• Chapitre 10

    Le matin suivant Boue fut réveillée en sursaut par la cloche qui annonçait l'aube. Elle se redressa brutalement et s'empêtra dans ses couvertures avant d'aller s'écraser au sol. Luciole se redressa en grommelant.

    -Qu'est ce qui se passe ?

    -Je déteste cet endroit ! S'écria Boue en se relevant.

    Luciole la regarda d'un air blasé avant de se recoucher en soupirant. Boue aurait bien aimé faire de même mais la douleur de son ventre et sa vessie pleine la convainquirent de se lever. Elle s'extirpa de ses couvertures et sortit de la chambre en se frottant les yeux. Quelques servantes s'agitaient déjà dans les couloirs papotant gaiement en faisant la queue pour la salle de bain et les latrines. Boue fit de même, tentant de sourire et de se joindre aux conversations. Celles ci tournaient principalement autour du Prince Consort : on lui supposait une nouvelle amante. Les soupçons se portaient sur une jeune noble fraîchement arrivée des Iles de l'Océan avec son père.

    Les Iles n'appartenaient pas à l'Empire. C'était un archipel situé à plus d'une semaine de voyage des côtes Atlantes. Les Iliens venaient peu sur le continent, plusieurs décennies de guerres avec l'Empire les avaient rendus méfiants, mais la puissance de leur flotte était légendaire.

    Après de nombreux ports détruits et une flotte presque réduite à l'impuissance l'Impératrice avait finit par préférer entamer des négociations de paix.

    La jeune noble était arrivée avec la première délégation, un mois auparavant.

    Mais ce qui intéressait tout le monde ce matin là ce n'était pas la politique, malgré leur place au palais les femmes n'en avaient pas grand chose à faire. Non, ce qui les intéressait c'était la femme en elle même. D'une beauté à couper le souffle, elle avait fait tourner la tête d'un nombre incroyable d'hommes en quelques jours, Prince compris. Quand elle avait fini par accepter ses avances les rumeurs avaient été lancées : qui des deux maitrisait le plus la situation ?

    -Ils ne pourraient pas réellement être intéressés ? Demanda naïvement Boue.

    Elle se vexa quand des regards condescendant se posèrent sur elle.

    -Tu es nouvelles, fit une femme aux cheveux grisonnants qui se tenait derrière elle, mais un jour tu comprendras que le Prince n'est pas homme à tomber amoureux.

    -Qu'est ce qui vous fait dire ça ?

    Les femmes eurent un sourire :

    -Disons que lui et l'Impératrice se ressemblent plus qu'on ne l'admet généralement.

    Boue grimaça et les autres éclatèrent de rire.

     

    Quand se fut son tour elle s'approcha de l'un des grand baquet de bois et commença à le remplir. Deux autres femmes la rejoignirent et elles se glissèrent rapidement dans l'eau brûlante. La robinetterie et l'eau courant étaient encore une nouveauté pour elle mais elle était certaine de rapidement s'y habituer. C'était un luxe qu'elle trouvait particulièrement appréciable. Son ventre se contracta douloureusement sous la chaleur et elle grimaça.

    -ça va ? Demanda Edna, la femme aux cheveux gris.

    Boue hocha la tête, se détendant lentement

    -Comment tu t'es fait ça ?

    Ce fut à Boue de les dévisager d'un air condescendant et Edna soupira :

    -Bien sur. Je suis bête. Ça fait longtemps ?

    Elle haussa les épaules :

    -Un certain temps. Je commence à m'y faire.

    -ça doit être gênant.

    Boue se leva un peu brutalement, éclaboussant autour d'elle. Nue, musclée, les cheveux épinglés sur le haut de son crane. Elle ignora les regards critiques qui se tournèrent vers elle.

    -Je me débrouille.

    Elle enjamba le rebord et attrapa une serviette dans laquelle elle s'enroula. Elle salua rapidement et quitta la pièce. Elle eut le temps d'entendre Edna remarquer à voix basse :

    -Une femme ne devrait pas combattre comme ça, regardez ce qu'elle est devenue.

    Boue serra les dents et referma la porte derrière elle.

    Luciole était levée quand elle arriva :

    -Je vais à la salle de bain, tu m'attends pour descendre ?

    Boue acquiesça et Luciole sortit. Boue se dirigea vers son coffre et tira la petite fiole d'élixir de son sac. Elle se versa un verre d'eau et y ajouta une goute du liquide bleuté. Elle avala le tout en trois longues gorgées. Elle enfila son uniforme neuf et tressa ses cheveux avant de les enrouler en un chignon qu'elle épingla. Elle jura en sentant quelque chose glisser dans son décolleté et rattrapa vivement le dé avant qu'il ne tombe par terre : le lacet usé s'était brisé. Le dé blottit au creux de sa main, elle alla fouiller dans son sac et prit l'un des lacets de sa vieille chemise pour remplacer le précédent. Avant de remettre le dé à sa place elle l'examina attentivement. Le bois commençait à être tâché de tout ce qu'elle lui avait fait subir et elle savait que sa couleur marron n'était pas dû à l'âge. Elle le caressa légèrement du pouce, pensive, puis le rattacha autour de son cou le dissimulant sous sa chemise. Elle était peut-être superstitieuse, mais elle n'aimait pas le retirer.

    Luciole revint peu après et elles rejoignirent le groupe de caméristes qui allaient réveiller l'Impératrice.

     

    Il était bien trop tôt pour que les courtisans parcourent déjà les couloirs mais Alya, l'une des caméristes de l'Impératrice, leur affirma qu'elles croiseraient la nouvelle amie du Prince.

    -Elle est matinale, expliqua-t-elle, sa servante m'a dit qu'elle était parfois levée plusieurs heures avant l'aube.

    -Qu'est ce qu'elle fait pour avoir besoin de se lever si tôt ? Demanda Luciole d'un ton incrédule.

    -Ils disent qu'elle prie.

    Les autres murmurèrent d'un ton inquiet et Boue demanda d'une voix neutre:

    -Elle prie qui ?

    Alya haussa les épaules :

    -Qu'est ce que j'en sais ? Je ne me mêle pas de ces histoires, moi. C'est trop dangereux.

    Les autres hochèrent la tête et Boue sentit soudain le poids du dé autour de son cou.

    Prier demandait une diplomatie sans faille. Ou simplement une stupidité sans borne. Dans les deux cas, il était dangereux de laisser des rumeurs courir sur ce sujet. Et elle était bien placée pour le savoir.

    Elles entraient dans la Galerie Impériale quand elles croisèrent une jeune femme en robe bleue très simple. Plus petite que Boue, elle était néanmoins élancée, sa peau d'une teinte sombre, d'une couleur différente de ceux du sud. Ses cheveux noirs étaient détachés et tombaient en boucles gracieuses sur ses épaules. Une poitrine menue et bien faite, de longues jambes visibles dans la lumière, tout cela lui donnait une allure régale qui agaça Boue. Elle n'accorda pas un regard au groupe qui la dépassa et Alya attendit qu'elle ait disparu pour murmurer :

    -On dit qu'elle était prêtresse chez elle.

    Il n'y eut aucune réponse.

    Boue laissa son regard errer sur les fresques du plafond. C'était une représentation assez réaliste d'un ciel d'orage, peuplé de soldats, d'anciens Empereurs, d'animaux étranges et fantastiques. Boue grimaça en remarquant une scène d'accouplement entre un minotaure et ce qui semblait être une Impératrice. L'artiste avait visiblement eut droit à beaucoup de libertés.

     

    Les deux éclaireurs furent prier d'attendre à l'extérieur des appartements tandis que les camériste allaient s'occuper du réveil impérial. A entendre les bruits qui sortaient de la chambre, Camyl Troisième Du Nom ne devait pas apprécier l'heure de ce réveil. Boue laissa ses pensées vagabonder sur la jeune Ilienne. Elle semblait correspondre si parfaitement aux rumeurs que s'en était louche. Comme si tout avait été inventé dans un but précis. Lequel ? Boue n'arrivait pas à savoir. Mais elle n'était pas là depuis suffisamment longtemps pour réellement comprendre les rouages de ce jeu. Et elle espérait bien être partie avant d'avoir le temps de l'apprécier.

    Elles attendirent plus d'une heure devant la porte rouge. Les deux gardes finirent par perdre un peu de leur stoïcisme et leur demandèrent des nouvelles d'Ile :

    -Pol est-il toujours là-bas ?

    -Pol ? Demanda Luciole d'un air interrogatif.

    -Vous ne savez pas ? Demanda Boue surprise, Il est en poste à Atlantide en ce moment.

    L'homme la regarda d'un air méfiant :

    -Tu es sure de ce que tu avances ? Je l'aurais vu.

    -Il n'est pas là souvent d'après ce que j'ai compris. Vous le connaissiez bien ?

    L'autre haussa les épaules :

    -On était dans la même compagnie avant qu'on nous envoie ici. Mais ça commence à faire un moment.

    Boue n'ajouta rien mais Luciole fronça les sourcils :

    -Et vous n'êtes pas resté en contact ?

    Les deux hommes haussèrent les épaules :

    -Vous êtes trop jeunes pour comprendre.

    Luciole se renfrogna et Boue marmonna :

    -Il y a tellement de choses que j'espère ne pas avoir le temps de découvrir.

    La porte s'ouvrit et une servante apparut :

    -Elle est de mauvaise humeur, les avertit-elle avant de les faire entrer.

     

    Dedans l'Impératrice était debout sur un petit banc de bois, entourée de femmes portant tissus, épingles et aiguilles, fils, dentelles, flanelles, jupons, corsets, lacets, rubans, perles et pierres précieuses étincelantes à la lueur du feu qui ronflait dans l'énorme cheminée. Toutes s'affairaient autour de la majestueuse femme qui les surplombait du haut de son ridicule tabouret, uniquement vêtue d'un corset à peine serré et d'un jupon immaculé, bordé de dentelle.

    Les servantes les abandonnèrent à leur sort, retournant à leurs occupations sans le moindre mot.

    Le silence était total et Boue comprit pourquoi quand l'Impératrice se tourna vers elles: elle avait une gueule de bois. Boue retint difficilement l'irrésistible sourire qui lui montait aux lèvres. L'Impératrice avait le visage fatigué et les yeux cernés, son nez magnifique était rouge à force de se moucher et ses beaux yeux verts étaient minuscules de fatigue. Camyl, la femme la plus puissante du monde, siffla de colère en voyant la tête de Boue et celle ci se reprit bien vite. D'autant plus vite qu'un vigoureux coup de coude la rappela à l'ordre. Elle se tint droite et inexpressive aux côtés de Luciole qui, bien mieux qu'elle, tenait son rôle de soldat.

    L'Impératrice pinça les lèvres et fit signe aux deux jeunes femmes de se rapprocher:

    -Vos tenues sont peu appropriées à des femmes, fit-elle d'une voix sèche.

    Ni Boue ni Luciole ne répondirent, se contentant de rester immobiles, les yeux fixés sur le mur. Camyl plissa les yeux.

    -Soldat Finytl !

    Sa voix claqua et Boue se mit au garde à vous :

    -A votre service, Majesté.

    -Après réflexion j'ai décidé d'accordé l'une d'entre vous à mon époux. Il échappe bien trop souvent à sa garde pour la santé mentale de mes conseillers.

    Son ton était calme mais ses yeux luisaient de colère. Elle n'appréciait pas être obligée de faire quelque chose.

    -Vous devrez le suivre partout où il ira, et si cela signifie partager sa couche vous avez mon autorisation, et même l'ordre de le faire.

    Boue avala de travers.

    -Sa garde sera toujours présente aussi vous n'y êtes pour le moment pas obligée, mais dans le cas où il se retrouverait sans je vous interdit de quitter son côté, est-ce clair ?

    -Très clair, votre majesté.

    Boue contrôla la vague de panique qui menaçait de la submerger. Pourquoi elle ? Luciole aurait été plus que prête à s'occuper du Prince, elle en était sure. Elle...elle préférait ne pas penser au Prince. Et elle allait maintenant devoir le fréquenter toute la journée.

    -Je vous verrais régulièrement pour avoir votre rapport, ajouta l'Impératrice, je vous relève de la mission que je vous ai confié tant que cela ne touche pas directement mon époux.

    Elle dévisagea Boue un instant l'éclaireur préféra baisser les yeux. Elle devait s'avouer que cette femme lui faisait un peu peur.

    -Une servante vous attend pour vous mener à ses appartements.

    Boue eut un instant de silence avant de comprendre qu'on venait de la mettre à la porte. Elle salua et pivota avant de sortir d'un pas vif. Une toute jeune fille l'attendait à la sortie et, sans un mot, l'entraîna dans les couloirs.

     

    La tour Impériale, la plus haute du palais, était reliée au reste des bâtiments par un nombre presque infini de passerelles, de couloirs et d'escaliers. Conçu comme une véritable toile d'araignée le palais était labyrinthique. La tour du Prince était séparée de celle de l'Impératrice par la Bibliothèque. Bâtiment presque aussi large que haut il était l'un des plus vieux du château, au temps où celui ci n'abritait encore que la famille Impériale.

    La jeune servante emprunta sans hésitation un escalier étroit avant de pousser une porte menant sur une passerelle ouverte, s'élevant en un arc aussi gracieux que fragile. Boue s'immobilisa à son pied, soudain incertaine.

    -Tu es sure que c'est praticable ? Demanda-t-elle en frissonnant.

    Il ne pleuvait pas, mais le ciel blanc et le vent qui sifflait entre les tours ne rendait pas l'atmosphère particulièrement rassurante.

    -C'est le passage le plus rapide. Autrement il faut redescendre de deux étages pour retrouver l'autre passerelle, ou passer par la tour de justice pour rejoindre la tour de la bibliothèque avant de passer dans celle du Prince.

    -ça n'a pas l'air solide.

    La gamine haussa les épaules. Elle était maigrichonne sous sa robe rouge. Boue grimaça avant de grogner :

    -Très bien, très bien. Allons y.

    La fille s'engagea sur la passerelle et Boue la suivit, s'efforçant de ne pas s'agripper à la délicate rambarde de pierre et de garder les yeux fixés sur la porte qui s'approchait de l'autre côté. Quand le battant se referma après son passage Boue eut un discret soupir de soulagement et fut heureuse de se sentir à nouveau sur un sol qui ne tanguait pas.

    Elles empruntèrent un couloir étroit, aveugle et sombre avant de déboucher sur l'autre côté de la tour, face à une passerelle qui ressemblait désagréablement à la première. Boue eut un grognement mais ne s'arrêta pas, s'efforçant d'ignorer le vide qui s'étalait sous ses pieds et le fait que la ville semblait se trouver à des kilomètres en dessous d'elle.

    La porte de la tour Princière était peinte en bleu. Légèrement étonnée de ce changement de couleur Boue resta stupéfaite en découvrant la décoration intérieure. Les murs étaient fait d'une pierre blanche dans laquelle les décorations avaient été directement taillées : gravure, volutes, chapiteaux, bas reliefs, tout était arrangé et pas un angle ne semblait rester sans ornement. Les motifs étaient floraux, feuillus, ou présentaient d'étranges animaux issus d'un bestiaire mystérieux. Elle avança sans s'en rendre compte, fasciné par le décors. Seuls ses réflexes l'empêchèrent de s'écraser contre la servante qui s'était arrêté devant une porte noire, ornée d'argent et d'or.

    -Voilà.

    Boue hocha la tête et la gamine fit demi-tour, disparaissant rapidement dans le couloir étrange. Boue remarqua distraitement que les volutes brillants dessinés sur la porte évoquaient un ésotérisme de mauvais aloi dans un lieu où la prière était censée être bannie. Boue n'aimait décidément pas cette journée. Elle toucha nerveusement son dé avant de soupirer et de frapper à la porte.

    Une voix grave lui répondit. Elle poussa la porte.

     

    Le Prince la regarda entrer avec un haussement de sourcils surpris. Debout face à la cheminée, un livre à la main, il était uniquement vêtu d'un pantalon de toile blanche et ses cheveux blonds tombaient librement sur ses épaules. Il était magnifique et Boue fit un effort immense pour ne pas le fixer d'une manière tout à fait impolie.

    Elle ferma la porte derrière elle et se mit au garde à vous.
    -Soldat Boue Finylt votre majesté.

    -Et ?

    Boue se demanda soudain s'il était au courant.

    -Euh... L'Impératrice m'envoie.

    Il fronça les sourcils :

    -Pour quoi faire ?

    Elle réprima un grognement agacé et expliqua d'une voix neutre :

    -Elle me met à votre service, votre majesté. Je suis chargée d'assurer votre protection.

    Il la regarda un instant en silence, un petit sourire aux lèvres puis soupira :

    -Très bien.

    Il agita la main en se détournant et Boue prit ça pour une signe qu'elle pouvait se détendre. Il se dirigea vers un guéridon sur lequel il posa son livre. Un tapis épais recouvrait la presque totalité du sol, étouffant ses pas. Boue laissa son regard vagabonder un instant et fut amusée de l'atmosphère qui se dégageait de la pièce: des petites tables étaient disposées ça et là, recouvertes de livres, de papiers et de parchemins roulés. Un canapé et deux fauteuils étaient installés près de la cheminée, tous les trois encombrés d'objets hétéroclites, du sextant aux bottes en passant par d'autres énormes livres. Le tapis et les rideaux étaient un curieux mélange des couleurs impériales et des mystérieux volutes qu'elle avait déjà vus sur la porte. Boue releva les yeux et croisa le regard u Prince qui semblait l'étudier, les sourcils froncés. Elle pinça les lèvres, attendant en silence la fin de cet examens.

    -Vous êtes le soldat de la bibliothèque, n'est ce pas ?

    Sa voix était chaude, agréable. Il était impossible de ne pas l'apprécier. Néanmoins Boue s'agaça qu'il fasse semblant de ne pas se souvenir d'elle.

    -Oui, votre majesté.

    -Savez vous pourquoi l'Impératrice vous a envoyé vous, et pas votre camarade ?

    Boue le regarda d'un air mauvais :

    -Non.

    -Vous mentez, mais je ne vous en veux pas. Laissons tomber le sujet pour l'instant.

    Il sembla l'examiner à nouveau :

    -Vous êtes moins charmante que votre camarade, mais vous n'êtes pas si mal malgré votre aspect dangereux.

    Boue ne savait pas si elle devait s'énerver. Pas si mal était toujours mieux que défigurée après tout. Et il avait tellement l'air de ne pas l'insulter que c'était difficile de juger.
    -Et ? Demanda-t-elle un peu effrontément et à court d'idée.

    -Et quoi ?

    -Quel est le rapport entre mon apparence et le fait que je doive vous servir de garde du corps ?

    -Aucun a priori, si ce n'est que l'Impératrice mon épouse a probablement pensé que je serais moins attiré par vous et que par conséquent je vous laisserais faire votre travail.

    Boue fronça les sourcils :

    -J'hésite entre me sentir insultée et vous casser le nez et prendre votre désintérêt pour une chance et laisser passer vos insultes. Vous choisissez quoi ?

    Son ton était neutre mais elle espérait qu'il ne choisirait pas la première option. Il eut un sourire amusé :

    -Au vu de votre regard je ne sais pas ce qui vous plairait le plus. Disons que pour aujourd'hui je vais vous faire des excuses. En revanche j'ai horreur d'avoir des soldats inutiles à ma porte, vous l'aurez remarqué. Ça m'empêche de réfléchir.

    Boue ne savait pas quoi dire, mais comme manifestement il attendait une réponse elle finit demander :

    -Que voulez-vous que je fasse ?

    -Eh bien restez là pour l'instant.

    Il se détourna et alla se saisir d'un rouleau de parchemin, posé sur un fauteuil. Sans plus prêter attention à l'éclaireur debout dans son salon, il se mit à lire. Mal à l'aise Boue resta un instant immobile avant de se diriger discrètement vers la fenêtre. Elle jeta un coup d'oeil dehors et sourit. La tour donnait sur la mer.

    -Vous êtes bien plus jolie quand vous souriez, vous devriez le faire plus souvent.

    Elle se retourna lentement, son visage de nouveau sans expression.

    -Majesté ?

    Il soupira et demanda, levant le parchemin :

    -Vous vous y connaissez en diplomatie ?

    Elle fronça les sourcils :

    -J'ai lu quelques rapports sur des missions diplomatiques. Pourquoi ?
    -Que diriez vous de devenir mon conseiller ?

    -Je vous demande pardon ?

    -Vous êtes soldat, éclaireur même. Vous devriez avoir vu un peu de pays. Je me trompe ?

    -Non, mais...

    -J'ai besoin d'un interlocuteur qui ne répète pas ce que je lui raconte. Vous semblez être la mieux placée. Et je n'aime pas les vieux bougons qui me tiennent lieu de conseiller. Vous êtes bien plus agréable à regarder malgré votre cicatrice.

    Elle n'arrivait pas à lui en vouloir, et pourtant il venait de l'insulter pour la deuxième fois de la matinée. L'étudiant un instant elle ne put s'empêcher de le comparer à Carri. Il lui ressemblait, c'était certain, comme deux personnes expatriées peuvent se ressembler, mais il ne possédait pas le côté froid et désagréable toujours sous-jacent chez Carri. A la place un regard calculateur l'animait. Elle n'était pas certaine de préférer.

    L'expression inquiète de Carri quand il l'avait trouvée éventrée au pied des portes d'Avalon s'imprima devant ses yeux.

    Elle pinça un instant les lèvres, chassant l'impression de manque qu'elle ressentait soudain. Le Prince eut un demi-sourire.

    -Ce que vous voyez vous convient ? Demanda-t-il en s'appuyant au dossier du canapé.

    Elle se mordit la lèvre en se rendant compte qu'elle le fixait du regard. Elle répondit d'une voix légèrement plus sèche qu'elle ne voulait:

    -ça ira.

    Il éclata de rire et elle frissonna d'un plaisir inattendu.

    -Bon ! Que diriez-vous d'une tasse de thé ?

     

    Elle quitta le Prince en fin de journée, épuisée et affamée. Le thé qu'elle avait pris dans la matinée n'avait pas remplis son estomac et le Prince n'avait pas fait une seule pause de la journée. Elle avait même dû demander pour aller se soulager. Le moment le plus gênant de sa vie.

    Mais le Prince s'était révélé un interlocuteur passionnant et passionné. Ils avaient parlé pendant des heures des troubles à l'Est, de la conspiration des Dissidents, des paysans des abords de la ville, des routes. Ils avaient même abordé l'attentat contre l'Impératrice de la semaine passée. Le Prince avait semblé étonnamment sombre sur le sujet. Un homme avec tant d'amantes. Boue ne l'avait pas imaginé si attaché à l'Impératrice. Il avait dû comprendre car il avait sourit en disant qu'il lui expliquerait peut être un jour.

    Elle trébucha et jura en tentant de retenir la pile de livre qu'elle tenait. Cet idiot avait été horrifié de sa méconnaissance des institutions de l'Empire. Il avait été déçu d'apprendre que les cours théoriques des éclaireurs se réduisaient à des tactiques militaires et à de l'astronomie. Elle était donc censée travailler sur sa culture générale pendant la nuit. Quand elle avait argumenté qu'elle n'était pas censée le laisser seul il l'avait dévisagé, mi-figue mi raisin :

    -Moi ça ne me dérangerais pas mais je ne suis pas sur que vous compreniez bien ce que je fais avec les gens qui restent avec moi la nuit.

    Elle avait mis un moment avant de comprendre. Elle avait préféré partir et laisser un garde prendre le relais. Le Prince n'avait pas trop protesté, juste un peu pour la forme.

    Elle retrouva sa chambre sans trop de difficultés mais sa mauvaise humeur reprit le dessus quand elle fit tomber ses livres en essayant d'ouvrir la porte. Elle jura copieusement et fut récompensée par le rire joyeux de Luciole.

    -Je vois que le Prince ne t'a pas trop changé. Tu veux de l'aide ?

    -ça va.

    Elle avait ouvert la porte et s'écarta pour laisser passer son amie avant de ramasser les volumes et d'entrer à son tour. Elle en choisit un et déposa le reste sur le coffre. Elle retira ses bottes d'un coup de pied et s'allongea en soupirant.

    -Dure journée ? Demanda Luciole.

    -ça va. Et toi ?

    Luciole eut un sourire désabusé :

    -Disons qu'au moins j'aurais le droit de porter une robe.

    Elle fit une petite révérence, montrant sa robe d'un geste plein d'auto-dérision. Elle était tissée dans une belle laine rouge, semblable à celles des suivantes de la reine, mais avec quelques amélioration pour qu'elle puisse attraper ses armes, cachées sous ses jupons.

    -C'est pour me mêler à ses dames de compagnies, expliqua-t-elle, elle a décidé que puisque tu n'étais plus là, je pouvais passer plus inaperçue ainsi.

    -Oui je n'ai pas une tête de dame de compagnie, fit Boue.

    Son ton était distrait et Luciole fut surprise de ne pas la voir exprimer plus d'émotions à ce sujet.

    -Tu sembles détendue, fit-elle d'un ton méfiant.

    Boue lui lança un regard surpris :

    -De quoi tu parles ?

    -Quand je pense que tu t'occupes de l'homme le plus intéressant de ce palais et que tu n'en a même pas conscience.

    Boue grogna et Luciole soupira :

    -Oublie. Tu lis quoi ?

    Boue lui montra la couverture :

    -Histoire du Monde. Je suis censée me cultiver.

    -Et ?

    -Disons que j'essaye.

    -C'est le Prince qui t'a demandé ça ? Tu n'es pas supposée être son garde du corps ?

    Boue soupira :

    -C'est un peu compliqué de n'être qu'un garde avec cet homme. Je préfère lire des livres que partager son lit.

    Luciole leva les yeux au ciel :

    -Qu'est ce que je disais. Moi je ne suis pas sure que j'aurais choisi cette option.

    -Il était d'ailleurs déçu que tu ne sois pas à ma place.

    Luciole rougit sous le regard critique de son amie et fut sauvée par Alya qui passa la tête par la porte :
    -Boue, Luciole, on descend manger pour le premier service, vous venez ?

    Luciole bondit littéralement vers la porte et Boue la suivit plus calmement en secouant la tête.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 10 Février 2014 à 16:23

    Eh eh, sympa comme tout cette virée sur les toits. Je suis à court d'arguments, je viens de commenter le chapitre précédent que j'ai adoré, et comme j'aime beaucoup celui-là aussi j'ai peur de radoter. J'aime bien ces petites impressions disséminées ça et là. Le fait que le Prince lui fasse peur, et qu'elle trouve agaçant de le trouver beau. Le petit clin d'œil à Carri qui lui manque est bien trouvé aussi.

    Je trouve finalement le texte plus vivant avec ces petits extraits en plus. On ne fait plus que croiser des personnages utiles, on apprend à les connaître. C'est intéressant je trouve.

    Moi j'dis continue sur cette voie ! Ça me plaît !

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    2
    Lundi 10 Février 2014 à 16:33

    En fait ce passage au palais a toujours eut pour but d'être très, très long. Mais je n'arrivais pas à l'écrire la première ou la deuxième fois sans m'ennuyer à mourir. Là j'essaye de mettre tout ce qui est censé y être et d'ajouter à l'ambiance générale en même temps. Je suis contente que ça te plaise, ça veut dire que je ne suis pas dans la mauvaise direction! Merci!

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