dans la bibliothèque, froide et poussiéreuse, et s'il n'y avait pas eut le regard compatissant d'Elion depuis son bureau Boue aurait explosé. Mais l'Impératrice avait précisé : « vous lui obéirez en tout ». Et Boue obéissait.
    Elle laissa son esprit vagabonder sur des sujets plus importants, tels que : Luciole s'était-elle déjà fait avoir par le Prince ? Ou, allait-elle sortir en ville une fois que le Prince en aurait fini ?
    Boue eut un soupir de désespoir en réalisant soudain où ses pensées menaient: elle avait vraiment besoin de quitter cet endroit. Ou au moins de retrouver une activité plus familière. Mais elle savait que sa reprise du maniement des armes devaient être encore repoussée.
    Elle était retournée voir l'apothicaire qui lui avait formellement interdit de reprendre une activité physique plus intense que la course à pied avant encore plusieurs semaines. Boue commençait à en avoir sérieusement assez. Elle était déjà au palais depuis six mois, six longs mois à écouter le Prince critiquer ses connaissances et parler de ses conquêtes, nombreuses qui plus est, six mois à ne toucher son épée que pour en vérifier le tranchant et l'accrocher à sa ceinture ou la sangler dans son dos. Elle serra le poing et se leva, interrompant le Prince au beau milieu d'une phrase. Il resta bouche bée devant l'expression furieuse de Boue :


    -Qu'est ce qui vous arrive ?
    -J'ai besoin de prendre l'air.


    Elle sortit dans le couloir et appela un garde :


    -Ne quitte pas le Prince d'une semelle, quoi qu'il fasse.
    -ça y est ? Tu ne le supportes plus ?
    -Je ne l'ai jamais supporté, grogna Boue en réponse.
    Elle partit à grands pas, laissant le Prince stupéfait, debout à la porte de la bibliothèque.

    Elle passa par sa chambre, revêtant un pourpoint plus épais, sa veste de cuir et sa cape avant de sangler son épée par dessus le tout. Elle quitta la pièce.
    Ce ne fut que lorsqu'elle arriva dans la cour d’entraînement qu'elle souffla enfin. Une bruine légère tombait et le froid était encore assez vif malgré le début de printemps. Un groupe de garde s'entraînait et elle sourit en reconnaissant Klaus. Il fit un signe à son partenaire qui s'immobilisa et se dirigea à grands pas vers elle. Il avait grandi depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, et il portait maintenant son épée avec l'air de savoir s'en servir.


    -Boue ! Ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vu par ici !
    Il s'arrêta près d'elle, souriant comme un gamin. Elle haussa les épaules:
    -J'ai été plutôt occupée. Je vois que tu commence à savoir te débrouiller avec ça, fit-elle en indiquant l'arme qu'il tenait à encore à la main.
    -Je ne commence pas, je me débrouille très bien avec.
    -Ah oui ?
    -Tu veux que je te le prouve ?
     

    Boue n'eut pas le temps de refuser qu'une autre voix l'appelait :
    -Boue Finylt ! Je me demandais quand tu finirais pas réapparaître. On te dit tellement folle du Prince que je commençais à me demander si ce n'était pas vrai.
    Boue grimaça en se retournant :
    -Général Flinn, toujours aussi délicat dans vos propos.
    -Quel intérêt ? Tu ne t'es jamais montrée très délicate non plus. Tu viens t'entraîner ?
    -Je ne...
    -Boue ! Flinn !
    Elle leva les yeux au ciel quand Kymé accourut, l'air soulagé de les avoir trouvé :
    -Je suis content de vous voir ! Le Prince veut venir s'entraîner.
    Boue eut un gémissement de désespoir qui fit beaucoup rire le général :
    -Allons ! Ton amant ne peut plus se passer de toi ?
    -Ce n'est pas mon amant ! Et si je pouvais lui échapper plus d'une minute ma journée s'en trouverait grandement améliorée !
    Ce fut le tour de Kymé d'avoir l'air désespéré :
    -Moi qui espérais te convaincre de te battre contre lui !
    -Tu as perdu la tête ?
    -Mais c'est une idée génial ! S'exclama Flinn presque en même temps.
    Elle lui lança un regard noir et il eut un grand sourire en lui balançant une grande tape dans l'épaule :
    -Allons ma vieille ! Tu me dois toujours une faveur !
    -Et depuis quand ?
    -Depuis que tu as ruiné mon beau visage avec ton poing.
    -ça ne se voit même pas !
    -Là n'est pas la question.
    Boue le regardait d'un air profondément énervé quand Klaus les interrompit en marmonnant :
    -Quand on parle du loup...
     

    Ils se retournèrent tous d'un bloc pour voir le Prince se diriger vers eux à grands pas. Boue attrapa Flinn par la manche et murmura précipitamment :
    -Je te donne tout ce que tu veux si tu prends ma place.
    Il eut un sourire intéressé :
    -Tout ?
    Elle jura mais après un regard au Prince n'hésita pas une seconde :
    -Tout.
    -Alors tu m'accompagnes boire un verre après ça.
    -C'est tout ?
    Il n'eut pas le temps de répondre. Le Prince s'arrêta près d'eux, son habituel sourire charmeur aux lèvres :
    -Général, Capitaine, Boue. Je ne pensais pas vous trouver tous ici en même temps. C'est un heureux hasard.
    Les sourires faux qui lui répondirent ne semblaient pas trouver le hasard si heureux.
    -Je cherche un partenaire d'escrime, j'ai besoin de me dérouiller un peu. Boue, vous êtes occupée ?
    Kymé lui lança un regard suppliant que Boue ignora :
    -Je ne suis pas d'humeur aujourd'hui. Mais je suis sure que le général Flinn sera ravi de s'entraîner avec vous.
    Flinn lui lança un regard amusé avant de s'incliner légèrement :
    -Si cela convient à votre majesté.
    Le Prince semblait déçu mais il hocha la tête :
    -Très bien. Par quoi commençons nous ?
    Ils s'éloignèrent vers les râteliers et Boue se tourna vers Kymé :
    -Pourquoi cet empressement à l'éviter ? Je ne te savais pas si peureux.
    -Peureux ?
    Il grimaça.
    -Ce n'est pas le cas, c'est juste que je préfère éviter les bleus quand ils n'ont aucune utilité. Cet homme est une brute. Il est impossible à battre et quiconque s'y essaye en ressort moulu. J'espérais que tu pourrais lui tenir tête.
    L'intérêt compétitif de Boue s'éveilla légèrement :
    -Ah ? Eh bien nous verrons la prochaine fois.
    -Pourquoi pas aujourd'hui ?
    -Aujourd'hui je ne suis pas d'humeur.
    Il fronça les sourcils :
    -Tu es toujours d'humeur.
    -Eh bien pas aujourd'hui ! Tu vas me lâcher maintenant ou vais-je devoir aller ailleurs ?
    Il abandonna et se tut. Klaus les observa un instant, surpris de la violence de Boue, avant de se tourner vers le combat qui commençait.
    Flinn était doué, c'était incontestable. Il était même extrêmement doué. Mais le Prince était une bête. Rapide, brutal, il voyait tout, utilisait toutes les faiblesses et ne laissait aucune ouverture. Boue s'agaça, ses poings se crispant dans son envie de prendre la place de Flinn. Elle finit par lâcher un soupir de frustration et tourna les talons.
    -Tu ne regardes pas ? Appela Kymé.
    -Flinn va perdre de toute façon, lança-t-elle par dessus son épaule.
    Elle s'éloigna à grands pas en remontant la capuche de sa cape sur sa tête, dissimulant son visage. Elle traversa la cour et quitta le palais.

    Dès qu'elle quitta le premier cercle elle se retrouva au milieu d'une cohue de gens qui poussaient dans tous les sens, criant, appelant, vendant toutes sortes de choses. Elle acheta un pain à la viande bien trop cher à son goût et le mangea tout en jouant des coudes pour descendre jusqu'au port. Elle tenta de prendre des petites rues parallèles, mais ce jour là, tout semblait bouché. Pourtant ce n'était pas jour de marché, si ? Quand elle arriva enfin sur le port elle était déjà fatiguée, passablement énervée et à moitié trempée. Elle entra dans la taverne habituelle, elle aussi emplie à craquer. Elle se fraya un chemin jusqu'au comptoir. Le patron l'aperçut et s'approcha. Depuis leur première altercation ils étaient presque devenus amis.


    -Qu'est ce qui se passe aujourd'hui ? Demanda Boue d'une voix forte.
    -La foire annuelle. D'habitude ils la font dans la plaine, mais avec les délégations d'Iliens la plaine est déjà recouverte de tentes. Alors ils se sont éparpillés dans la ville. La garde est en train de devenir folle.
    -Il y a de quoi !


    Elle refusa une bière et finit par sortir, étouffant dans la fumée. Le froid extérieur lui mit une claque et elle remonta frileusement sa capuche, regrettant de ne pas avoir pris d'écharpe. Une tape sur l'épaule la fit sursauter et elle se retourna, se retrouvant face à Flinn :
    -Tu m'as laissé tout seul ! L'accusa-t-il.
    Elle le regarda d'un drôle d'air et il se renfrogna :
    -ça va, ne te moque pas.
    -Alors, quel est le résultat ?
    -Comme si tu ne savais pas. Kymé m'a dit que tu avais deviné au bout de quelques minutes.
    Elle haussa les épaules sans répondre. Ils s'écartèrent de l'auberge, optant pour un verre de vin chaud pris à un vendeur ambulant.
     

    -Bon alors raconte moi, fit Flinn en enroulant ses doigts couturés autours de sa chope.
    -Quoi donc ?
    -Pourquoi tu n'as pas mis les pieds sur le terrain d'entraînement depuis ton arrivée ici.
    Elle grogna :
    -J'y ai mis les pieds.
    -Ne joue pas avec les mots.
    -ça ne te regarde pas.
    Il continua d'attendre, les yeux fixés sur elle.
    -Je n'avais pas envie. Je ne suis plus d'humeur.
    -Plus d'humeur, toi ?
    -Tout le monde se fatigue de temps à autre.
    Elle mentait avec une assurance qui frisait la perfection.
    -C'est pour ça qu'ils t'ont envoyée ici ? Parce que tu ne voulais plus te battre.
    -C'est ça.
    Elle voulait s'en aller, il commençait à l'agacer avec ses questions. Elle finit son vin d'un trait, le sentant lui brûler la gorge et réchauffer son estomac.
    -C'est à cause d'Avalon ? J'ai entendu dire que tu avais été blessée là-bas.
    Elle grogna et se dirigea vers le marchand pour reposer sa chope. Elle récupéra une pièce de cuivre et se tourna vers Flinn qui l'avait suivi et le regarda posément :
    -J'ai été blessée, ça se voit il me semble. J'ai risqué ma peau pour une putain de muraille alors je prends des vacances, j'ai le droit il me semble.
    Flinn eut soudain l'air gêné, se rappelant le rôle de Boue pour la prise de la ville. Elle le toisa un instant avant de lâcher :
    -J'ai des choses à faire.
    Flinn hocha la tête et elle disparut dans la foule.

    Elle joua des coudes pour atteindre la porte des faubourgs. Quand elle se trouva enfin de l'autre côté elle fut désagréablement surprise de voir que le flot y était encore plus dense. La foire semblait avoir majoritairement pris place dans ce cercle là et chaque pouce de pavé était recouvert de marchands, d'acheteurs, de passants curieux et de dangereux personnages en tous genres, en plus des habitants habituellement présents. Boue soupira, se glissant le long de la muraille à la recherche d'un passage qui la mènerait vers une taverne qu'elle fréquentait de plus en plus souvent. La foule qui la pressait de part en part la rendait de plus en plus nerveuse. Elle serra les dents, tentant de calmer ses mains qui tremblaient. Trouvant enfin un peu d'espace elle s'arrêta un instant, la respiration rapide, le cœur battant.


    Une main se posa sur son épaule.


    Elle pivota vivement, saisissant le poignet et le tordant férocement. Une exclamation de douleur lui répondit et elle lâcha brusquement la main.
    -Rif !
    Il se frotta le poignet en grimaçant :
    -Salut. Je vois que tu ne perds pas le rythme.
    -Qu'est ce que tu fais ici ?
    -Quoi ce n'était pas moi que tu venais voir ?
    -Comment voudrais-tu que je vienne te voir, je ne sais jamais où tu es ! S'écria-t-elle avec colère.
    Il la regarda d'un air surpris. Sa capuche était tombée, entraînant son chignon qui s'était déroulé, éparpillant des épingles sur son col, laissant ses cheveux s'emmêler autour de son visage. Elle était rouge de fureur, sa poitrine se soulevant à une rythme rapide. Ses mains s'étaient serrées en deux poings et tremblaient violemment. En fait elle tremblait de tout son corps.
    -Boue ?
    -La ferme !


    Elle ferma les yeux. Elle le sentit s'approcher et ses deux bras musclés l'entourèrent, la pressant contre son torse. Boue se raidit un instant, essayant d'échapper à cette étreinte de fer. Mais il ne bougeait pas et épuisée elle abandonna. Elle enfouit son visage dans le cou de l'homme, agrippant son épaisse tunique de laine de ses deux mains. Elle le sentit resserrer son étreinte, bloquant ses épaules, faisant cesser ses tremblements. Il était chaud, tranquille, puissant. Elle sentait son odeur, étrangement familière, un mélange de sueur, de fumée, de cheval. Elle respira profondément, s'imprégnant de cette rassurante sensation. Il lui caressa doucement le dos et murmura à son oreille, la faisant frissonner :
    -ça va mieux ?
    -Je déteste cette ville.
    Sa voix était étouffée par les plis de la cape qu'il portait. Il desserra légèrement son étreinte et elle releva la tête. Il la regarda un instant en souriant. Il saisit délicatement son menton d'une main et l'embrassa. Ce n'était pas un baiser sexuel, ni même tendre. C'était un baiser chaud, vivant, plein de force et de sang. Elle sentit le goût métallique sur ses lèvres et ne sut pas si c'était le sien ou celui de Rif. Elle oublia la rue et les gens, oublia la ville, la pluie et le froid. Elle avait chaud, elle était bien, elle était à sa place.


    Au bout d'un long moment il redressa la tête et la regarda. Elle avait les yeux fermés, la bouche légèrement entrouverte. Ses joues étaient rouges et il pouvait voir sa gorge palpiter. Il laissa doucement glisser son pouce sur la marque de sa joue, appréciant la rugosité de la cicatrice et essuya la sang sur sa lèvre. Elle ouvrit les yeux, les vrillant dans les siens. Ses yeux rubis d'une profondeur incroyable.
    -Alors ? Demanda-t-il avec un sourire ironique, Mieux que le Prince ?
    Elle eut l'air si choquée qu'il éclata de rire. Elle s'écarta brusquement, resserrant les pans de sa cape, remontant sa capuche sur sa tête, dissimulant son visage.
    -Tu sais très bien que je n'ai pas couché avec le Prince, fit-elle d'une voix rauque.
    Il haussa un sourcils amusé, enfonçant les mains dans ses poches, s'adossant au mur.
    -Je sais, mais c'est tellement drôle à entendre. Est ce parce qu'il n'est pas intéressé, ou parce que toi tu ne l'es pas ?
    -Un peu des...
    Elle s'interrompit et lui lança un regard furieux :
    -Je n'aurais pas cette conversation avec toi !
    Il sourit et l'attira vers lui, la serrant brièvement dans ses bras avant de la relâcher et de se redresser :
    -Il faut que j'y aille, des petites choses à régler avant de quitter la ville.
    Elle hocha la tête et il eut un dernier sourire, lui caressant doucement la joue avant de s'éloigner d'un pas rapide, disparaissant dans la foule. Elle resta un instant immobile, pensive, avant de hausser les épaules et de reprendre sa route en direction de la taverne. Une bière était nécessaire pendant une journée comme celle là.

    La taverne était étonnamment pleine et elle eut du mal à se frayer un chemin jusqu'au comptoir. Le patron la servit sans une mot, il commençait à la connaître depuis le temps qu'elle venait ici, et elle observa un instant la pièce sombre et enfumée pour tenter de trouver une place.
    Elle fronça les sourcils : plus loin, assis dans un coin sombre se tenaient deux hommes qu'elle aurait préféré ne jamais revoir. Et ils la regardaient avec le même air. Ils s'observèrent un moment, Boue accoudée au bar, sirotant sa bière d'un air froid, les deux hommes assis à leur table, d'apparence détendue, les jambes croisées, adossés à leurs chaises. Ce ne fut que lorsqu'un troisième homme apparut près de leur table qu'ils semblèrent soudain s'inquiéter. Ils désignèrent Boue d'un signe de tête et l'homme se retourna. Il eut une expression amusée en apercevant Boue et lui fit signe de les rejoindre. Elle grogna mais s'approcha. Arrivant à leur hauteur elle soupira :
    -Je dois dire que je ne suis pas particulièrement heureuse de vous voir. Qu'est ce que vous fichez à Atlantide ?
    -La foire, répondit l'espion en lui montrant une chaise.
    Elle s'assit, posant sa chope sur la table.
    -La foire ?
    -Un bon moyen de rentrer en ville, expliqua l'un des gorilles. Et les faubourgs sont le meilleur endroit pour trouver du travail dans ce maudit pays.
    Boue le toisa un instant avant d'abandonner.
    -Vous ne vous êtes jamais présentés, fit-elle.
    -Toi non plus.
    -Boue.
    -Kirk, fit le premier gorille.
    -Afor, fit le deuxième.
    L'espion ne disait rien et Kirk soupira :
    -Et lui c'est Elza, mais il ne l'avouera jamais.
    Elza lui lança un regard meurtrier que le gorille ignora.
    -Pourquoi ne pas avoir quitté l'Empire ? Demanda Boue, qu'est ce que vous fichez depuis tout ce temps ?
    -Oh, on vivote. Des petits boulots par ci par là. L'avantage d'avoir été membre de l'Empire pendant longtemps c'est que notre accent passe inaperçu. Comme le tien d'ailleurs. Tu le tiens d'où ?
    -Le Nord. Mais pourquoi ne pas être partis ? Insista-t-elle, Il y a tellement d'endroits où vous pourriez être !
    -Comme la Demi-ville ? Fit l'espion, On y a pensé, mais on s'est dit que le climat y était trop sec à notre goût. Et puis on a entendu cette rumeur.
    Boue attendit qu'il termine mais son attention avait été prise ailleurs. Elle tourna les yeux vers la porte, suivant son regard et aperçut Rif, qui fendait la foule dans leur direction. Elle regarda l'espion, il semblait inquiet.
     

    -Je connais cet homme, murmura-t-il.
    Les deux gorilles semblèrent soudain nerveux. Boue les regarda d'un air surpris :
    -Comment ça vous le connaissez ?
    -On a eut quelques difficultés il y a quelques temps. Je ne pensais pas que c'était lui notre contact.
    -Quel contact ? De quoi vous parlez ?
    -Tu devrais partir, mieux vaut qu'il ne te rencontre pas.
    -C'est un peu tard pour ça, fit Rif, surprenant la fin de la conversation.
    Boue secoua la tête, soudain de mauvaise humeur :
    -J'aimerais bien que quelqu'un m'explique ce qui se passe ici.
    Ce fut Kirk qui, comme toujours, se chargea de ça pendant que Rif se trouvait une chaise et les rejoignait à table.
    -Avant que Heiye ne tombe nous étions en contact avec un homme qui nous donnait des informations sur l'Empire et ses mouvements de troupes.
    Boue lança un regard amusé à Rif qui eut la bonne grâce de paraître gêné.
    -On ne le connaissait que sous le nom de Le Noir, poursuivit Kirk, mais nous avons fini par faire le lien avec le tueur connu sous le nom de La Chance. Tu as probablement entendu...
    -Oui, oui, abrégea Boue, passe à la partie où il devient votre contact.
    -Eh bien il y a quelques mois une rumeur a commencé à circuler disant qu'une troupe importante de mercenaire recrutait pour un contrat dans l'Est. Nous avons réussi à rejoindre un groupe qui se rendait à l'enrôlement. Là-bas on nous a dispersé pour rejoindre plusieurs postes d'observations. Nous avons été envoyé à Atlantide où nous devions rencontrer notre contact.
    Boue se tourna vers Rif, le regard interrogateur. Il haussa les épaules :
    -Ils payent bien dans l'Est, et je n'ai pas grand chose à faire en ce moment.
    -Bien sur. Et tu comptais me dire quand que tu travaillais pour les Dissidents ?
    -J'espérais ne pas avoir à le faire.
    -Attendez, attendez, interrompit Elza. Vous vous connaissez ?
    Rif tourna un regard impatient vers l'homme qui sembla soudain légèrement effrayé.
    -C'est une longue histoire. Je l'ai rencontrée il y a longtemps, on est resté en contact.
    -Rif.
    Il regarda Boue d'un air sombre mais le regard froid de Boue ne baissa pas d'un millimètre. Afnor se pencha vers son compagnon :
    -Pas étonnant qu'elle soit si effrayante: ils sont pareils.
    Kirk hocha la tête, avala avec difficulté. Il espéra un instant qu'ils ne feraient pas d'esclandre.
    -Qu'est ce que tu veux savoir ? Demanda finalement Rif à contre cœur.
    -Qu'est ce que tu peux me dire ?
    Il haussa les épaules :
    -Sans trahir mon contrat ? Peu de chose que tu ne saches déjà.
    -Alors fais un effort.
    Il fit claquer sa langue, énervé et Boue pinça les lèvres.
    -Il y a un contrat sur ton Prince.
    Boue resta silencieuse, seul ses pupilles dilatées indiquaient sa surprise.
    -Je ne l'ai pas pris, si ça peut te rassurer, mais je sais que quelqu'un est en route pour ça.
    -Pourquoi lui ? Pourquoi pas l'Impératrice ?
    -Parce que si elle meurt le conseil prend le pouvoir, ce n'est pas ce qu'ils veulent. Ils veulent la forcer à obéir et quoi de mieux que lui montrer la vulnérabilité de son palais ?
    -Je croyais qu'ils voulaient le pouvoir.
    -Chaque chose en son temps.
    -Et ils recrutent une armée.
    Rif hocha la tête, vérifiant pour la douzième fois, au moins, que personne n'écoutait leur conversation.
    Boue venait de faire la même chose. Ainsi qu'Elza, Afnor et Kirk.
    -Dans quel but ?
    Il haussa les épaules :
    -Qu'est ce que j'en sais ? Prendre Atlantide ? Moyen de pression ? Simple protection ? Je ne suis pas autant dans leur petits papiers.
    -Qui est leur chef ?
    -Aucune idée. Pas le seigneur que tes copains surveillent en tout cas.
    -Ils sont déjà au courant.
    Ils restèrent un instant silencieux et Boue finit par secouer la tête.
    -Très bien.
    Elle se leva et se tourna vers les trois autres :
    -Si j'étais vous j'irais reprendre ce contrat et louer mes services ailleurs. Si je vous recroise ici je corrigerais l'erreur que j'ai faite il y a quelques années.
    Ils acquiescèrent et Boue tourna son regard sombre vers Rif qui n'avait pas bougé.
    -Merci.
    Il sourit, toute trace de colère envolée. Ils restèrent un instant à s'observer, loin de toute considération politique. Boue secoua la tête, sans pouvoir s'empêcher de sourire à son tour.
    -Je te retrouve à mon retour. Fais attention à toi.
    -Toujours.
    Elle quitta la taverne sans un regard en arrière.

    Quand, la nuit tombée, Boue rejoignit enfin sa chambre elle fut soulagée et déçue de voir que Luciole ne s'y trouvait pas. Elle ne s'en étonna pas vraiment. Les rumeurs lui avaient bien fait comprendre que le Prince avait obtenu ce qu'il voulait.
    Malgré tout quand elle ouvrit la fenêtre elle eut un choc. La nuit était trop noire pour qu'elle puisse véritablement détailler les jardins, mais elle entendait le bruit de l'eau. Une fontaine, probablement. Des pas crissaient dans les allées et des odeurs de fleurs montaient jusqu'à sa fenêtre. Elle pouvait voir la tour Princière en se penchant légèrement et alors qu'elle s'apprêtait à refermer la vitre elle remarqua la lumière provenant de l'un des appartements. Une fenêtre était ouverte et elle découvrit que la figure qui s'y appuyait n'était autre que Luciole, vêtue d'à peine une chemise. Elle ne se recula pas suffisamment vite pour échapper à la vision du Prince enlaçant l'éclaireur.


    Boue referma la fenêtre. Elle resta un instant immobile, la main sur la vitre. Elle pinça les lèvres, tentant d'oublier le pincement dans sa gorge et son pouce vint légèrement caresser son dé à travers le tissu de sa chemise avant de se resserrer en un poing rageur. 


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  •  

    Boue épingla rapidement ses cheveux en un chignon serré et vérifia son allure dans le petit miroir de la chambre. Le jour se levait quand elle sortit de la chambre à grands pas se dirigeant sans hésitation vers la minuscule passerelle qui la mènerait directement à la tour Impériale. Elle avait fini par s'habituer à la hauteur des pontons et passages aériens et les empruntait désormais sans trop y penser.

    La porte rouge du bureau apparut bientôt devant elle. Les deux gardes la saluèrent quand elle arriva et elle fut immédiatement introduite devant l'Impératrice. Elle portait ce jour là une tunique longue et pourpre, au décolleté carré très sage avec de larges manches resserrées sur les poignets, brodées ton sur ton. Un pantalon de voile noir couvrait ses jambes et des cheveux tombaient en une tresse artistiquement décoiffée sur le côté de son visage. Le seul bijou qui accompagnait cette tenue étonnante était le fin diadème d'or et de rubis qui ne la quittait presque jamais. Boue eut à peine le temps de saluer avant que la voix sèche de l'Impératrice ne l'apostrophe.

     

    -Vous avez demandé à me voir.

     

    Boue nota l'absence de Luciole avec un froncement de sourcils.

     

    -Oui, Majesté.

     

    L'Impératrice lui fit signe de poursuivre et Boue expliqua :

     

    -Il y a un contrat sur la vie du Prince Consort, votre majesté.

     

    Camyl ne sembla pas s'en émouvoir :

     

    -Les Dissidents ?

     

    -Oui, Majesté.

     

    -Avez-vous prévenu le Prince ?

     

    -Pas encore, Majesté.

     

    -N'en faîtes rien. Je veux qu'ils viennent et je veux pouvoir les interroger. Protégez mon époux, mais ne faîtes rien qui puisse les inquiéter. Je veux des rapports journaliers. Prévenez l'éclaireur Hart mais restez discrètes.

     

    -A vos ordres, majesté.

     

    -S'il meurt éclaireur, ce sera de votre faute.

     

    Le regard froid et menaçant de l'Impératrice se heurta au calme impénétrable de Boue.

     

    -Cela n'arrivera pas, majesté.

     

    -Je l'espère pour vous. Vous pouvez disposer.

     

    Boue salua et sortit. Elle croisa Luciole qui s'apprêtait à rentrer. Celle ci poussa une exclamation de surprise quand Boue la prit un peu brutalement par le bras et l'entraîna hors de portée de voix des gardes.

    -Lâche moi ! Qu'est ce qui te prend ?

     

    -Tu as laissé le Prince avec une garde ?

     

    -Le... pourquoi je...

     

    Le regard condescendant de Boue la fit rougir et elle hocha la tête, gênée.

    -Il y a un contrat sur sa tête. Les Dissidents. Il n'en sait rien et l'Impératrice veut tendre un piège aux assassins. Pas un mot sauf nécessaire.

     

    Les explications laconiques de Boue semblèrent suffire et les deux jeunes femmes se séparèrent sans un mot de plus.

    Boue retourna vers la tour du Prince au pas de course, ignorant le léger pincement de jalousie qu'elle avait eu à la vue de Luciole. Elle s'arrêta avant de déboucher dans le couloir à la porte bleue et entreprit de se calmer. Elle ne devait pas être différente de la veille, le Prince ne devait pas se rendre compte de son inquiétude.

    Enfin calme elle marcha jusqu'à la porte encadrée par deux gardes à l'air de s'ennuyer profondément. Boue leur sourit d'un air compatissant tandis qu'ils frappaient à la porte. Elle entra sans attendre de réponse et referma derrière elle.

    Le Prince était assis dans son fauteuil habituel, une jambe par dessus l'accoudoir, un livre dans la main, toujours torse nu. Il leva les yeux vers la jeune femme et fronça les sourcils.

    -Vous êtes toujours d'une humeur noire à ce que je vois.

     

    Boue secoua la tête en grimaçant et s'approcha :

     

    -Pas du tout. Je réfléchissais c'est tout.

     

    -A quoi donc ?

     

    Boue haussa les épaules et alla s'appuyer sur le linteau de la cheminée :

    -A votre résistance au froid. Je n'arriverai jamais à comprendre comment, venant d'un pays chaud, vous pouvez être tout le temps torse nu.

     

    Il baissa les yeux, semblant seulement remarquer.

     

    -Oh. Je ne sais pas. Ça ne m'a jamais vraiment posé de soucis. Vous avez froid, vous ?

     

    -Pas vraiment. Mais je suis habillée moi.

     

    Il inclina la tête avec un sourire en coin et Boue leva les yeux au ciel. Elle se détourna, et alla se poster près de la fenêtre. Le Prince reprit la parole.

    -Je suppose que vous ne comptez pas me mettre au courant, si ?

     

    Elle s'empêcha de le regarder.

     

    -Au courant de quoi ?

     

    -Du contrat sur ma tête, voyons. Ne prenez pas pour un idiot.

     

    Elle se tourna vers lui. Il la dévisageait d'un air tranquillement interrogateur.

     

    -Si vous savez déjà, pourquoi devrais-je vous mettre au courant ?

     

    Il soupira :

     

    -Je n'aime pas être utilisé comme appât, vous devriez le comprendre.

     

    Elle détourna le regard. Il se leva et s'approcha d'un pas souple. Il laissa tomber le livre sur la tête de Boue qui se crispa sous l'impact :

     

    -J'aurais préférer pouvoir vous faire confiance à ce sujet, mais les événements me donnent raison. Pourquoi être allée voir mon épouse avant de me prévenir ?

     

    Elle garda les yeux baissés :

     

    -Parce que c'est à elle que je rends des comptes.

     

    -Je pensais que vous me faisiez confiance.

     

    -ça n'a rien à voir.

     

    Il lui prit le menton, la forçant à le regarder :

     

    -Vous pourriez me faire confiance, fit-il bien plus sérieusement que tout ce qu'elle avait put entendre jusqu'ici, vous le savez n'est ce pas ?

     

    Boue se dégagea brutalement et s'écarta.

     

    -Ne dites pas n'importe quoi. Je suis entraînée pour ne faire confiance à personne.

     

    -Pas même à vos camarades ?

     

    Elle haussa les épaules.

     

    Il resta silencieux un long moment avant de retourner s'asseoir :

     

    -Qu'avez vous prévu de faire ?

     

    -L'Impératrice veut leur tendre un piège.

     

    -Mais vous, qu'avez vous prévu ?

     

    Elle eut un geste fataliste :

     

    -Arrêter de dormir, je suppose.

     

    Il sourit :

     

    -Vous pourriez prévenir Luciole. Vous partageriez ma garde.

     

    -Je doute qu'elle soit à même de vous garder quand elle est en votre compagnie.

     

    Il grimaça mais ne la contredit pas.

     

    -Qu'est ce qui vous a pris hier ?

     

    Elle fronça les sourcils, perplexe.

     

    -Hier ?

     

    -Quand vous êtes partie de la bibliothèque en courant sans un mot d'explication et que vous avez ensuite refusé de combattre avec moi ?

     

    -Ah, hier.

     

    Elle avait déjà oublié. Beaucoup de choses bien plus intéressantes s'étaient passées entre temps.

     

    -J'avais besoin de prendre l'air, je vous l'ai dit.

     

    -Comme ça ? Soudainement ?

     

    -Oui.

     

    -Vous m'en voyez déçu. J'espérais au moins que vous ayez un rendez vous important ou un amant à retrouver.

     

    Boue haussa les épaules :

     

    -Désolée de vous décevoir.

    Le regard moqueur qu'elle lui lança le fit soupirer. Il se détourna et Boue laissa ses poings se desserrer lentement dans son dos.

     

     

     

     

     

    Le Prince effaça avec difficulté l'expression d'horreur de son visage et se redressa avec hésitation. S'asseyant il parcourut la pièce du regard. Le salon était sans dessus dessous, les meubles renversés et des papiers éparpillés au sol. La fenêtre cassée laissait passer un courant d'air glacé qui avait soufflé les bougies. Des flaques de sang tachaient le tapis.

    -Majesté ? Vous n'avez rien ?

     

    Boue se penchait vers lui, une main tendue pour l'aider à se relever. Il la saisit et elle le tira sur ses pieds. Il chancela un instant et elle le soutint par le coude.

     

    -Je... hum. Ça va. Et vous ?

     

    Il avait la voix rauque. Il eut honte de son état émotionnel quand Boue semblait n'avoir fait qu'une promenade.

     

    -Moi ? Aucun soucis.

     

    Elle le guida vers la porte, dépassant les trois cadavres étendus dans des positions grotesques. Il posa les yeux sur eux et frissonna.

     

    -Vous les connaissez ? Demanda Boue en s'arrêtant.

     

    -Non.

     

    Elle ouvrit la porte et il ouvrit la bouche, stupéfait. Une véritable armée était campée là. Le capitaine Kymé s'approcha :

     

    -Tout s'est bien passé ? Demanda-t-il à Boue.

     

    Elle hocha la tête :

     

    -Majesté ? Le lieutenant Kymé va vous conduire aux appartements impériaux. L'Impératrice vous attend.

     

    -Vous auriez pu me prévenir, fit-il d'un ton plein de reproches.

     

    -A quoi ça aurait servi ? Vous feriez mieux de rejoindre l'Impératrice. Je viendrais faire mon rapport dans la matinée.

    Un peu vexé de se faire diriger comme un bleu il la regarda s'accroupir près du dernier cadavre et retirer un pendentif coincé dans sa chemise.

     

    -Qu'est ce que c'est ?

     

    Elle le lui montra d'un air sombre : un petit dragon argenté. Il s'assombrit :

     

    -Comment ont-ils réussit à entrer ?

     

    -C'est bien tout le problème. Tout ce plan était fait pour le savoir et nous n'en avons aucune idée. Ils ont reçu de l'aide, c'est certain. Nous avons réussi à arrêter un serviteur mais il est mort avant qu'on ait pu l'interroger. Et il n'était probablement pas le seul.

     

    Elle semblait contrariée et le Prince se demanda si c'était à cause du danger que lui et l'Impératrice couraient ou parce que des gens avaient réussi à passer sous sa surveillance. Il apprécia soudain de l'avoir avec lui.

     

    -Hum... merci en tout cas.

     

    Elle tourna vers lui un regard surpris.

     

    -Pardon ?

     

    -Merci de m'avoir sauvé la vie.

     

    -Oh.

     

    Elle haussa à nouveau les épaules et se détourna :

     

    -C'est pour ça que je suis là. Il faut y aller maintenant.

     

    Il hocha la tête et laissa Kymé et un groupe de gardes l'entraîner loin du carnage. Regardant une dernière fois en direction de son garde du corps il remarqua un éclat dans ses yeux qu'il ne lui connaissait pas. Un léger sourire flottait sur les lèvres de la jeune femme, un sourire froid, satisfait. Il frissonna : elle était magnifique.

    Boue retourna près des cadavres et entreprit de les examiner. Ils ressemblaient à n'importe quels atlantes. L'un brun, les deux autres d'un châtain un peu plus clair. Légèrement barbus, une constitution de soldat comme on en croisait partout en ville. Ils n'avaient rien dans leurs poches ni dans leurs bourses. Les bottes ne donnèrent que des couteaux. Elle ne trouva que des pendentifs. Trois fois le même : un dragon argenté enroulé, crachant du feu, pas plus large que son pouce. Elle les tint devant ses yeux, se demandant cyniquement s'il y avait une telle différence entre ce pendentif et les armoiries impériales.

    Elle baissa le poing, fourrant les pendentifs dans sa poche. Elle se tourna vers le garde qui attendait qu'elle ait fini.

     

    -Dites moi si vous trouvez autre chose.

     

    Il hocha la tête et elle quitta la pièce.

     


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  • Elle traversait la cour à pas rapide, les épaules remontées pour bloquer les rafales de vent qui menaçaient de la renverser. Elle avait abandonné l'idée de maintenir sa capuche et ses cheveux depuis longtemps dénoués collaient à son visage. Elle poussa la porte de la tour princière et lutta un instant avant de réussir à la refermer. Elle soupira en dégageant son visage.

    -Boue Finylt ! Qu'êtes vous donc allée faire dehors par un temps pareil ?

    Elle leva les yeux vers le Prince qui l'observait debout sur le palier, un rouleau de parchemin jauni dans les mains.

    -Je devais aller au relais, votre majesté.

    -ça ne pouvait pas attendre demain ?

    -Il pleuvra probablement tout autant demain.

    Il admit l'argument d'un hochement de tête :

    -Bon, puisque vous êtes là autant que vous m'accompagniez. Les agents du Nord sont arrivés hier avec leurs rapports. Je les ais lu mais j'aimerais entendre leurs commentaires de vive voix.

    -Laissez moi le temps de mettre des vêtements secs et je vous rejoints.

    -Vous vous sécherez devant le feu, allez !

    Il se détourna sans attendre. Elle grommela mais lui emboîta tout de même le pas, sautant des marches pour le rattraper. Il plissa le nez :

    -Vous sentez le chien mouillé.

    -Vous n'avez pas voulu que j'aille me changer.

    -Pas le temps d'attendre. Je n'ai pas que ça à faire.

    Il s'arrêta et la dévisagea un instant, étudiant son allure échevelée d'un œil curieux :

    -Je ne suis pas sur de vous avoir déjà vu les cheveux détachés. Vous devriez le faire plus souvent.

    -Ce n'est pas pratique votre majesté, ils se prennent dans ma cotte de maille.

    -Vous n'en portez pas.

    -Pas jusqu'à maintenant, c'est trop bruyant. Mais j'en porterai une à partir de maintenant.

    Il resta interdit devant son expression extrêmement sérieuse.

    -C'est absurde.

    -Vous m'avez cherchée.

    -Mais pas...

    Il se pinça le haut du nez en fermant les yeux, respirant profondément.

    -Peu importe.

    Il se détourna et repartit en marmonnant :

    -Je déteste quand vous êtes de bonne humeur.

    -Vous n'êtes jamais content.

    Mais elle souriait, très satisfaite d'elle même.

     

    Deux hommes bondirent sur leurs pieds quand ils entrèrent dans le bureau, saluant très bas. Boue se cala près de la cheminée, retira sa cape et la crocha à une patère. Elle posa son regard sur les deux hommes et fronça les sourcils. Ils avaient une allure familière qu'elle n'arrivait pas replacer. Le Prince s'assit et fit un geste enjoignant les deux soldats à faire de même :

    -Je vous écoute, fit Kahn en croisant les doigts.

    -Nous n'avons pas grand chose à ajouter à notre rapport, majesté. Comme nous l'avons déjà dit cela fait maintenant deux ans que nous n'avons plus aucune nouvelles des traîtres. Toutes les pistes ont été remontées, mais elles n'ont abouti qu'à des tombes, pleines nous avons vérifié. Nous sommes quasiment certains de les avoir tous retrouvés.

    -Bon ! Au moins voilà une chose qui est réglée. Vous êtes vous occupés des familles aussi ?

    -Celles qui n'ont pas voulu nous confier leurs enfants ont été emprisonnées et les enfants emmenés aux camps, majesté. Tout est désormais sous votre contrôle.

    -Sauf l'enfant échappé.

    -Nous avons interrogé le sergent qui l'avait aidé à s'enfuir, mais nous n'avons rien pu obtenir avant qu'il ne succombe. Il était trop vieux et trop têtu.

    Le Prince soupira :

    -J'espère pour vous que cet enfant n'est pas en train de fomenter une rébellion.

    -Il y a peu de chance qu'il ait survécu, votre majesté.

    -Peu de chance n'est pas l'équivalent de mort. Retrouvez moi cet enfant, qui doit être grand désormais. S'il est vivant éliminez le. S'il est mort j'en veux la preuve.

    -Majesté, il n'y a aucune trace...

    -Cherchez les liens qu'avait ce sergent ! Dois-je vous apprendre votre métier en plus du reste ? Si cet enfant n'était pas avec lui c'est qu'il l'a confié à quelqu'un en qui il avait confiance ! C'était l'enfant de son capitaine ! Il ne l'aurait pas mis dans le premier orphelinat venu !

    Les deux hommes, pourtant impressionnants de taille et de regard, se tassèrent sur leurs chaises devant la colère du Prince.

    L'histoire semblait trop familière. Boue ferma les yeux une seconde, chassant ce sentiment avec impatience. Elle avait raté la fin de la conversation.

    Les deux hommes s'étaient levés et saluaient raidement.

    -Retrouvez le ! Lança une dernière fois le Prince d'une voix sèche.

    Les hommes hochèrent nerveusement la tête et disparurent. La porte claqua dans leur sillage. Boue regarda le Prince, amusée par son expression réprobatrice.

    -Ne commencez pas, prévint-il sans la regarder, sinon je vous renvoie dehors.

    -Je n'ai rien dit !

    -Eh bien ne commencez pas !

    Elle retint un rire et il tourna un regard effaré dans sa direction :

    -Depuis quand riez vous ?

    Elle s'interrompit, réfléchissant un instant :

    -Hum... difficile à dire. Deux jours il me semble.

    Il pâlit et grimaça :

    -Depuis que vous avez tué ces assassins.

    -Hum ? Ah oui. Ça doit être ça.

    -Vous êtes horrible.

    -Et vous êtes vivant alors arrêtez donc de vous plaindre. Maintenant que j'ai vu vos... hommes, quoi qu'ils aient pu faire pour vous, je peux aller me changer ? Si je tombe malade vous allez encore moins apprécier.

    Il abandonna et agita la main, lui accordant le droit de sortir. Ce qu'elle fit sans attendre, saluant d'un air moqueur avant de sortir. Il l'entendit appeler un garde avant qu'elle ne parte :

    -Ne le quittez pas jusqu'à ce que je revienne. Je ne serais pas longue.

     

    Elle laçait sa veste de cuir sur une chemise propre quand Luciole entra.

    -Je ne pensais pas te voir ici, fit-elle en refermant la porte.

    -Je suis allée au relais, fit Boue en s'asseyant pour enfiler des bottes sèches.

    -Et ?

    -Rien de neuf.

    Luciole s'assombrit :

    -J'aurais aimé avoir des nouvelles de Liu.

    Boue posa un regard songeur sur son amie.

    -Je ne suis pas sure qu'il risque grand chose avec Carri.

    -Tu plaisantes ! Répliqua Luciole, effarée. Ce type est un nid à problèmes !

    Boue haussa les épaules et se leva :

    -C'est une une brute sans cervelle. Mais il faut lui reconnaître la capacité de se sortir des pires ennuis.

    -En y laissant les autres.

    -Peut être.

    Boue enfila un pourpoint sec et épais, d'une belle laine noire, aux poignets doublés de velours. Elle avait fini par obéir au Prince quand il lui avait ordonné de se trouver des vêtements plus dignes d'une cour impériale. Et elle commençait à se rendre compte qu'elle s'habituait au confort.

    -Cesse de t'inquiéter, ajouta-t-elle un peu brusquement, S'il leur était arrivé quelque chose on m... on nous aurait prévenu.

    L'hésitation n'échappa pas à Luciole qui lui jeta un regard acéré :

    -Promet moi que tu me tiendras au courant.

    -Evidemment, répliqua-t-elle sèchement.

    Luciole n'eut pas l'air de percevoir le mensonge et Boue quitta la pièce sans aucun remords.

     

    Le Prince lisait un rapport épais quand elle revint. Il avait un air si sérieux que Boue s'inquiéta soudain de ce qu'il pouvait contenir :

    -Mon frère est bien trop calme. Son alliance avec les Erissen semble avoir eu une conclusion heureuse pour lui mais il ne fait rien d'autre que de les utiliser comme guides.

    -Erissen ? Ce ne sont pas des guerriers ?

    -Si. Terrifiants et imbattables selon la légende. Les anciens néanmoins. Depuis quelques années ils sont... différent.

    Il avait un ton pensif, comme s'il se rappelait des temps disparut.

    -Vous semblez bien les connaître.

    -J'ai eu une...relation avec l'une d'entre eux pendant un temps. Mais elle était trop libre pour s'accommoder de ma vie de château.

    Boue secoua la tête, une moue moqueuse sur les lèvres, mais ne fit aucun commentaire. Il se tourna soudain vers elle, soupirant :

    -Que diriez vous d'un entraînement aujourd'hui ? Ne me dites pas que vous n'êtes pas d'humeur je ne vous croirais pas.

    -Il pleut, fit remarquer Boue.

    -Je n'ai pas dit que nous devions aller dehors.

    Boue lui lança un regard dubitatif.

    -Vous ne connaissez pas la salle intérieure ? Vous ne devez vraiment pas beaucoup vous entraîner.

    Il se leva, attrapant une veste épaisse qu'il enfila et lança :

    -Venez, je vais vous montrer.

    -Majesté, je ne suis pas...

    -Vous n'avez pas le choix aujourd'hui. Je suis le Prince, vous m'obéissez.

    Boue le dévisagea d'un air stupéfait quand il la dépassa, son allure royale gâchée par le regard en coin qu'il lui lança :

    -Qui y-a-t-il ?

    -Vous n'avez jamais utilisé cet argument auparavant.

    -Habituellement les gens n'ont pas besoin que je le leur rappelle.

    Boue leva les yeux au ciel et se dépêcha de lui ouvrir la porte.

    Il l'entraîna dans les couloirs, marchant à grands pas dans un silence joyeux qui inquiétait Boue au plus haut point. Quand le Prince s'amusait il était généralement le seul. Ils traversèrent la tour princière, puis celle de la bibliothèque et descendirent jusqu'au rez-de-chaussée de la tour principale avant d'enfiler plusieurs long couloirs déserts et glacés jusqu'à un bâtiment que Boue n'avait jamais vu. Il n'y avait que deux étages et elle découvrit avec stupéfaction que toutes les salles n'étaient dédiées qu'au combat. Une salle de tir occupait tout le niveau le plus bas et Boue observa avec un sourire que les soldats étaient de bien meilleurs archers que ce qu'elle avait toujours pensé. Ils empruntèrent un escalier de bois assez large jusqu'au premier, débouchant dans une salle bien plus surchauffée et à l'odeur forte de sueur et de métal graissé. Des combats à mains nues y côtoyaient des duels et des combats de groupes et elle regarda avec intérêts ces hommes, et quelques femmes mais la vue l'intéressait beaucoup moins, en sueurs, torses nus, se battre avec une violence si peu contenue qu'elle se sentit presque chez elle. Elle serait bien restée plus longtemps à observer cette étalage de brutalité mais le Prince traversa la pièce pour monter jusqu'au dernier étage et elle fut obligée de le suivre.

    Le troisième étage était bien plus richement décorés. Des fresques et des armoiries aux couleurs impériales et princières posaient tout de suite une ambiance bien moins soldatesque et les râteliers d'armes portaient des épées et des rapières plus que des lances et des hallebardes. L'étage réservé à la noblesse, supposa-t-elle. Il était vide pour le moment et le Prince se dirigea vers un banc, retirant sa veste et son pourpoint dans un geste souple. Boue s'immobilisa, observant les muscles de l'homme bouger sous sa chemise blanche, ses mouvements félins. Elle avait beau le voir presque nu tous les jours, il était bien trop séduisant pour qu'elle ne s'y habitue. Il se retourna et sourit en la voyant brusquement détourner le regard, une légère rougeur envahissant ses joues.

    -Par quoi préférez-vous commencer ? Demanda-t-il en s'emparant d'une épée et en en testant l'équilibre.

    Boue resta fascinée par le mouvement de ses muscles quand il fit tournoyer la lame dans les airs. Elle se secoua, grognant contre sa propre distraction et se força à réfléchir à une réponse appropriée. Elle finit par opter pour un haussement d'épaule très peu approprié. Le Prince leva les yeux au ciel.

    -Très bien, alors je choisis le com...

    -L'épée, interrompit-elle, je préfère l'épée.

    Il la regarda de travers et elle fut soulagée d'être intervenue à temps. Tout sauf le combat à mains nues.

    -Va pour cette fois. Je suppose que vous préférez utiliser la vôtre ?

    -ça n'a pas d'importance. Vous préférez les armes d'entraînement ?

    -Vous avez peur de vous blesser ?

    Elle grogna :

    -Vous m'imaginez avec une deuxième cicatrice ?

    -Une seule vous va si bien, je ne voudrais pas la gâcher.

    Elle le dévisagea d'un air peu amène avant de se rendre compte qu'il était sérieux. Elle secoua la tête, exaspérée, et retira sa cape et son pourpoint, laissant tomber le tout sur un banc, tas rejoint par son épée. Elle se dirigeait vers un râtelier pour y chercher une arme d’entraînement quand un sifflement lui fit tourner la tête. Elle se laissa vivement tomber au sol, roulant pour se rétablir face au Prince, un feulement de colère s'échappant de ses lèvres.

    -Vous n'auriez jamais du abandonner votre arme, fit le Prince en se plaçant entre elle et le râtelier, la laissant les mains vides.

    -Vous allez regretter de m'avoir provoquée, menaça-t-elle d'une voix furieuse.

    Elle vrilla son regard dans celui du Prince qui souriait, ignorant les spectateurs qui commençaient à s'installer tout autour d'eux. Du coin de l'oeil elle repéra Kymé et Flinn, en sueur, souriant et lui faisant de grands signes, comme deux gamins. Elle leva les yeux au ciel et le Prince en profita pour attaquer, s'attirant les sifflements de la foule. Boue plongea pour éviter la lame qui trancha une mèche rebelle de son chignon. Les épingles tombèrent au sol dans un cliquetis métallique et ses cheveux se déroulèrent lentement, entourant ses épaules, caressant ses joues. Elle se redressa de toute sa taille et toisa le Prince qui souriait, moqueur.

    -Alors éclaireur ? Demanda-t-il, voulez vous que je vous laisse prendre une arme, ou votre légendaire réputation est-elle méritée ?

    Boue inspira puis expira longuement, calmant sa colère, et fixa le Prince d'un nouveau regard. Indifférente ou calculatrice, il ne réussit pas à savoir.

    -Ne vous embêtez pas pour moi, lança-t-elle d'une voix calme.

    Elle fit un bon et quand il releva instinctivement son épée pour l'embrocher elle fit un pas de côté et d'un mouvement qui parut presque délicat, la lui retira des mains, pivota et la posa sur sa nuque. Il poussa un cri de douleur, presque avec retard, tenant la main qu'elle venait de tordre presque jusqu'à la briser. Boue se pencha à son oreille et murmura, presque tendrement :

    -Vous n'auriez jamais du me provoquer, majesté.

    Il y eut un instant de silence stupéfait, le temps que tout le monde comprenne ce qui venait de se passer, qui fut soudain remplacé par un tonnerre d'applaudissement. Boue s'écarta et rendit son épée au Prince, garde en avant, s'inclinant sans aucune moquerie. Ils étaient encore suffisamment près pour qu'elle distingue le mélange d'admiration, de colère et d'incompréhension dans le regard bleu de Kahn. Elle posa un genou en terre devant lui et baissa la tête, ses cheveux glissant pour révéler sa nuque. La salle fit soudain silence, leur souffle retenu.

    Elle avait humilié le Prince devant la moitié de la garnison et elle était prête à en payer le prix. Le Prince souffla, agacé :

    -Ne soyez pas stupide, fit-il d'un ton sec, relevez-vous et allez chercher votre épée.

    Elle se redressa, hésitante et il ajouta :

    -Je veux savoir pourquoi vous m'avez vaincu aussi facilement.

     

    Quand il accepta enfin qu'ils arrêtent la nuit était tombée et Boue avait les nerfs à fleur de peau. Le Prince était un élève insupportable. Et doué. Mais tellement insupportable que si elle devait recommencer elle allait le tuer.

    -Votre technique est étonnante, fit-il en allant reposer son arme.

    Son torse luisait de sueur, sa chemise depuis longtemps abandonnée. Boue était presque dans le même état, sa chemise noire collait à sa poitrine et son dos et des mèches échappées de sa tresse collaient à son visage et à son cou. Les observateurs avaient fini par s'en aller, mais Flinn et Kymé étaient encore là, observant Boue et le Prince d'un œil critique.

    -Je ne suis pas sure de vouloir savoir ce que vous voulez dire, répliqua Boue.

    Il ignora sa réponse et poursuivit :

    -A première vue vous avez surtout l'air rapide, vos coups sont précis, vous ne perdez pas d'énergie. Vous combattez comme on pourrait s'y attendre de la part d'une femme.

    Boue grogna une insulte qui choqua Kymé, mais qui fit beaucoup rire Flinn. Le Prince l'observa d'un œil amusé, se délectant de la vue de son corps souligné par sa chemise humide, avant de poursuivre :

    -Mais quand on teste un peu plus loin, la puissance de vos coups équivaut à celle de n'importe quel soldat et on oublie votre rapidité jusqu'à ce que vous gagniez. Tous les éclaireurs sont-ils comme vous ?

    Elle haussa les épaules sans répondre, le visage plissé en essayant de déterminer si elle devait remettre son pourpoint propre sur sa chemise trempée avant de secouer la tête et de le draper sur son bras avec sa cape. Elle épaula son baudrier, son épée pendant sur sa hanche et attendit que le Prince veuille bien se décider à partir. Mais il s'était tourné vers les deux soldats qui attendaient tranquillement.

    -Vous avez déjà vu des éclaireurs combattre non ? Comment est-ce ?

    Flinn sourit :

    -Pour de vrai, vous voulez dire ? Violent. Ils ne s'embarrassent pas de fioritures, l'important c'est de tuer et de ressortir vivant de la bataille.

    Boue roula des yeux en grimaçant mais ne le contredit pas.

    -Il y a beaucoup de morts chez les éclaireurs dans une bataille ? Continua le Prince en se dirigeant vers la sortie, Flinn à ses côtés.

    -Bien sur que non, répondit Boue à sa place, sinon toute cette technique ne servirait à rien. Le but est de survivre vous vous rappelez ?

    -Je croyais que le but était de vaincre ? Répondit le Prince en se tournant à moitié vers elle, les sourcils froncés.

    -Le but est de vaincre ET d'en sortir vivant pour pouvoir recommencer.

    -Il semble que vous ayez presque failli à votre tâche, fit remarquer Kahn d'une voix songeuse.

    Les trois autres échangèrent un regard. Kymé et Flinn ne savaient pas grand chose, mais ils savaient qu'elle était passée bien plus près de la mort qu'elle ne voulait l'admettre.

    -Peut-être, concéda Boue.

    Ils finirent la descente en silence et le Prince se dirigea vers ses appartements, faisant signe à Boue de le suivre. Elle eut un geste fataliste vers Flinn et Kymé avant de courir pour le rejoindre dans le couloir.

    -Vous ne dites jamais tout, n'est ce pas ? Demanda-t-il sans la regarder.

    -A propos de quoi ?

    -De tout. D'Avalon, de votre blessure, de la raison de votre présence ici.

    -Ma blessure est assez évidente, et vous savez très bien pourquoi je suis ici.

    Il secoua la tête :

    -Vous n'êtes pas une simple éclaireur. Je ne suis pas stupide au point de ne pas remarquer votre habileté. On n'envoie pas quelqu'un d'aussi doué que vous simplement pour garder le couple Impérial dans un palais avec une garnison entière à leur service.

    Boue ne sut quoi répondre et il murmura :

    -J'aimerais que vous me fassiez confiance un jour. Mais je doute que vous restiez suffisamment longtemps ici pour que je le vois.

    Boue fut surprise de la blessure qu'elle entendait dans sa voix et tourna un regard curieux vers cet homme qu'elle avait eu l'impression de parfaitement saisir. Peut-être avait-elle eu tort.

    -Vous savez déjà beaucoup de choses, finit-elle par dire.

    Il hocha la tête :

    -Mais pas par vous. J'aurais préféré les apprendre de votre part.

    Ils échangèrent un regard et il sourit :

    -Vous allez prendre froid dans cette tenue. Allez vous changer.

    -Je ne vous laisserai pas tout seul, fit-elle en haussant les épaules.

    Il regarda autour de lui mais le couloir était désert. Il n'y avait même pas de torches et seules les immenses fenêtres laissaient passer un peu de lumière. Kahn s'était immobilisé et regardait dehors, pensif. Boue remonta le baudrier qui glissait sur son épaule. La silhouette de l'homme se découpait dans la lumière crépusculaire, lui donnant une allure fantomatique et pourtant toujours aussi impressionnante. Il était grand, large d'épaules, ses cheveux blonds tressés sur sa nuque encadraient son visage et la légère barbe, visible dans la lumière, faisait une tâche sombre sur son visage. Il tourna ses beaux yeux bleus vers elle et lui sourit. Ils restèrent un instant silencieux. Ce fut le bruit et la lumière approchante d'un groupe de serviteurs qui les sortit de leur torpeur. Boue détourna les yeux et remonta les épaules, une soudaine tension s'installant dans sa nuque. Le Prince soupira et haussa les épaules :

    -On y va ?

    Elle hocha la tête et ils reprirent leur route, croisant le groupe qui s'écarta respectueusement sur leur passage. Mais le murmure qui les accompagna était légèrement moqueur. Le Prince grogna :

    -Vais-je regretter ce combat le reste de ma vie ?

    -Probablement.

    -Y a-t-il meilleur que vous ?

    -Certainement.

    -Qui ?

    -Aucune idée.

    Elle pinça les lèvres ignorant son regard suspicieux. Elle n'admettrait jamais connaître quelqu'un de meilleur qu'elle.

    Un étrange pincement lui rappela qu'elle n'avait pas revu Ile depuis plus d'un an. Que faisaient donc les autres depuis tout ce temps ? Que pouvait bien faire Carri ? Elle aurait du être sortie de ce palais depuis des mois, pourquoi n'avait-elle aucune nouvelle ?

    -Vous froncez les sourcils, remarqua le Prince alors qu'ils empruntaient un escalier pour rejoindre ses appartements.

    -Et ?

    -Vous froncez les sourcils quand quelque chose vous préoccupe. Je peux faire quelque chose ?

    -Non.

    -Vos réponses monosyllabiques sont toujours aussi agréables.

    Boue grogna et il n'insista pas.

     

    Elle descendit l'escalier jusqu'à la bibliothèque et salua Elion d'un hochement de tête. Elle se faufila entre les étagères surchargées et trouva le coin qu'elle cherchait. Elle l'avait découvert peu de temps auparavant, dans l'une de ses multiples tentatives d'échapper à l'enthousiasme débordant du Prince pour la politique. Elle prit un rouleau aussi long que son bras et alla l'ouvrir sur une table, le bloquant entre un chandelier éteint et un encrier vide. C'était une carte immense, peinte sur une toile de lin épaisse par quelqu'un qui, en plus d'avoir d'excellentes qualités de dessinateur, avait des notions de géographies impressionnantes. Elle représentait l'Empire, durant le règne de l'empereur précédent, père de l'Impératrice. Les frontières étaient moins étendues, et des régions comme le Nord ou l'Est étaient encore indépendantes. Les relais éclaireurs étaient notés, mais aussi ceux des messagers, les caravansérails. Les routes étaient dessinées en fonction de leur importance et de leur fréquentation, les villes étaient accompagnées de symboles et de notes précisant leur importance, leurs défenses, leurs allégeances variables.

    Du doigt Boue suivit le fleuve Avalon sur les six cents lieues depuis la mer jusqu'à la ville du même nom. Elle relut les détails noté à côté du minuscule dessin de la ville fortifiées. Trois cent milles habitants. Douves d'une profondeur inconnue, d'une largeur de dix mètres. Murailles de quinze mètres de hauteur. Allégeance à l'Empire fiable.

    Son doigt revint doucement vers Atlantide, puis sur Ile. Il n'y avait pas de détails sur Ile, seul le nom était noté à côté et le dessin du village de pécheur de la côte. Sans nom pour sa part.

    Elle leva la tête et soupira en voyant le Prince arriver :

    -Je ne m'attendais pas à vous voir ici. Qu'est ce que vous regardez ?

    Elle avait retiré sa main et haussa les épaules :

    -Une carte.

    Il se pencha à côté d'elle et siffla, impressionné.

    -Je ne l'avais jamais vue ! Elle est précise.

    -Pas très exacte pour la situation actuelle. Mais c'est dommage que personne ne l'ait corrigée. C'est triste qu'elle reste là.

    -L'Impératrice en a une plus récente.

    -Je l'ai vue. Elle n'est pas aussi précise que celle là.

    -Hum.

    Il fronça les sourcils puis appela :

    -Elion !

    L'homme arriva peu après, surpris.

    -Majesté ?

    -Cela vous embêterait-il de trouver qui a peint cette carte ?

    L'homme s'approcha et sourit :

    -Ah oui. Je me rappelle, mon maître avait été choqué d'apprendre qu'elle avait été rangée. C'est un atelier de la demi-ville qui l'avait faite sur commande de l'empereur George II le Studieux.

    -Le grand-père de l'Impératrice ?

    -C'est exact. Elle a été modifiée à deux reprises, regardez.

    Il montra des endroits où l'encre semblait se superposer à des couches plus anciennes.

    -Voyez ici, le village n'existait pas à la première écriture, et voyez toute cette ligne de caravansérails.

    -Pensez-vous pouvoir trouver quelqu'un pour la remettre à jour ?

    -Hum… dans l'immédiat je ne suis pas sur, mais je peux chercher si vous voulez. Ce genre de travail demande un expert.

    -J'imagine bien. Tenez moi au courant.

    -Bien sur, votre majesté.

    L'homme s'inclina et repartit. Boue regarda le prince d'un air amusé.

    -Quoi ?

    -Pourquoi vouloir récupérer cette carte ? Vous n'avez jamais voulu afficher des cartes.

    Il haussa les épaules :

    -Je ne suis pas le stratège de ce palais, j'ai rarement besoin d'une carte alors pourquoi m'encombrer ? Mais celle-ci est si belle qu'il serait dommage de la laisser ici.

    Boue secoua la tête et se détourna, se penchant à nouveau vers la toile étendue sur la table. Ses yeux revinrent vers Ile et elle sentit le Prince faire le tour de la table pour suivre son regard.

    -Les éclaireurs vous manquent ?

    Elle lui jeta un regard noir mais s'épargna la peine de répondre. Il soupira :

    -Que puis-je faire pour faire passer votre humeur morose ?

    -Je croyais que vous n'appréciiez pas de me voir de bonne humeur ?

    Il eut un geste exaspéré.

    -Cette carte revient sur notre discussion sur les éclaireurs. De toute évidence ils n'existaient pas à l'époque de sa création.

    Boue désigna des points minuscules sur la carte :

    -Et pourtant il y avait des relais?

    Il fronça les sourcils :

    -C'est étrange, vous avez raison.

    -J'imagine que noter de telles informations au vu et au su de tous était déconseillé. Est déconseillé.

    -Combien de compagnies sont en service en ce moment ?

    Elle haussa les épaules :

    -Je suis de la dixième, il y a eu deux compagnies après la mienne. Je ne connais que la neuvième et la huitième. Je crois que les autres sont entièrement mortes ou démantelées. Je ne sais pas d'où vient le commandant.

    -ça ne vous intéresse pas de savoir ?

    Il ne la regardait pas. Elle secoua la tête :

    -Il y a des choses que je préfère ne pas approfondir.

    -Amusant.

    -Oui, vous avez l'air amusé.

    Il lui fit son plus beau sourire et elle frissonna.

    -Vous étiez censée partir en mission, n'est-ce pas ?

    -Et ?

    -Qu'est devenu votre partenaire ?

    -J'ai échangé avec quelqu'un. Il est parti en mission à ma place.

    -Pourquoi ?

    -Parce que j'avais besoin de faire une pause.

    -Hum. Et votre partenaire ? Elle était d'accord ?

    -Il n'avait pas tellement le choix.

    Elle eut un sourire moqueur en voyant sa grimace.

    -Et il…

    -C'est mon capitaine et je le déteste.

    -Ah. Drôle d'équipe.

    -On est des professionnels, fit-il elle avec un sourire ironique.

    -C'est comme ça que vous réussissez à travailler avec moi ?

    Elle éclata de rire :

    -Vous pensez que je vous déteste ?

    -Clairement je vous ennuie.

    -C'est différent.

    Ils s'observèrent un instant puis se sourirent et retournèrent à la carte.

    -Il y en a d'autres ?

    -Plus anciennes ou moins précises. Mais j'ai trouvé des plans militaires des frontières. Et quelques plans de villes.

    -Ici aussi ?

    -Non étonnamment. J'imagine qu'ils sont enfermés quelques part.

    -Vous voudriez les voir ?

    Les yeux de Boue brillèrent d'intérêt et il eut un claquement de langue satisfait :

    -Alors venez, je vais vous montrer ma pièce préférée.


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