• Chapitre 2 :

    Quand Mor s'éloigna, la jeune fille se sentit soudain complètement abandonnée : Elle ne reverrait jamais son père, la vieille Imra, Mor, son village, ses amis d'école. Tout son avenir était parti en fumée en quelques minutes. Elle fit de son mieux pour ne pas pleurer. Il l'avait laissé dans un relais, à quelques jours de route de son village, où il l'avait confié à l'un des éclaireurs présents sur place. Un ancien ami à lui avait-il expliqué. Il serait probablement son chef pour les trente prochaines années. La jeune fille n'avait pas compris et Mor lui avait doucement expliqué:

    -Je te confie aux éclaireurs. Ton père et moi en avons fait partie et il n'y a pas de meilleurs soldats au monde. Ils sont loyaux envers leurs compagnons, tu seras en sécurité avec eux. L'Impératrice devrait rapidement t'oublier et tu apprendras à vivre toute seule et à te défendre. Le lieutenant Ilère est le meilleurs ami que j'ai eu après ton père, il a toute ma confiance. A partir d'ici tu lui obéiras, c'est bien compris?

    Elle avait hoché la tête et maintenant qu'il partait elle faisait tout son possible pour ne pas paraître faible et pleurnicharde. L'homme qui était désormais son supérieur posa une main sur son épaule et lui dit doucement:

    -Ne t'inquiète pas, tu le reverras un jour. Et puis je ne vais pas te manger. Tu vas voir tu vas te plaire chez nous.

    Il la poussa gentiment vers l'intérieur du relais et l'emmena vers une petite pièce dans laquelle se trouvait des centaines de vêtements identiques:

    -Ce sont nos uniformes. À partir d'aujourd'hui tu les porteras plus souvent que tout le reste. Maintenant il s'agit d'en trouver à ta taille, tu n'es pas bien grande.

    Il commença à fouiller dans une étagère et en sortit un pantalon noir qu'il lui tendit avant d'aller chercher dans un autre coin de la pièce. Il revint bientôt avec une chemise, noire également, une paire de bottes légèrement usées et un surcot qui n'en était pas à sa première utilisation. Un tabard frappé d'un loup gris et une cape venait compléter l'équipement. Tout était noir.

    -Va t'habiller, fit le lieutenant en montrant l'escalier, dortoir trois. Tu as de la chance tu es seule pour l'instant. Va te changer puis descend manger. Le repas est servi dans une demi heure : tu n'auras pas à manger si tu es en retard.

    Boue monta l'escalier d'un pas traînant et avança dans le couloir jusqu'au dortoir numéro trois. Elle rentra dedans et s'installa sur le premier lit qu'elle vit. Elle se déshabilla mécaniquement et enfila ses nouveaux vêtement avant de secouer et de plier sa robe qui dégagea un nuage de poussière et une odeur de cheval. Elle hésita ne sachant pas quoi en faire. Elle finit par la laisser sur le lit et s'assit à côté. Elle regarda autours d'elle. Sa nouvelle vie : les murs étaient nu et une dizaine de galetas étaient installée dans la pièce. Sa chambre lui manquait. Et son père... elle secoua la tête. Mor lui avait dit que son père était tranquille désormais et qu'il ne fallait pas qu'elle s'inquiète pour lui. Et puisque qu'elle avait quelqu'un qui prenait soin d'elle, il ne fallait pas non plus qu'elle s'inquiète pour elle. Elle essuya ses larmes d'un revers de manche et se leva. Elle faisait partie de l'armée maintenant. Elle était grande et les grands ne pleurent pas. Elle sortit de la chambre et descendit dans la salle à manger. Quelques soldats étaient déjà là et le lieutenant lui fit signe de s'installer à côté d'eux. Ils étaient vêtus comme elle mais eux ressemblaient à des soldats. Quand elle s'assit ils se tournèrent vers elle et lui souhaitèrent gentiment la bienvenue. Elle répondit par un vague merci, le nez dans son assiette, terriblement mal à l'aise qu'on s'intéresse à elle.

    -Tu viens d'où? Demanda l'un des hommes pour engager la conversation.

    -Lebjna, répondit elle d'une petite voix en se redressant un peu.

    -Et c'est où ça? Interrogea un autre, j'ai jamais entendu un nom pareil. Ça a des consonances étrangères non?

    -Ça fait partie du Nord, expliqua Boue timidement, c'est dans la province de Lior. Juste en dessous des montagnes.

    Les éclaireurs hochèrent la tête.

    -Mais alors tu viens carrément du Nord! S'exclama l'un d'eux. C'est vrai que parfois il y a de la neige plus haut qu'un cheval?

    -C'est rare mais ça arrive.

    Tout le monde se mit à discuter en même temps pour savoir s'ils avaient déjà rencontré des gens venant d'un endroit situé aussi au nord de la capitale. Ce fut un brouhaha général jusqu'à ce que le cuisinier ramène une énorme chaudron rempli d'un ragoût fumant. Quand tout le monde fut servi le silence se fit et l'on entendit plus que des bruits de mastications et des soupirs de contentements. Boue mangea comme les autres, en silence, un peu plus à l'aise qu'au début de la soirée. Ils avaient l'air gentil. Le repas terminé le lieutenant annonça d'une voix forte que le départ était programmé à l'aube. La troupe ronchonna et chacun se leva pour aller nettoyer sa gamelle. Le lieutenant confia un sac à dos à Boue.

    -Pour tes anciens vêtements tu va les laisser ici, fit il en lui donnant également une couverture, sois prête demain à l'heure. Je chargerai quelqu'un de te réveiller pour cette fois mais il va falloir t'habituer à te réveiller toute seule.

    Sur ces mots il la laissa et elle monta se coucher. Elle eut beaucoup de mal à s'endormir.

     

    Le réveil fut difficile. Ce fut un éclaireur qui la secoua pour la réveiller et en voyant sa tête il éclata d'un rire sonore qui la fit grimacer.

    -C'est l'heure, fit il en s'en allant, dépêche toi de te lever si tu veux avoir le temps d'avaler quelque chose.

    Si il y avait une chose que Boue aimait plus que dormir c'était bien manger. Bien que la nourriture ici soit moins bonne que chez elle l'allusion au petit déjeuné la fit se lever d'un bon et en moins d'une minute elle rattrapait l'homme dans le couloir, entièrement habillée et les cheveux noués sur sa nuque en une longue tresse. L'homme éberlué la regarda passer au pas de course et descendre les escaliers quatre à quatre sa gamelle à la main. Quand il arriva en bas, elle était en train de faire la queue pour avoir sa ration du matin. Malgré son empressement elle avait du mal à garder les yeux ouverts et l'éclaireur eut un sourire lorsqu'elle trébucha sur le pied d'une table qu'elle n'avait pas vu.

    Lorsque le repas se termina ils prirent leurs affaires et sortirent. Dans la court des chevaux frais les attendaient. Boue s'arrêta, embarrassée. Celui qui l'avait réveillée la poussa vers l'une des montures. Le cheval la regarda d'un air placide:

    -Il s'appelle Troll, dit l'homme, prends en soin, personne ne le fera à ta place.

    -Mais euh...je...

    L'homme haussa les sourcils d'un air interrogateur.

    -Je ne sais pas monter à cheval.

    L'homme haussa les épaules:

    -Eh bien tu apprendras sur le tas comme tout le monde. Grimpe sinon tu vas nous mettre en retard.

    Boue obéit tandis qu'il vérifiait qu'elle ne tombait pas de l'autre côté. Quand elle fut assise sur le dos du cheval il lui expliqua rapidement les bases:

    -Tu tiens les rênes de façon à l'avoir bien en main, mais pas trop serré pour ne pas le blesser. Tu mets tes pieds dans les étriers. Tu diriges le cheval avec les rênes et les cuisses.

    Il monta sur son propre cheval et ajouta :

    -Tu vas voir il n'est pas difficile.Vous allez bien vous entendre.

    Boue avala nerveusement et hocha la tête. Quand le chef donna le signal du départ elle imita son voisin en donnant un coup de talon à sa monture. Celle ci broncha mais se mit à avancer en suivant la troupe.

    -Ne tapes pas si fort, conseilla un autre homme en se rapprochant, sinon tu vas lui faire mal et il va s'énerver. Un petit coup suffit, il est bien dressé. Et donne lui un peu de mou.

    Il lui montra ses rênes qu'elle tenait serrée comme si sa vie en dépendait. Elle les relâcha un peu et le cheval sembla apprécier ce geste. Il se mit à marcher avec un peu plus de souplesse, évitant ainsi à Boue de se sentir au bord de la nausée à cause de tous les soubresauts.

    Ils chevauchèrent toute la journée, ne faisant qu'une courte pause pour manger un morceau avant de repartir. Les éclaireurs, plutôt aimables malgré leur côté un peu revêche, donnaient quelques conseils à Boue sur la meilleure manière de chevaucher, et au bout d'un moment elle fut suffisemment détendue pour pouvoir observer le paysage, qui devint rapidement monotone quand ses cuisses et ses fesses se rappelèrent à son bon souvenir. Quand ils s'arrêtèrent le soir, la nuit était tombée depuis plus d'une heure et ils étaient loin d'une ville ou même d'un simple village.

    -Mais...on s'arrête ici? S'inquiéta Boue en voyant tous les hommes démonter et commencer à desseller leurs chevaux.

    -C'est le meilleur endroit pour camper à vingt lieux à la ronde, répondit Jun l'un des éclaireurs qu'elle avait appris à connaître, tu n'as jamais dormi dehors?

    -Non, répondit-elle en secouant la tête avec appréhension.

    Elle démonta maladroitement, tentant de ramener la circulations dans ses jambes endolories.

    L'homme hocha la tête et lui montra la troupe qui commençait à établir des tours de garde et à monter le camp.

    -Quand nous ne sommes pas dans des relais ou dans des lieux habités on s'installe comme ça. Le chef détermine les tours de garde et les autres s'occupent des feux. Le cuisinier fait sa tambouille on mange et on dort. Ça c'est quand on est chez nous en temps de paix. En temps de guerre ou chez l'ennemi on monte une palissade et les feux sont réduits au minimum voire interdits. Tu piges?

    -Ça ne sert à rien de lui apprendre ça maintenant, fit remarquer Franc, celui qui l'avait réveillé le matin, elle va l'apprendre quand elle sera sur Ile de toute façon.

    -Comme ça elle gagnera une heure de sommeil en ayant une chose en moins à retenir.

    -Tu parles! Se moqua l'autre, Tout le monde dort de toute façon, t'es bien trop fatigué pour réfléchir à la fin de la journée.

    L'autre haussa les épaules et fit signe à Boue qu'elle pouvait poser sa couverture près de l'un des feu quand elle aurait soigné son cheval. Elle s'occupa de sa monture sous les directives précise d'un vieux sergent et pensa qu'elle allait avoir bien des difficultés à le seller le lendemain.

    Elle eut effectivement beaucoup de mal. Elle avait très mal dormi, gênée par les bosses qu'elle sentait dans son dos et par les cris d'animaux qu'elle ne connaissait pas et qui l'effrayaient.

    Quand elle se réveilla il faisait nuit noire et malgré cela tout le camp était déjà démonté et les éclaireurs prenaient un rapide petit déjeuner avant de continuer leur chemin. Elle suivit Franc qui lui servit un bol de ragoût et qui lui conseilla de manger rapidement avant d'aller sceller son cheval. Elle obéit mais quand elle se retrouva face au Troll elle se trouva désemparée. Elle observa les autres et finir par saisir le principe. Avec appréhension elle posa le tapis noir sur le dos du cheval et tenta de soulever la selle. Elle dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à la poser sur l'animal. Elle se débattait avec les sangles quand le Lieutenant s'approcha. Avec patience il lui montra la façon dont s'accrochaient les sangles et l'aida à accrocher son paquetage sur les anneaux de la selle. Puis il s'éloigna et monta sur son propre cheval avec grâce. Boue posa son pied dans l'étrier... et s'étala de tout son long quand sa monture fit un pas de côté. Les éclaireurs éclatèrent de rire en l'entendant jurer comme un charretier:

    -Tu ne m'aide pas beaucoup, marmonna-t-elle à son cheval.

    Lorsqu'enfin elle réussit à grimper dessus, la troupe put partir. Ils chevauchèrent une bonne partie de la journée, ne s'arrêtant que très peu de temps pour manger avant de repartir. Le soleil se couchait quand la mer apparu. Les reflets orangés de l'astre couchant lui donnait des aspects de mer de sang et l'Ile qui se dressait au milieu de la crique semblait être le vainqueur de la terrible bataille. De loin l'ile semblait minuscule, mais plus on s'approchait plus sa masse était imposante. Elle n'était pas très élevée, mais les falaises qui l'entouraient la rendaient impressionnante. De plus l'atmosphère orageuse rendait les chevaux nerveux, ajoutant à l'angoisse de Boue. Les éclaireurs, inconscients de cette tension qui l'habitait, riaient entre eux heureux de rentrer à la maison. Elle aussi un jour serait contente de revenir ici. Mais à ce moment où chacun se réjouissait de la beauté du paysage, elle aurait préféré être avec son père au coin de la cheminée en mangeant des gâteaux tout chaud, loin de ce spectacle macabre. Mais c'était un présent qui n'existait pas et qui n'existerait plus. Elle poussa maladroitement Troll et suivit la troupe qui dévalait la colline vers le bac qui faisait la liaison avec Ile. Là elle faillit renoncer à tous ce à quoi elle s'était attaché depuis son départ. Toutes ses bonnes résolutions partirent en fumée: le bac, un amas de planche vaguement réunies par de vieilles cordes, tremblait sous le poids des chevaux qui commençaient à monter dessus. Troll, sensible à sa nervosité dansait d'un pied sur l'autre et ses mains figées par la peur ne pouvait le forcer à suivre les autres. Elle ne bougeait plus, et son cheval s'était également figé, personne ne remarqua son absence lors du premier bac, ni lors du deuxième, et elle se retrouva bientôt seule au bord de l'eau alors que le bac restait sur l'autre rive. Elle prit soudain conscience de sa solitude et, ne sachant que faire, elle descendit de cheval:

    -Eh bien...Troll. Je suppose que nous allons devoir attendre demain matin pour aller là-bas. Bon! Où allons nous nous installer... Il nous faut un coin sec, mais pas trop loin du bac( Troll la poussa du museau) Oui je sais avec de l'herbe pour monsieur.

    Elle s'éloigna suivit de son cheval qui semblait finalement l'apprécier et se trouva un arbre un peu plus loin contre lequel elle s'installa le plus confortablement possible... avant de se relever pour desceller sa capricieuse monture qui venait de lui donner un coup de sabot pour la rappeler à l'ordre. Elle se rassit, se blottissant dans sa couverture et s'endormit presque aussitôt, fatiguée par sa longue chevauchée.

     

    Elle fut réveillée par un pied qui lui chatouillait désagréablement les côtes. Elle grogna et ouvrit les yeux. Il faisait encore nuit et elle ne distinguait pas bien son persécuteur:

    -Alors qu'est ce qu'elle attend pour se lever la fillette?

    C'était un garçon à n'en pas douter, probablement pas beaucoup plus âgé qu'elle à entendre les accents éraillés qu'il avait dans la voix. Elle se leva en maugréant et épousseta sa tunique. Le garçon était plus grand qu'elle, dégingandé, avec de long cheveux d'un blond presque blanc pendaient le long de ses joues maigres. Elle se sentit rapetisser sous son regard méprisant.

    -Qui êtes vous? Demanda-t-elle en voyant son tabard orné du loup.

    -Carri et toi tu ne seras bientôt plus rien si tu ne te bouges pas! Aller! Le bac ne va pas nous attendre des heures!

    -M...mais quelle heure est-il?

    -Trop tard pour ta petite tête de fille! Allez! détache ton cheval!

    Pour la première fois depuis qu'elle était debout elle se sentit légèrement mieux en se rappelant que son cheval avait été assez gentil pour rester à côté d'elle. Elle l'appela doucement et le garçon sursauta en voyant Troll approcher à pas lourd, apparemment mécontent lui aussi d'avoir été réveillé en pleine nuit.

    -Aller viens mon gros, on y va.

    Elle le scella rapidement, contente d'avoir réussit à ne plus se ridiculiser durant cet exercice pendant ses quelques jours de voyages. Sans un mot le garçon se détourna et se dirigea rapidement vers le bac, certain d'être suivit. Arrivé au bord de l'eau il monta dans le bac tandis que le passeur aidait gentiment Boue à faire grimper Troll qui rechignait à poser son sabot sur un sol aussi instable, il était tout de même un cheval que diable! Quand le bateau plat quitta la rive, elle se sentit soudain aussi mal que sa monture. Le bras de mer n'était pas particulièrement agité, mais le clapotis des vagues contre le plat bord lui retournait le cœur. Les falaises se rapprochaient dangereusement et elle ne voyait aucun signe de la part du barreur montrant qu'il allait changer de direction. Elle ouvrit la bouche mais l'attitude confiante de Carri lui paru de bonne augure et elle tenta de calmer son estomac qui menaçait de partir en courant. Quand ils arrivèrent au pied de la falaise elle vit soudain une ouverture qui s'élevait à environs deux mètres au dessus de la mer, invisible depuis la côte. L'embarcation passa sans encombre sous la voute et pénétra dans un long tunnel sombre, qui débouchait sur une caverne illuminé par deux torches. Le lieutenant Ilère attendait là et il eut un sourire amusé en voyant la tête terrifiée de Boue:

    -Alors? On s'est perdue en route? Demanda-t-il d'un air joyeux.

    Carri eut un sourire moqueur, et elle se rendit compte qu'elle détestait déjà ce garçon hautain, froid et pédant.

    -Il va falloir te faire à cette embarcation, ajouta le lieutenant, c'est le seul moyen de traverser plus ou moins au sec.

    Il aida Boue à sortir son cheval de l'embarcation, laquelle gita dangereusement lui faisant pousser un petit cri de surprise. Carri ricana et elle lui jeta un regard mauvais, lui promettant mille et une souffrances futures. Ils quittèrent la grotte par un petit sentier marqué par les milliers de pieds qui l'avaient fréquentés, et débouchèrent à l'air libre devant la porte d'un camp militaire. La nuit l'empêchait de voir mais d'après la taille de la porte, elle supposait que le camp était immense. Au lieu de s'en approcher le lieutenant leur fit signe de le suivre et ils contournèrent de la camp sur une centaine de mètres pour entrer par une porte beaucoup plus modeste en apparence mais non moins impressionnante par son épaisseur. Boue se rendit alors compte de sa fatigue et s'être réveillée en pleine nuit n'avait rien arrangé. Elle ne vit rien du camp sinon qu'il était composé de nombreuses tentes et de quelques bâtiments en dur, aveugles et aux toits plats. Le lieutenant la mena d'abord vers les écuries où elle laissa Troll, puis vers une longue bâtisse au toit de toile qui, une fois à l'intérieur, se révéla être un dortoir. Quelques lits étaient déjà occupés mais la plupart étaient vides, une couverture pliée à leurs pieds. Carri se dirigea vers son propre matelas et le lieutenant indiqua à Boue l'une des paillasses où elle s'installa, prenant juste la peine de retirer ses bottes, son pantalon et son tabar avant de sombrer dans un sommeil sans rêve.

     

    Elle se réveilla en sursaut quand une sonnerie de trompette éclata dans le camp. Elle se rappela vaguement les paroles de son chef avant qu'elle ne s'endorme:

    -La sonnerie te réveillera. A ce moment tu as trois minutes pour te lever et venir te ranger devant la tente.

    Elle se leva d'un bon, enfila son pantalon et son tabar, avant de se ruer dehors à la suite des autres et de se ranger tout au bout de la deuxième ligne formée par les occupants de la tente. Elle observa les autres pour voir leur réaction. Comme elle ils n'avaient pas l'air sur de ce qui les attendaient. Même l'arrogant Carri semblait anxieux. Ils attendirent ainsi pendant une bonne demi-heure avant qu'un homme s'approche d'eux à grand pas. Le lieutenant Ilère s'arrêta face à eux avec une mine sévère:

    -A partir de maintenant je suis votre commandant, commença-t-il sans préambule, jusqu'à ce que je vous dise de partir vous serez sous mes ordres et n'aurez en aucun cas le droit de me contredire ou de ne pas faire ce que je vous ordonne. Est-ce clair?

    Tout le monde hocha la tête et le lieutenant eut un claquement de langue satisfait. Sans un mot de plus il leur fit signe de le suivre et leur fit visiter les lieux: Le camp était construit sur l'immense plaine qui s'étalait en haut des falaises. Il était fait d'un assemblage plus ou moins complexe de baraques en bois ou en pierre et de tentes contenant tout ce dont un camp militaire pouvait avoir besoin, de la forge, aux dortoirs, en passant par les cuisines et les espaces d'entraînement. Le parcours dura environ une heure et quand ils revinrent à leur point de départ le soleil était déjà haut dans le ciel. Là il les répartit en deux groupes:

    -Vous, fit il en désignant la première ligne, vous allez vous rendre à la forge et dire au maître que je vous envoie. Jusqu'à ce que je vous dise le contraire vous êtes sous ses ordres. Allez y! Et sans vous perdre! Vous! Continua-t-il en se tournant vers la second ligne, vous irez aux écuries et demanderez le maître des lieux. Dites lui également que je vous envoie. Vous serez sous ses ordres jusqu'à preuve du contraire. Allez!

    Les deux lignes s'en allèrent et Boue, qui faisait partie de la deuxième, suivit les autres en direction du bâtiment qu'on leur avait indiqué comme étant les écuries. Un homme immense, tout maigre avec de longs cheveux noirs striés de gris les accueillit avec une mine sévère:

    -Vous voilà enfin! Allez pas de temps à perdre! Déblayez moi tout ça, je veux que tout soit propre à midi!

    Il tendit une longue main, à laquelle il manquait un doigt, vers l'intérieur de la bâtisse et leur indiqua leurs tâches pour la journée. Nettoyer les écuries était vraiment un travail ingrat et Boue se retrouva bientôt avec du crottin jusqu'aux genoux, une fourche dans les mains tandis qu'elle retirait la vieille paille, la portait dehors et la mettait en tas pour pouvoir ensuite la bruler. Elle fit la connaissance de ses compagnons. Les six garçons étaient plutôt chaleureux et n'avait pas la même attitude dédaigneuse que présentait Carri. Elle s'entendit tout de suite bien avec eux et à la fin de la journée l'humeur était joyeuse malgré leur extrême fatigue. Il y avait Kymé, Dui et Hugure, trois frères d'environ un an de différence et qui venaient de la campagne autour d'Atlantide. Les autres s'appelaient Jo, Fabr et Liu. Liu et Boue devinrent rapidement amis et furent inséparables avant la fin de la journée. Quand tous retournèrent à leur tente le soir, ils riaient d'une blague des trois frères et se retrouvèrent nez à nez avec les nouveaux forgerons. Ceux ci étaient noirs des pieds à la tête mais semblaient joyeux. Les deux groupes se dévisagèrent un instant puis éclatèrent de rire tant leurs aspects respectifs étaient comiques: des garçons et des filles couverts de crasses se tenaient les côtes, s'appuyant les uns aux autres pour ne pas tomber. Seul Carri ne riait pas. Un léger sourire étirait ses lèvres, mais c'était plutôt un sourire sardonique. Il était appuyé contre un mur et ne se mêlait pas à la gaieté générale. Un éclaireur débarqua sur la place et se stoppa net devant l'attroupement crasseux:

    -Vous ne croyez tout de même pas pouvoir aller manger dans cet état non? Cria-t-il pour couvrir le brouhaha qui diminua puis disparut. Allez, allez! La rivière est là-bas! Les filles en amont dans le petit bois et les garçons en aval prêt des pierres! Dépêchez-vous! Si vous arrivez en retard vous n'aurez rien à manger!

    Il s'éloigna et tous se précipitèrent vers la rivière.

    Le repas fut servit une heure après et, au plus grand bonheur des garçons, les portions n'étaient pas limitées. Quand ils allèrent se coucher, l'estomac bien plein, l'atmosphère était détendue et les yeux se fermaient. Boue soutenait Liu qui avait trop mangé et qui titubait, malade. Elle le déposa sur son lit et se dirigea vers le sien. Elle se coucha et s'endormit aussitôt.

    La trompette les tira du sommeil et chacun se dirigea en maugréant vers son travail. Boue et Liu furent les premier à arriver. L'une parce qu'elle ne voulait pas se retrouver à faire les corvées et l'autre parce qu'il avait de grandes jambes. Dire qu'il était très grand serait un euphémisme: c'était un géant. Plus de deux mètres, les épaules larges et les bras puissants. Son enfance dans la ferme de ses parents avait développé sa musculature mais les privations de nourriture l'avaient laissé tout maigre. Ses cheveux noirs lui tombaient dans le dos, retenus par une lanière de cuir. Ses yeux étaient d'un bleu saisissant et se fixaient sur les choses comme si, d'un simple regard, il pouvait les brûler. Quand ils arrivèrent aux écuries le maître discutait avec un homme inconnu des deux amis.

    -Tiens? Qu'est ce que vous faites là tous les deux? Fit le maître étonné en les voyant approcher.

    -Ben... la première trompe a sonné il y a cinq minutes, fit Liu, et donc nous voilà.

    -Mais votre journée ne commence qu'à la deuxième trompe on ne vous l'a pas dit?

    -Ah... bah... non.

    L'autre homme eut un sourire devant l'air déconfit des deux jeunes gens. Mais Boue se reprit vite, et décidant que, puisqu'elle était levée, il fallait qu'elle s'occupe et elle proposa son aide pour une tâche quelconque.

    -Aider? Fit le maître, Hum... oui je pense que c'est possible. Mais où sont les autres?

    -Ben ils auraient dut être là, ils se sont levé en même temps que nous, fit Liu, mais ils ont peut être croisé quelqu'un qui les aura prévenu.

    -Eh bien tant pis! Mais puisque vous avez perdu une heure de sommeil on ne va pas vous faire faire des tâches trop ingrates! Monter à cheval ça vous dit?

    Les yeux de Boue s'illuminèrent. Avant de venir chez les éclaireurs elle n'aurait jamais cru aimer les chevaux. Mais elle devait s'avouer que le caractériel Troll lui manquait.

    -Vous êtes déjà montés à cheval? Demanda l'homme.

    -Sur une monture de trait, fit Liu avec une moue, mais je suppose que ça ne compte pas.

    -Bah c'est un bon début, mais tu n'as pas dû faire autre chose que du pas non?

    -En effet, admit-il.

    -Et toi? Demanda le maître à Boue.

    -Un peu en venant ici, on m'a confié aux éclaireurs dans le relais de Turnin à une centaine de kilomètres.

    -Ah! Avec qui es-tu venue?

    -Le lieutenant Ilère.

    -Commandant Ilère, corrigea-t-il.

    -Commandant Ilère.

    -Donc tu sais à peu près monter! Ses hommes sont plutôt bon professeurs, bien qu'ayant un peu tendance à un humour vaseux.

    Elle eut une grimace sans relever la pique, mais elle pensa que dire qu'elle savait monter était un peu exagéré.

    -Bon! Je peux m'en occuper? Demanda l'homme en se tournant vers le maître, J'ai quelques heures devant moi.

    -Si ça peut te faire plaisir, répliqua le maître avec un demi-sourire, mais fait gaffe au chef! Il ne voudrait pas que tu ais perturbé son programme spécial!

    L'homme éclata de rire et fit signe à Liu et Boue de le suivre. Il les emmena vers une esplanade dégagée où des chemins de terre étaient tracés, formant cercle et lignes droites parfois interrompues par des troncs formant des obstacles de course:

    -C'est ici qu'on entraîne les débutants à maîtriser leurs montures, commença-t-il, plus tard on vous emmène en milieu naturel pour une meilleure adaptation. Parfois quand on peut on fait également des manœuvres dans le désert mais en ce moment c'est un peu compliqué. Au fait je suis Pol, de la neuvième compagnie.

    -Boue.

    -Liu.

    -Très bien on va vous trouver des chevaux puis on commencera. A la deuxième trompe vous retournerez avec maître Lurt.

    Il leur trouva des montures plutôt calmes et bienveillantes, et commença à les entraîner. Liu se révéla finalement un assez bon cavalier et réussit à faire un tour de piste au grand galop sans tomber. Boue d'un niveau beaucoup moins élevé se débrouillait comme elle pouvait et finit par retrouver l'aisance chèrement acquise pendant la dernière semaine. Quand la deuxième trompe sonna ils étaient couverts de bleus mais ravis et Pol leur proposa de continuer les cours un jour sur deux.

    -Il faut que vous dormiez beaucoup à votre âge, dit-il lorsqu'il demandèrent pourquoi pas plus souvent, et puis vous verrez que demain vous apprécierez de ne pas monter. Au fait! Étirez-vous avant de vous coucher ce soir.

    Il les laissa, et quand Liu et Boue arrivèrent aux écuries tout le monde était déjà là. Pour leur retard ils durent pelleter du crottin toute la matinée, ce qui ne les empêcha pas d'être de bonne humeur, presque toute la journée.

     

    Boue travailla aux écuries pendant pendant plus de quatre mois. Leur activité principale était de nettoyer les stalles et les chevaux qui leurs étaient confiés. Mais Maître Lurt leur apprit tout ce qu'ils pouvaient entendre sur les soins des chevaux, leurs humeurs et la façon de reconnaître leurs blessures. Au bout de deux semaines ils commencèrent à monter et Boue et Liu ne furent pas peu fiers de leur habileté. Même le maître les félicita sur leurs rapides progrès, et Pol les complimenta sur leur façon de monter qui se paraît d'élégance et de grâce de jour en jour, au fur et à mesure que leurs capacités augmentaient. Bien qu'ils aient officiellement commencer à monter, Pol avait accepté de continuer ses leçons matinales, et maître Lurt s'en trouvait ravi, car dix nouveaux arrivants avaient rejoint le groupe et il commençait à en avoir marre de courir après tous ces gosses pour leur apprendre à sangler correctement une selle. Deux cavaliers qui commençaient à devenir très doués lui étaient d'une grande aide.

    Bien qu'ils ne se voient presque pas de la journée, les deux groupes s'entendaient à merveille, et lorsqu'on leur apprit qu'ils allaient devoir échanger leur place les uns et les autres se souhaitèrent bien du courage. Surtout entre fille. Mire et Luciole donnèrent toutes leurs condoléances à Boue et lui souhaitèrent toute la force possible: « La forge n'est pas un travail de fille, mais au moins tu n'auras pas à supporter les critiques de Carri » Car le garçon s'était encore renfrogné et ne parlait jamais à personne d'autre que ses chefs, et uniquement dans un besoin pressant. Il n'était l'ami de personne, et personne ne cherchait à se lier avec lui tant il était désagréable. En quelques mois il avait grandi de plus d'une demi-tête, et étant déjà grand à l'origine, il était devenu le plus grand du groupe, sans compter Liu qui dépassait tout le monde d'au moins une tête.

    Tous ceux qui sortaient de la forge avaient développé leur musculature de façon impressionnante: les garçons s'étaient élargis d'épaules plus que la croissance normale, et les filles également, bien que dans une moindre mesure.

    L'échange ne se fit pas sans mal, chacun ayant du mal à s'habituer à son nouveau travail. Liu et Boue abandonnèrent leurs leçons matinales, trop fatigués pour gâcher une heure de sommeil, et Pol disparu du camp. Quand ils demandèrent où est ce qu'il était passé, on leur répondit avec un haussement d'épaule et une grimace: « Là où le chef l'a envoyé pardi! Au fin fond de l'enfer! »

    Les mois passèrent et la vie prit un train tranquille au fur et à mesure que chacun s'adaptait à ce nouveau rythme différent de tout ce qu'ils avaient vécu. Boue grandit un peu et, comme pour les autres filles, sa silhouette se modela pour la transformer en une jeune femme musclée et séduisante. Ses longs cheveux bruns étaient généralement noué sur sa nuque en une tresse serrée, parfois enroulée en un chignon. Mire et Luciole avec qui elle partageait une complicité typiquement féminine étaient devenues deux jeunes femmes blondes aux yeux bleus. Mais là s'arrêtait la ressemblance: Mire était grande et élancée, ses cheveux long formaient une crinière autour de sa tête et son rire était comme mille clochettes. Au contraire, Luciole était plus petite, moins expansive que sa compagne, mais beaucoup plus forte. Dans un souci pratique elle s'était coupée les cheveux quelques semaines après leur arrivé, et ils formaient désormais une tignasse emmêlée qu'elle ne coiffait presque jamais. Un foulard bleu empêchait les mèches de lui retomber dans les yeux et sa voix était caverneuse. Boue et Luciole étaient devenues de grandes amies et faisaient souvent équipe lors des entraînements: Ils devenaient des soldats. Liu, avec qui Boue et Luciole passaient tout leur temps, avait encore grandi et ressemblait désormais à l'image que Boue se faisait d'un barbare du sud: immense, très fort, il portait les cheveux mi-long et une barbe brune lui couvrait le menton. Il était la terreur des autres apprentis qui faisaient tout pour ne pas se retrouver en face de lui à l'entraînement car il tapait comme une brute. Le seul qui lui résistait était Carri. Lui aussi avait changé, pas forcément en bien. D'antipathique il était passé à glacial puis à asocial. Son front était toujours plissé par le mépris, le dégout ou la colère, et personne n'osait croiser son regard. Également très grand, bien que dans une moindre mesure par rapport à Liu, il était blond et son regard bleu de glace séduisait toutes les filles qui ne le connaissaient pas. Il était le meilleur combattant du groupe et le seul qui ne craignait pas les coups de Liu. Si personne ne l'appréciait et qu'il n'appréciait personne, ce n'était rien en comparaison avec la haine que lui et Boue se vouaient. Sans raison réelle sinon le manque d'amabilité de l'un et de l'autre, ils se détestaient profondément depuis le début et dès qu'ils combattaient tout le monde s'écartait prudemment. Car si Carri était le meilleur Boue n'était pas loin derrière et tous le reconnaissaient, même Liu qui désespérait de ne pouvoir la battre autrement que par la force brute.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 2 Juillet 2012 à 19:00

    Aaaah que ça m'avait manqué !

    Juste pour chipoter parce que je suis chiante et fière de l'être (mouah ah ah), on fait avancer un cheval par une pression des mollets et non un coup de talon. Un coup de talon le fera bondir en avant sous le coup de la surprise (à moins d'avoir à faire à une carne). En revanche un coup de talon + tenir les rênes serrées va lui donner un ordre contraire : aller de l'avant et ne pas bouger/s'arrêter. Résultat, soit le cheval recule, soit - et c'est le plus fréquent - il se cabre pour échapper à la contrainte.

    2
    Kiru Loup Profil de Kiru Loup
    Mercredi 4 Juillet 2012 à 14:06

    Ah je savais pas ça. J'y connais rien en cheval, sinon quelques trucs de base, genre vaguement anatomie, et quelques noms (destrier, palefroi...^^'). Donc tes conseils sur les chevaux je les prends volontiers!

    3
    Mercredi 4 Juillet 2012 à 22:38

    Ah ben n'hésite pas, ce sera toujours un plaisir. Les chevaux, si je peux me permettre... c'est mon dada !

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