• Boue ou les Eclaireurs

    Une histoire de guerriers invincibles, de missions sous couvertures et surtout l'histoire de la vie plutôt brutale d'une jeune femme au caractère bien trempé dans un monde où son seul moyen de survivre est de manier une épée.

    Sommaire:

    Prologue                                    Chapitre 10

    Chapitre 1                                  Chapitre 11

    Chapitre 2                                  Chapitre 12

    Chapitre 3                                             Chapitre 13

    Chapitre 4                                  Chapitre 14

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Chapitre 9

  • La vieille femme était assise sur un banc de pierre, appuyé sur la façade d'une maison ensoleillée. Les murs étaient blanc de chaux et les volets étaient peint couleur de la mer par temps d'orage. Le toit de tuiles rouges ressortait sur le fond vert de la plaine et la sombre forêt au loin rendait ce petit coin de soleil idyllique. La vieille femme, les yeux fermés, laissait la chaleur de cette fin de journée imprégner ses os glacés par l'âge. Le soleil apparaissait de plus en plus rarement et annonçait l'hiver. La vieille femme doutait de voir un nouvel été et profitait au maximum de ces derniers instants chaleureux. Depuis qu'elle avait perdu son époux la vie lui paraissait de plus en plus froide. Tous ses amis l'avaient quitté, au fur et à mesure que l'âge les prenait et elle était restée seule, dernière de la bande de troubles-fêtes qu'ils formaient. Elle avait vécu une grande partie de sa vie au bord de la mer et maintenant qu'elle ne pouvait plus aller la voir elle aurait bien aimé y retourner sentir les embruns sur sa peau de vieille femme. Quand elle ne connaissait pas encore la mer sa vie était merveilleusement simple. Mais son père était mort et sa vie s'était compliquée. Elle avait vu la mer avec autant d'émerveillement qu'un enfant devant ses premières neiges. Elle avait vu la mer et en avait souffert. Elle n'avait pourtant pas pu se résoudre à s'en éloigner pendant longtemps, jusqu'à ce que l'âge et les malheurs l'obligent à quitter cet océan de souvenirs.

    La vieille femme soupira, se morigénant sur ce sentimentalisme de fin de vie. Elle n'était par encore morte que diable! Elle se leva et s'étira, sentant malgré son âge avancé l'ancienne force de son corps vouté. Elle attrapa un bâton noueux posé contre le mur et s'appuya dessus en descendant doucement le chemin qui menait au petit village de l'autre côté de la rivière. Elle s'était installée ici avec son époux, très longtemps auparavant, justement à cause de la relative solitude de la maison qui leur laissait toute la tranquillité dont ils avaient besoin après leurs vies tumultueuses.

    La nuit tombait quand elle arriva et les fenêtres semblaient être des ouvertures sur un autre monde auquel elle n'avait pas accès. Un peu tristement elle se dirigea vers l'unique petite boutique du village et entra, faisant résonner la clochette.
    -Bonjour, bonjour! Fit la grosse voix du commerçant du  venant de l'arrière-boutique, Ah mais regardez qui voilà! Mme Finylt! Ça fait longtemps qu'on vous a vu par ici! Comment allez-vous aujourd'hui? Pas trop froid là-haut?
    -Bonjour M. Deroux, fit elle aimablement d'une voix un peu rauque. Je vais bien, merci, le froid n'est pas encore trop présent. Et vous même ? Votre femme se remet bien ?
    -Très bien merci. Le doc nous a dit qu'elle ne devrait plus avoir de soucis dans une petite semaine.
        La conversation se poursuivit et quand elle eut fini ses achats elle s'en alla, faisant un signe de la main aux enfants qui jouaient dans la rue. Elle remonta le chemin, retraversant le petit pont qui menait chez elle. La nuit était noire quand elle poussa sa porte. Elle déposa le contenu de son sac sur la petite table de bois qui trônait au milieu de l'unique pièce et entreprit de ranger ses achats dans ses nombreux placards, tout en sifflotant un vieil air de marche militaire. L'intérieur de la bâtisse de pierre ressemblait à l'arrière boutique d'un vieux magasin général. Une cabane aux trésors pour les enfants, un indescriptible fouillis de vieilleries pour les adultes. Les uns comme les autres avaient raison. La maison regorgeait d'objets récoltés dans des centaines d'endroits différents: des sacs débordaient de bijoux et d'objets précieux, des robes aux couleurs bigarrées gisaient dans des coffres ouvragés ou simplement cerclés de fer, des armes de toutes sortes et de toutes factures étaient accrochées aux murs, suspendues à des patères ou respectueusement posées dans des nids de velours. Une grande armoire était appuyée contre le mur à droite de la porte. Ses deux portes étaient gravées et ornementées de si belle façon que lorsqu'on s'en approchait il semblait que les personnages ainsi dessinés allaient jaillir du bois pour danser autour de vous et vous entrainer dans une folle farandole au clair de lune. Des personnages légendaires se côtoyaient sur toute la surface du bois. Des elfes majestueux se penchaient sur des nains petits mais si habiles de leur doigts qu'en sortaient des couronnes faites pour les dieux et des armes qui ne se brisaient jamais. Des hommes dansaient au clair de lune en compagnie de lutins, de faunes et d'autres créatures fêtardes qui entrainaient les voyageurs imprudents dans d'immenses rondes dont ils ne ressortaient jamais. L'armoire était remplie de toutes sortes de provisions non périssables engrangée en prévenance de l'hiver. La vieille femme se dirigea vers la cheminé, repoussant les étoffes et les coupes ornementées qui lui barraient le passage, et s'assit dans l'unique fauteuil qui n'était pas encombré.  L'assise était en velours rouge, légèrement usé sur les accoudoirs, et les pieds étaient sculptés en forme de vigne. Si quelqu'un s'était attardé à détailler cet étrange meuble il aurait sans doute remarqué que cet objet était digne d'un château, mais plus personne n'entrait depuis longtemps dans la maison et les seuls qui l'avaient fait n'osaient pas détailler le monceau hétéroclite d'objet.
        La vieille femme soupira, frissonna et finit par se lever avec difficulté pour mettre une buche dans le foyer. Les flammes reprirent de la vigueur et éclairèrent d'une lueur jaune la pièce plongée dans une semi obscurité. La vieille femme se rassit, contemplant les lueurs moirées du feu. Elle attrapa une couverture posée sur un coffre à côté d'elle et s'en drapa les épaules. Le feu alluma des reflets dorés dans l'étoffe et un semblant de richesse sembla s'installer sur ce tissu avant de disparaître pour laisser place à une simple couverture à carreaux rouges et noirs. Elle se blottit dans cette agréable chaleur, ferma les yeux et s'endormit.

        On frappa à la porte. Le feu s'était éteint et la maison semblait morte. On recommença. Un grognement sortit du fauteuil et la vieille femme émergea en ronchonnant. La personne dehors devait commencer à s'impatienter et des coups secs ébranlèrent à nouveau le battant. Elle rattacha correctement ses longs cheveux blancs que la courte sieste avait défaits de son chignon serré et se dirigea vers la porte tout en allumant quelques bougies qui éclairèrent une partie de la grande pièce. Elle attrapa son bâton et entrouvrit la porte. Elle eut un choc. Grand, blond, les yeux bleus, les cheveux attachés en une queue de cheval qui lui retombait sur la nuque : en face d'elle se tenait un homme qu'elle n'avait jamais pensé revoir. Un homme qu'elle avait connu la plus grande partie de sa vie. Ou plutôt l'homme tel qu'il était cinquante ans plus tôt, lorsqu'il était encore jeune et surtout vivant. La vieille le fixait bouche bée et le jeune homme, surpris, ne savait pas quoi dire. Finalement il prit la parole d'une voix grave qui rappela de douloureux souvenirs à la vieille femme:
    -Vous êtes Madame Finylt? Demanda-t-il.
    La vieille ne savait pas quoi dire. Que pouvait-il bien lui vouloir ?
    -C'est pour quoi? Finit-elle par demander d'une voix qui peinait à dissimuler le trouble dans lequel elle était.
    -J'aimerais parler à Mme Finylt c'est important.
    -Qu'est ce que tu veux? Demanda-elle d'une voix sèche. Elle était à bout de nerf, fatiguée, et émotionnellement à bout à cause d'une stupide visite à une heure tardive.
    Le jeune homme tint pour dit qu'elle était bien Mme Finytl.
    -Je suis ici pour parler de mon père. Vu votre réaction je suppose que vous savez qui il est.
    -On peut dire ça. Qu'est ce que je peux faire pour toi ?
    -Parlez moi de sa vie avant qu'il ne rencontre ma mère.

    La vieille femme avala de travers.

    -Pardon?

    -Il n'a jamais rien voulu me dire. Quand il est mort, j'ai pressé ma mère de m'en apprendre d'avantage. Mais la seule chose qu'elle m'a donnée est votre adresse. Et elle ne me l'a pas donné de gaité de cœur.
    -Je crois bien qu'elle ne m'aimait pas beaucoup, confirma la vieille femme avec un gloussement. Je ne peux pas tellement lui en vouloir.

    -Dites moi qui il était, je veux savoir qui était réellement mon père. Personne ne sait rien au village, j'étais déjà né quand ils s'y sont installés.

    -Je suis vieille tu sais, et tout ça est si loin... j'ai oublié beaucoup de choses.
    Ce n'était qu'un énorme mensonge : elle n'oublirait jamais tout ça. Tous ces événements étaient inscrits au fer rouge dans sa mémoire. Et dans sa chair ridée et abîmée. Il le sentit et insista :
    -Vous devez bien vous souvenir de quelque chose ! N'importe quoi ! Des anecdotes !
    Elle eut un sourire triste :
    -Crois moi, tu ne veux pas entendre d'anecdotes.
    -Racontez moi !
    -Je ne l'ai que peu connu tu sais... je ne sais rien sur une très grande partie de sa vie...

    Autre mensonge.


    -Alors racontez moi votre vie ! Je sais que vous avez travaillé ensemble.

    -Je croyais qu'il ne t'avait rien raconté? fit la vieille, suspicieuse.

    Le jeune homme s'assombrit.

    -A la fin... parfois... il délirait. C'était souvent incohérent. Mais votre nom revenait souvent. ça faisait pleurer ma mère. Je veux savoir pourquoi.

    -ah... pourquoi. C'est bien plus compliqué que tu ne l'imagines.

    -Je veux savoir.

    -Quoi?

    -Tout, comment vous vous êtes rencontrés, qui il était, qu'est ce qu'il était pour vous.

    Elle le regarda d'un air fatigué.

    -Si tu insistes. Rentre.


    Elle fit demi-tour, laissant la porte ouverte et il la suivit à l'intérieur, fermant derrière lui.

    -Au fait je m'appelle Liam, fit il en la suivant jusqu'à la cheminé.


    -Je sais, répondit elle. 

    Il la regarda d'un drôle d'air et elle soupira en se laissant tomber dans le fauteuil. Il tira un autre fauteuil de sous un tas d'objet et s'assit, soulevent un nuage de poussière qui le fit tousser.

    -Je t'ai vu, tu avais à peine quelques années. La dernière fois que j'ai vu tes parents d'ailleurs.

    -Ma mère m'a dit qu'elle vous avait écrit à sa mort.

    -C'était aimable de sa part.

    Ils restèrent silencieux un instant, la vieille songeuse, le jeune bouillant d'impatience:

    -Alors? fit-il enfin, Comment l'avez vous rencontré? Et qui étiez vous à l'époque?

    -C'est difficile à dire... je n'étais pas grand chose à l'époque.

    Elle s'enfonça un peu plus dans son fauteuil, se préparant à commencer son récit, son esprit revivant déjà tout depuis ce tout début il y avait si longtemps désormais.


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  • La salle était pleine monde, chauffée, enfumée et donc bruyante. L'unique taverne du village était bondée et les serveuses arrivaient à peine à se frayer un passage entre les tables où les voyageurs de passages aussi bien que les habitués du coin se disputaient à propos de n'importe quoi, allant du prix de certains articles, aux dernières nouvelles de la guerre. Celle ci durait depuis de nombreuses années entre l'empire d'Atlantide et les cités états du Sud. Une rumeur sur le mariage de l'Impératrice Camyl troisième du Nom qui aurait mal tourné courait mais personne ne savait réellement la cause de cette guerre. Mais si loin de la frontière personne ne s'en inquiétait vraiment : on avait déjà beaucoup à faire avec l'Empire lui même.

    La pièce basse de plafond résonnait des cris et des injure que proféraient les joueurs de cartes installés un peu partout. La cheminé remplissait totalement le mur du fond et était entourée par quelques voyageurs qui se réchauffaient après avoir traversés les blizzards du Nord. Le patron, un homme construit comme un taureau avec des épaules aussi larges qu'une barrique et des bras musclés comme ceux d'un lutteur, se tenait derrière le comptoir et discutait avec les habitués tout en surveillant la salle du coin de l'œil. Dans la cuisine derrière lui régnait une joyeuse ambiance. Des hommes et des femmes allaient et venaient entre des monceaux de plats, de tonneaux de bière et de gamelles sales. La plus jeune des recrues était la propre fille du patron. D'une douzaine d'années elle donnait un coup de main en cuisine quand elle n'était pas à l'école. Petite brunette au caractère bien trempé elle était jolie sans être exceptionnelle mais possédait de beaux yeux noisettes qui intriguaient nombre de garçons. Comme toutes les petites filles de son age ses longs cheveux étaient tressés et pour aujourd'hui couvert d'un foulard blanc sale. Elle était vêtue d'une robe bleue sur laquelle était noué un tablier à l'origine blanc mais qui après maints usages avait tourné au gris et était taché de toutes les couleurs que l'on peut trouver dans une cuisine.

    La cuisine du Lapin Hurleur était connue pour sa variété et son opulence dans tout le nord et même jusqu'à la capitale. Les rares voyageurs venant dans la région ne manquaient jamais de s'y arrêter, ce qui amenait dans la grande salle des gens d'origines si différentes qu'il était rare qu'il n'y eut pas une ou deux dispute, voire bagarre, à propos de telle ou telle politique menée par l'Impératrice. Mais pour le moment l'atmosphère était plutôt détendue, presque oisive. Et même en cuisine, pourtant dirigée d'une main de fer par Imra la cuisinière, le temps était plutôt aux plaisanteries : l'un des marmitons était devenue la cible des moqueries depuis qu'il s'était fait rejeté par la fille de l'un des marchands de passage.

    -Alors elle a dit quoi? Que tu pouvais toujours rêver? Demanda l'un d'eux.

    -Plutôt que quand tu serais riche tu pourrais réessayer! Ajouta un autre.

    -Avec ces filles là c'est toujours pareil! Soit t'es riche et tu leur plais, soit tu l'es pas et t'existes pas!

    -Arrêter un peu de le chambrer les gars! Fit une des filles en fronçant les sourcils, Vous voyez bien que c'est pas le moment!

    Le jeune homme était effectivement tout rouge et paraissait sur le point de pleurer. Il releva fièrement la tête et d'un pas qu'il voulait digne tenta de sortir de la cuisine, mais il trébucha et s'écroula dans un baquet de vaisselle sous les éclats de rire de l'assemblée.

    Le patron entra soudain dans la pièce et cherchant sa fille du regard, il salua l'assemblée, remit le marmiton sur ses pieds et lui conseilla de prendre un peu de temps pour arrêter de pleurer et se dirigea finalement vers sa fille. Arrivant près d'elle il lui murmura quelques mots qui la firent se lever, une expression de surprise sur le visage, et suivre son père.

    Il l'emmena dans leur petit salon privé situé à l'arrière de la maison et dans lequel deux hommes étaient déjà assis. La jeune fille les salua d'un signe de tête mais resta tout près de son père. Elle n'aimait pas leurs expressions.

    -L'Empire à nouveau besoin de vous, fit l'un des hommes sans le moindre préambule, ainsi que de votre fille. On vous demande de rejoindre le palais au plus vite, de confier votre fille aux bons soins de l'Impératrice et de retrouver votre garnison.

    -J'ai quitté l'armée il y a longtemps. Il n'est pas question que j'y retourne sans un mot d'explication.

    -On vous donnera toutes les explications voulue au palais. Partez ! Vous n'avez pas de temps à perdre.

    -C'est hors de question, répondit Kirk le tavernier, je n'emmènerai pas ma fille au palais. Elle est très bien ici.

    -Vous n'avez pas le choix, fit l'homme en se levant calmement, vous savez très bien qu'elle sera en danger si elle reste ici.

    -Tant que je suis ici elle ne craint rien.

    -Vous devez rejoindre votre garnison.

    -Non.

    Kirk commença à reculer vers la porte et avant que l'homme n'ai pu l'en empêcher il poussa sa fille dehors.

    -Va chez Mor, il saura quoi faire, Lança-t-il d'un ton pressant avant de refermer la porte.

    -Pa...

    Un cri de son père coupa ses protestations. La porte trembla quand quelque chose s'écrasa dessus et la jeune fille s'enfuit en courant . Elle sortit par l'arrière de la taverne, les jambes tremblantes, le cœur battant et couru jusque chez Mor le forgeron du village et grand ami de son père. Elle tambourina à la porte sentant la panique prendre le dessus. Le battant s'ouvrit soudain, laissant place à un homme aussi grand qu'une montagne et tout aussi puissant.

    -Qu'est ce qui se passe? Gronda-t-il, Tu n'as pas honte de réveiller les gens à une heure pareille?

    La nuit était tombée depuis longtemps.

    La jeune fille fondit en larmes et le forgeron s'adoucit voyant sa panique. Il la fit entrer dans sa petite maison et lui servit une tasse de thé:

    -Alors qu'est ce qui se passe?

    -P...papa, est à la maison avec des hommes. I...ils ont menacé papa parce qu'il ne voulait pas aller à la guerre et P...papa m'a dit de venir ici... et il est tombé contre la porte et... et...

    Elle sanglota de plus bel et Mor parut effaré par ce qu'il venait d'apprendre.

    -On va devoir partir.

    -Qu... quoi ? Ou ça ? Et mon père ?

    Mor la regarda d'un air triste et sombre :

    -Ma chérie, fit il en s'agenouilla face à elle, ton papa n'est plus de ce monde désormais. Mais toi oui. Il faut que tu fasses ce que je dis d'accord ?

    -Plus... plus...

    -Non ma grande.

    Elle hocha la tête.

    -Que... Qu'est ce que je dois faire ?

    -Je vais t'emmener à la garnison la plus proche.

    -Je... je vais aller dans l'armée ?

    -Pas vraiment l'armée ma puce. Je vais t'emmener voir de vieux amis. Je vais t'emmener voir les éclaireurs.


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  • Quand Mor s'éloigna, la jeune fille se sentit soudain complètement abandonnée : Elle ne reverrait jamais son père, la vieille Imra, Mor, son village, ses amis d'école. Tout son avenir était parti en fumée en quelques minutes. Elle fit de son mieux pour ne pas pleurer. Il l'avait laissé dans un relais, à quelques jours de route de son village, où il l'avait confié à l'un des éclaireurs présents sur place. Un ancien ami à lui avait-il expliqué. Il serait probablement son chef pour les trente prochaines années. La jeune fille n'avait pas compris et Mor lui avait doucement expliqué:

    -Je te confie aux éclaireurs. Ton père et moi en avons fait partie et il n'y a pas de meilleurs soldats au monde. Ils sont loyaux envers leurs compagnons, tu seras en sécurité avec eux. L'Impératrice devrait rapidement t'oublier et tu apprendras à vivre toute seule et à te défendre. Le lieutenant Ilère est le meilleurs ami que j'ai eu après ton père, il a toute ma confiance. A partir d'ici tu lui obéiras, c'est bien compris?

    Elle avait hoché la tête et maintenant qu'il partait elle faisait tout son possible pour ne pas paraître faible et pleurnicharde. L'homme qui était désormais son supérieur posa une main sur son épaule et lui dit doucement:

    -Ne t'inquiète pas, tu le reverras un jour. Et puis je ne vais pas te manger. Tu vas voir tu vas te plaire chez nous.

    Il la poussa gentiment vers l'intérieur du relais et l'emmena vers une petite pièce dans laquelle se trouvait des centaines de vêtements identiques:

    -Ce sont nos uniformes. À partir d'aujourd'hui tu les porteras plus souvent que tout le reste. Maintenant il s'agit d'en trouver à ta taille, tu n'es pas bien grande.

    Il commença à fouiller dans une étagère et en sortit un pantalon noir qu'il lui tendit avant d'aller chercher dans un autre coin de la pièce. Il revint bientôt avec une chemise, noire également, une paire de bottes légèrement usées et un surcot qui n'en était pas à sa première utilisation. Un tabard frappé d'un loup gris et une cape venait compléter l'équipement. Tout était noir.

    -Va t'habiller, fit le lieutenant en montrant l'escalier, dortoir trois. Tu as de la chance tu es seule pour l'instant. Va te changer puis descend manger. Le repas est servi dans une demi heure : tu n'auras pas à manger si tu es en retard.

    Boue monta l'escalier d'un pas traînant et avança dans le couloir jusqu'au dortoir numéro trois. Elle rentra dedans et s'installa sur le premier lit qu'elle vit. Elle se déshabilla mécaniquement et enfila ses nouveaux vêtement avant de secouer et de plier sa robe qui dégagea un nuage de poussière et une odeur de cheval. Elle hésita ne sachant pas quoi en faire. Elle finit par la laisser sur le lit et s'assit à côté. Elle regarda autours d'elle. Sa nouvelle vie : les murs étaient nu et une dizaine de galetas étaient installée dans la pièce. Sa chambre lui manquait. Et son père... elle secoua la tête. Mor lui avait dit que son père était tranquille désormais et qu'il ne fallait pas qu'elle s'inquiète pour lui. Et puisque qu'elle avait quelqu'un qui prenait soin d'elle, il ne fallait pas non plus qu'elle s'inquiète pour elle. Elle essuya ses larmes d'un revers de manche et se leva. Elle faisait partie de l'armée maintenant. Elle était grande et les grands ne pleurent pas. Elle sortit de la chambre et descendit dans la salle à manger. Quelques soldats étaient déjà là et le lieutenant lui fit signe de s'installer à côté d'eux. Ils étaient vêtus comme elle mais eux ressemblaient à des soldats. Quand elle s'assit ils se tournèrent vers elle et lui souhaitèrent gentiment la bienvenue. Elle répondit par un vague merci, le nez dans son assiette, terriblement mal à l'aise qu'on s'intéresse à elle.

    -Tu viens d'où? Demanda l'un des hommes pour engager la conversation.

    -Lebjna, répondit elle d'une petite voix en se redressant un peu.

    -Et c'est où ça? Interrogea un autre, j'ai jamais entendu un nom pareil. Ça a des consonances étrangères non?

    -Ça fait partie du Nord, expliqua Boue timidement, c'est dans la province de Lior. Juste en dessous des montagnes.

    Les éclaireurs hochèrent la tête.

    -Mais alors tu viens carrément du Nord! S'exclama l'un d'eux. C'est vrai que parfois il y a de la neige plus haut qu'un cheval?

    -C'est rare mais ça arrive.

    Tout le monde se mit à discuter en même temps pour savoir s'ils avaient déjà rencontré des gens venant d'un endroit situé aussi au nord de la capitale. Ce fut un brouhaha général jusqu'à ce que le cuisinier ramène une énorme chaudron rempli d'un ragoût fumant. Quand tout le monde fut servi le silence se fit et l'on entendit plus que des bruits de mastications et des soupirs de contentements. Boue mangea comme les autres, en silence, un peu plus à l'aise qu'au début de la soirée. Ils avaient l'air gentil. Le repas terminé le lieutenant annonça d'une voix forte que le départ était programmé à l'aube. La troupe ronchonna et chacun se leva pour aller nettoyer sa gamelle. Le lieutenant confia un sac à dos à Boue.

    -Pour tes anciens vêtements tu va les laisser ici, fit il en lui donnant également une couverture, sois prête demain à l'heure. Je chargerai quelqu'un de te réveiller pour cette fois mais il va falloir t'habituer à te réveiller toute seule.

    Sur ces mots il la laissa et elle monta se coucher. Elle eut beaucoup de mal à s'endormir.

     

    Le réveil fut difficile. Ce fut un éclaireur qui la secoua pour la réveiller et en voyant sa tête il éclata d'un rire sonore qui la fit grimacer.

    -C'est l'heure, fit il en s'en allant, dépêche toi de te lever si tu veux avoir le temps d'avaler quelque chose.

    Si il y avait une chose que Boue aimait plus que dormir c'était bien manger. Bien que la nourriture ici soit moins bonne que chez elle l'allusion au petit déjeuné la fit se lever d'un bon et en moins d'une minute elle rattrapait l'homme dans le couloir, entièrement habillée et les cheveux noués sur sa nuque en une longue tresse. L'homme éberlué la regarda passer au pas de course et descendre les escaliers quatre à quatre sa gamelle à la main. Quand il arriva en bas, elle était en train de faire la queue pour avoir sa ration du matin. Malgré son empressement elle avait du mal à garder les yeux ouverts et l'éclaireur eut un sourire lorsqu'elle trébucha sur le pied d'une table qu'elle n'avait pas vu.

    Lorsque le repas se termina ils prirent leurs affaires et sortirent. Dans la court des chevaux frais les attendaient. Boue s'arrêta, embarrassée. Celui qui l'avait réveillée la poussa vers l'une des montures. Le cheval la regarda d'un air placide:

    -Il s'appelle Troll, dit l'homme, prends en soin, personne ne le fera à ta place.

    -Mais euh...je...

    L'homme haussa les sourcils d'un air interrogateur.

    -Je ne sais pas monter à cheval.

    L'homme haussa les épaules:

    -Eh bien tu apprendras sur le tas comme tout le monde. Grimpe sinon tu vas nous mettre en retard.

    Boue obéit tandis qu'il vérifiait qu'elle ne tombait pas de l'autre côté. Quand elle fut assise sur le dos du cheval il lui expliqua rapidement les bases:

    -Tu tiens les rênes de façon à l'avoir bien en main, mais pas trop serré pour ne pas le blesser. Tu mets tes pieds dans les étriers. Tu diriges le cheval avec les rênes et les cuisses.

    Il monta sur son propre cheval et ajouta :

    -Tu vas voir il n'est pas difficile.Vous allez bien vous entendre.

    Boue avala nerveusement et hocha la tête. Quand le chef donna le signal du départ elle imita son voisin en donnant un coup de talon à sa monture. Celle ci broncha mais se mit à avancer en suivant la troupe.

    -Ne tapes pas si fort, conseilla un autre homme en se rapprochant, sinon tu vas lui faire mal et il va s'énerver. Un petit coup suffit, il est bien dressé. Et donne lui un peu de mou.

    Il lui montra ses rênes qu'elle tenait serrée comme si sa vie en dépendait. Elle les relâcha un peu et le cheval sembla apprécier ce geste. Il se mit à marcher avec un peu plus de souplesse, évitant ainsi à Boue de se sentir au bord de la nausée à cause de tous les soubresauts.

    Ils chevauchèrent toute la journée, ne faisant qu'une courte pause pour manger un morceau avant de repartir. Les éclaireurs, plutôt aimables malgré leur côté un peu revêche, donnaient quelques conseils à Boue sur la meilleure manière de chevaucher, et au bout d'un moment elle fut suffisemment détendue pour pouvoir observer le paysage, qui devint rapidement monotone quand ses cuisses et ses fesses se rappelèrent à son bon souvenir. Quand ils s'arrêtèrent le soir, la nuit était tombée depuis plus d'une heure et ils étaient loin d'une ville ou même d'un simple village.

    -Mais...on s'arrête ici? S'inquiéta Boue en voyant tous les hommes démonter et commencer à desseller leurs chevaux.

    -C'est le meilleur endroit pour camper à vingt lieux à la ronde, répondit Jun l'un des éclaireurs qu'elle avait appris à connaître, tu n'as jamais dormi dehors?

    -Non, répondit-elle en secouant la tête avec appréhension.

    Elle démonta maladroitement, tentant de ramener la circulations dans ses jambes endolories.

    L'homme hocha la tête et lui montra la troupe qui commençait à établir des tours de garde et à monter le camp.

    -Quand nous ne sommes pas dans des relais ou dans des lieux habités on s'installe comme ça. Le chef détermine les tours de garde et les autres s'occupent des feux. Le cuisinier fait sa tambouille on mange et on dort. Ça c'est quand on est chez nous en temps de paix. En temps de guerre ou chez l'ennemi on monte une palissade et les feux sont réduits au minimum voire interdits. Tu piges?

    -Ça ne sert à rien de lui apprendre ça maintenant, fit remarquer Franc, celui qui l'avait réveillé le matin, elle va l'apprendre quand elle sera sur Ile de toute façon.

    -Comme ça elle gagnera une heure de sommeil en ayant une chose en moins à retenir.

    -Tu parles! Se moqua l'autre, Tout le monde dort de toute façon, t'es bien trop fatigué pour réfléchir à la fin de la journée.

    L'autre haussa les épaules et fit signe à Boue qu'elle pouvait poser sa couverture près de l'un des feu quand elle aurait soigné son cheval. Elle s'occupa de sa monture sous les directives précise d'un vieux sergent et pensa qu'elle allait avoir bien des difficultés à le seller le lendemain.

    Elle eut effectivement beaucoup de mal. Elle avait très mal dormi, gênée par les bosses qu'elle sentait dans son dos et par les cris d'animaux qu'elle ne connaissait pas et qui l'effrayaient.

    Quand elle se réveilla il faisait nuit noire et malgré cela tout le camp était déjà démonté et les éclaireurs prenaient un rapide petit déjeuner avant de continuer leur chemin. Elle suivit Franc qui lui servit un bol de ragoût et qui lui conseilla de manger rapidement avant d'aller sceller son cheval. Elle obéit mais quand elle se retrouva face au Troll elle se trouva désemparée. Elle observa les autres et finir par saisir le principe. Avec appréhension elle posa le tapis noir sur le dos du cheval et tenta de soulever la selle. Elle dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à la poser sur l'animal. Elle se débattait avec les sangles quand le Lieutenant s'approcha. Avec patience il lui montra la façon dont s'accrochaient les sangles et l'aida à accrocher son paquetage sur les anneaux de la selle. Puis il s'éloigna et monta sur son propre cheval avec grâce. Boue posa son pied dans l'étrier... et s'étala de tout son long quand sa monture fit un pas de côté. Les éclaireurs éclatèrent de rire en l'entendant jurer comme un charretier:

    -Tu ne m'aide pas beaucoup, marmonna-t-elle à son cheval.

    Lorsqu'enfin elle réussit à grimper dessus, la troupe put partir. Ils chevauchèrent une bonne partie de la journée, ne s'arrêtant que très peu de temps pour manger avant de repartir. Le soleil se couchait quand la mer apparu. Les reflets orangés de l'astre couchant lui donnait des aspects de mer de sang et l'Ile qui se dressait au milieu de la crique semblait être le vainqueur de la terrible bataille. De loin l'ile semblait minuscule, mais plus on s'approchait plus sa masse était imposante. Elle n'était pas très élevée, mais les falaises qui l'entouraient la rendaient impressionnante. De plus l'atmosphère orageuse rendait les chevaux nerveux, ajoutant à l'angoisse de Boue. Les éclaireurs, inconscients de cette tension qui l'habitait, riaient entre eux heureux de rentrer à la maison. Elle aussi un jour serait contente de revenir ici. Mais à ce moment où chacun se réjouissait de la beauté du paysage, elle aurait préféré être avec son père au coin de la cheminée en mangeant des gâteaux tout chaud, loin de ce spectacle macabre. Mais c'était un présent qui n'existait pas et qui n'existerait plus. Elle poussa maladroitement Troll et suivit la troupe qui dévalait la colline vers le bac qui faisait la liaison avec Ile. Là elle faillit renoncer à tous ce à quoi elle s'était attaché depuis son départ. Toutes ses bonnes résolutions partirent en fumée: le bac, un amas de planche vaguement réunies par de vieilles cordes, tremblait sous le poids des chevaux qui commençaient à monter dessus. Troll, sensible à sa nervosité dansait d'un pied sur l'autre et ses mains figées par la peur ne pouvait le forcer à suivre les autres. Elle ne bougeait plus, et son cheval s'était également figé, personne ne remarqua son absence lors du premier bac, ni lors du deuxième, et elle se retrouva bientôt seule au bord de l'eau alors que le bac restait sur l'autre rive. Elle prit soudain conscience de sa solitude et, ne sachant que faire, elle descendit de cheval:

    -Eh bien...Troll. Je suppose que nous allons devoir attendre demain matin pour aller là-bas. Bon! Où allons nous nous installer... Il nous faut un coin sec, mais pas trop loin du bac( Troll la poussa du museau) Oui je sais avec de l'herbe pour monsieur.

    Elle s'éloigna suivit de son cheval qui semblait finalement l'apprécier et se trouva un arbre un peu plus loin contre lequel elle s'installa le plus confortablement possible... avant de se relever pour desceller sa capricieuse monture qui venait de lui donner un coup de sabot pour la rappeler à l'ordre. Elle se rassit, se blottissant dans sa couverture et s'endormit presque aussitôt, fatiguée par sa longue chevauchée.

     

    Elle fut réveillée par un pied qui lui chatouillait désagréablement les côtes. Elle grogna et ouvrit les yeux. Il faisait encore nuit et elle ne distinguait pas bien son persécuteur:

    -Alors qu'est ce qu'elle attend pour se lever la fillette?

    C'était un garçon à n'en pas douter, probablement pas beaucoup plus âgé qu'elle à entendre les accents éraillés qu'il avait dans la voix. Elle se leva en maugréant et épousseta sa tunique. Le garçon était plus grand qu'elle, dégingandé, avec de long cheveux d'un blond presque blanc pendaient le long de ses joues maigres. Elle se sentit rapetisser sous son regard méprisant.

    -Qui êtes vous? Demanda-t-elle en voyant son tabard orné du loup.

    -Carri et toi tu ne seras bientôt plus rien si tu ne te bouges pas! Aller! Le bac ne va pas nous attendre des heures!

    -M...mais quelle heure est-il?

    -Trop tard pour ta petite tête de fille! Allez! détache ton cheval!

    Pour la première fois depuis qu'elle était debout elle se sentit légèrement mieux en se rappelant que son cheval avait été assez gentil pour rester à côté d'elle. Elle l'appela doucement et le garçon sursauta en voyant Troll approcher à pas lourd, apparemment mécontent lui aussi d'avoir été réveillé en pleine nuit.

    -Aller viens mon gros, on y va.

    Elle le scella rapidement, contente d'avoir réussit à ne plus se ridiculiser durant cet exercice pendant ses quelques jours de voyages. Sans un mot le garçon se détourna et se dirigea rapidement vers le bac, certain d'être suivit. Arrivé au bord de l'eau il monta dans le bac tandis que le passeur aidait gentiment Boue à faire grimper Troll qui rechignait à poser son sabot sur un sol aussi instable, il était tout de même un cheval que diable! Quand le bateau plat quitta la rive, elle se sentit soudain aussi mal que sa monture. Le bras de mer n'était pas particulièrement agité, mais le clapotis des vagues contre le plat bord lui retournait le cœur. Les falaises se rapprochaient dangereusement et elle ne voyait aucun signe de la part du barreur montrant qu'il allait changer de direction. Elle ouvrit la bouche mais l'attitude confiante de Carri lui paru de bonne augure et elle tenta de calmer son estomac qui menaçait de partir en courant. Quand ils arrivèrent au pied de la falaise elle vit soudain une ouverture qui s'élevait à environs deux mètres au dessus de la mer, invisible depuis la côte. L'embarcation passa sans encombre sous la voute et pénétra dans un long tunnel sombre, qui débouchait sur une caverne illuminé par deux torches. Le lieutenant Ilère attendait là et il eut un sourire amusé en voyant la tête terrifiée de Boue:

    -Alors? On s'est perdue en route? Demanda-t-il d'un air joyeux.

    Carri eut un sourire moqueur, et elle se rendit compte qu'elle détestait déjà ce garçon hautain, froid et pédant.

    -Il va falloir te faire à cette embarcation, ajouta le lieutenant, c'est le seul moyen de traverser plus ou moins au sec.

    Il aida Boue à sortir son cheval de l'embarcation, laquelle gita dangereusement lui faisant pousser un petit cri de surprise. Carri ricana et elle lui jeta un regard mauvais, lui promettant mille et une souffrances futures. Ils quittèrent la grotte par un petit sentier marqué par les milliers de pieds qui l'avaient fréquentés, et débouchèrent à l'air libre devant la porte d'un camp militaire. La nuit l'empêchait de voir mais d'après la taille de la porte, elle supposait que le camp était immense. Au lieu de s'en approcher le lieutenant leur fit signe de le suivre et ils contournèrent de la camp sur une centaine de mètres pour entrer par une porte beaucoup plus modeste en apparence mais non moins impressionnante par son épaisseur. Boue se rendit alors compte de sa fatigue et s'être réveillée en pleine nuit n'avait rien arrangé. Elle ne vit rien du camp sinon qu'il était composé de nombreuses tentes et de quelques bâtiments en dur, aveugles et aux toits plats. Le lieutenant la mena d'abord vers les écuries où elle laissa Troll, puis vers une longue bâtisse au toit de toile qui, une fois à l'intérieur, se révéla être un dortoir. Quelques lits étaient déjà occupés mais la plupart étaient vides, une couverture pliée à leurs pieds. Carri se dirigea vers son propre matelas et le lieutenant indiqua à Boue l'une des paillasses où elle s'installa, prenant juste la peine de retirer ses bottes, son pantalon et son tabar avant de sombrer dans un sommeil sans rêve.

     

    Elle se réveilla en sursaut quand une sonnerie de trompette éclata dans le camp. Elle se rappela vaguement les paroles de son chef avant qu'elle ne s'endorme:

    -La sonnerie te réveillera. A ce moment tu as trois minutes pour te lever et venir te ranger devant la tente.

    Elle se leva d'un bon, enfila son pantalon et son tabar, avant de se ruer dehors à la suite des autres et de se ranger tout au bout de la deuxième ligne formée par les occupants de la tente. Elle observa les autres pour voir leur réaction. Comme elle ils n'avaient pas l'air sur de ce qui les attendaient. Même l'arrogant Carri semblait anxieux. Ils attendirent ainsi pendant une bonne demi-heure avant qu'un homme s'approche d'eux à grand pas. Le lieutenant Ilère s'arrêta face à eux avec une mine sévère:

    -A partir de maintenant je suis votre commandant, commença-t-il sans préambule, jusqu'à ce que je vous dise de partir vous serez sous mes ordres et n'aurez en aucun cas le droit de me contredire ou de ne pas faire ce que je vous ordonne. Est-ce clair?

    Tout le monde hocha la tête et le lieutenant eut un claquement de langue satisfait. Sans un mot de plus il leur fit signe de le suivre et leur fit visiter les lieux: Le camp était construit sur l'immense plaine qui s'étalait en haut des falaises. Il était fait d'un assemblage plus ou moins complexe de baraques en bois ou en pierre et de tentes contenant tout ce dont un camp militaire pouvait avoir besoin, de la forge, aux dortoirs, en passant par les cuisines et les espaces d'entraînement. Le parcours dura environ une heure et quand ils revinrent à leur point de départ le soleil était déjà haut dans le ciel. Là il les répartit en deux groupes:

    -Vous, fit il en désignant la première ligne, vous allez vous rendre à la forge et dire au maître que je vous envoie. Jusqu'à ce que je vous dise le contraire vous êtes sous ses ordres. Allez y! Et sans vous perdre! Vous! Continua-t-il en se tournant vers la second ligne, vous irez aux écuries et demanderez le maître des lieux. Dites lui également que je vous envoie. Vous serez sous ses ordres jusqu'à preuve du contraire. Allez!

    Les deux lignes s'en allèrent et Boue, qui faisait partie de la deuxième, suivit les autres en direction du bâtiment qu'on leur avait indiqué comme étant les écuries. Un homme immense, tout maigre avec de longs cheveux noirs striés de gris les accueillit avec une mine sévère:

    -Vous voilà enfin! Allez pas de temps à perdre! Déblayez moi tout ça, je veux que tout soit propre à midi!

    Il tendit une longue main, à laquelle il manquait un doigt, vers l'intérieur de la bâtisse et leur indiqua leurs tâches pour la journée. Nettoyer les écuries était vraiment un travail ingrat et Boue se retrouva bientôt avec du crottin jusqu'aux genoux, une fourche dans les mains tandis qu'elle retirait la vieille paille, la portait dehors et la mettait en tas pour pouvoir ensuite la bruler. Elle fit la connaissance de ses compagnons. Les six garçons étaient plutôt chaleureux et n'avait pas la même attitude dédaigneuse que présentait Carri. Elle s'entendit tout de suite bien avec eux et à la fin de la journée l'humeur était joyeuse malgré leur extrême fatigue. Il y avait Kymé, Dui et Hugure, trois frères d'environ un an de différence et qui venaient de la campagne autour d'Atlantide. Les autres s'appelaient Jo, Fabr et Liu. Liu et Boue devinrent rapidement amis et furent inséparables avant la fin de la journée. Quand tous retournèrent à leur tente le soir, ils riaient d'une blague des trois frères et se retrouvèrent nez à nez avec les nouveaux forgerons. Ceux ci étaient noirs des pieds à la tête mais semblaient joyeux. Les deux groupes se dévisagèrent un instant puis éclatèrent de rire tant leurs aspects respectifs étaient comiques: des garçons et des filles couverts de crasses se tenaient les côtes, s'appuyant les uns aux autres pour ne pas tomber. Seul Carri ne riait pas. Un léger sourire étirait ses lèvres, mais c'était plutôt un sourire sardonique. Il était appuyé contre un mur et ne se mêlait pas à la gaieté générale. Un éclaireur débarqua sur la place et se stoppa net devant l'attroupement crasseux:

    -Vous ne croyez tout de même pas pouvoir aller manger dans cet état non? Cria-t-il pour couvrir le brouhaha qui diminua puis disparut. Allez, allez! La rivière est là-bas! Les filles en amont dans le petit bois et les garçons en aval prêt des pierres! Dépêchez-vous! Si vous arrivez en retard vous n'aurez rien à manger!

    Il s'éloigna et tous se précipitèrent vers la rivière.

    Le repas fut servit une heure après et, au plus grand bonheur des garçons, les portions n'étaient pas limitées. Quand ils allèrent se coucher, l'estomac bien plein, l'atmosphère était détendue et les yeux se fermaient. Boue soutenait Liu qui avait trop mangé et qui titubait, malade. Elle le déposa sur son lit et se dirigea vers le sien. Elle se coucha et s'endormit aussitôt.

    La trompette les tira du sommeil et chacun se dirigea en maugréant vers son travail. Boue et Liu furent les premier à arriver. L'une parce qu'elle ne voulait pas se retrouver à faire les corvées et l'autre parce qu'il avait de grandes jambes. Dire qu'il était très grand serait un euphémisme: c'était un géant. Plus de deux mètres, les épaules larges et les bras puissants. Son enfance dans la ferme de ses parents avait développé sa musculature mais les privations de nourriture l'avaient laissé tout maigre. Ses cheveux noirs lui tombaient dans le dos, retenus par une lanière de cuir. Ses yeux étaient d'un bleu saisissant et se fixaient sur les choses comme si, d'un simple regard, il pouvait les brûler. Quand ils arrivèrent aux écuries le maître discutait avec un homme inconnu des deux amis.

    -Tiens? Qu'est ce que vous faites là tous les deux? Fit le maître étonné en les voyant approcher.

    -Ben... la première trompe a sonné il y a cinq minutes, fit Liu, et donc nous voilà.

    -Mais votre journée ne commence qu'à la deuxième trompe on ne vous l'a pas dit?

    -Ah... bah... non.

    L'autre homme eut un sourire devant l'air déconfit des deux jeunes gens. Mais Boue se reprit vite, et décidant que, puisqu'elle était levée, il fallait qu'elle s'occupe et elle proposa son aide pour une tâche quelconque.

    -Aider? Fit le maître, Hum... oui je pense que c'est possible. Mais où sont les autres?

    -Ben ils auraient dut être là, ils se sont levé en même temps que nous, fit Liu, mais ils ont peut être croisé quelqu'un qui les aura prévenu.

    -Eh bien tant pis! Mais puisque vous avez perdu une heure de sommeil on ne va pas vous faire faire des tâches trop ingrates! Monter à cheval ça vous dit?

    Les yeux de Boue s'illuminèrent. Avant de venir chez les éclaireurs elle n'aurait jamais cru aimer les chevaux. Mais elle devait s'avouer que le caractériel Troll lui manquait.

    -Vous êtes déjà montés à cheval? Demanda l'homme.

    -Sur une monture de trait, fit Liu avec une moue, mais je suppose que ça ne compte pas.

    -Bah c'est un bon début, mais tu n'as pas dû faire autre chose que du pas non?

    -En effet, admit-il.

    -Et toi? Demanda le maître à Boue.

    -Un peu en venant ici, on m'a confié aux éclaireurs dans le relais de Turnin à une centaine de kilomètres.

    -Ah! Avec qui es-tu venue?

    -Le lieutenant Ilère.

    -Commandant Ilère, corrigea-t-il.

    -Commandant Ilère.

    -Donc tu sais à peu près monter! Ses hommes sont plutôt bon professeurs, bien qu'ayant un peu tendance à un humour vaseux.

    Elle eut une grimace sans relever la pique, mais elle pensa que dire qu'elle savait monter était un peu exagéré.

    -Bon! Je peux m'en occuper? Demanda l'homme en se tournant vers le maître, J'ai quelques heures devant moi.

    -Si ça peut te faire plaisir, répliqua le maître avec un demi-sourire, mais fait gaffe au chef! Il ne voudrait pas que tu ais perturbé son programme spécial!

    L'homme éclata de rire et fit signe à Liu et Boue de le suivre. Il les emmena vers une esplanade dégagée où des chemins de terre étaient tracés, formant cercle et lignes droites parfois interrompues par des troncs formant des obstacles de course:

    -C'est ici qu'on entraîne les débutants à maîtriser leurs montures, commença-t-il, plus tard on vous emmène en milieu naturel pour une meilleure adaptation. Parfois quand on peut on fait également des manœuvres dans le désert mais en ce moment c'est un peu compliqué. Au fait je suis Pol, de la neuvième compagnie.

    -Boue.

    -Liu.

    -Très bien on va vous trouver des chevaux puis on commencera. A la deuxième trompe vous retournerez avec maître Lurt.

    Il leur trouva des montures plutôt calmes et bienveillantes, et commença à les entraîner. Liu se révéla finalement un assez bon cavalier et réussit à faire un tour de piste au grand galop sans tomber. Boue d'un niveau beaucoup moins élevé se débrouillait comme elle pouvait et finit par retrouver l'aisance chèrement acquise pendant la dernière semaine. Quand la deuxième trompe sonna ils étaient couverts de bleus mais ravis et Pol leur proposa de continuer les cours un jour sur deux.

    -Il faut que vous dormiez beaucoup à votre âge, dit-il lorsqu'il demandèrent pourquoi pas plus souvent, et puis vous verrez que demain vous apprécierez de ne pas monter. Au fait! Étirez-vous avant de vous coucher ce soir.

    Il les laissa, et quand Liu et Boue arrivèrent aux écuries tout le monde était déjà là. Pour leur retard ils durent pelleter du crottin toute la matinée, ce qui ne les empêcha pas d'être de bonne humeur, presque toute la journée.

     

    Boue travailla aux écuries pendant pendant plus de quatre mois. Leur activité principale était de nettoyer les stalles et les chevaux qui leurs étaient confiés. Mais Maître Lurt leur apprit tout ce qu'ils pouvaient entendre sur les soins des chevaux, leurs humeurs et la façon de reconnaître leurs blessures. Au bout de deux semaines ils commencèrent à monter et Boue et Liu ne furent pas peu fiers de leur habileté. Même le maître les félicita sur leurs rapides progrès, et Pol les complimenta sur leur façon de monter qui se paraît d'élégance et de grâce de jour en jour, au fur et à mesure que leurs capacités augmentaient. Bien qu'ils aient officiellement commencer à monter, Pol avait accepté de continuer ses leçons matinales, et maître Lurt s'en trouvait ravi, car dix nouveaux arrivants avaient rejoint le groupe et il commençait à en avoir marre de courir après tous ces gosses pour leur apprendre à sangler correctement une selle. Deux cavaliers qui commençaient à devenir très doués lui étaient d'une grande aide.

    Bien qu'ils ne se voient presque pas de la journée, les deux groupes s'entendaient à merveille, et lorsqu'on leur apprit qu'ils allaient devoir échanger leur place les uns et les autres se souhaitèrent bien du courage. Surtout entre fille. Mire et Luciole donnèrent toutes leurs condoléances à Boue et lui souhaitèrent toute la force possible: « La forge n'est pas un travail de fille, mais au moins tu n'auras pas à supporter les critiques de Carri » Car le garçon s'était encore renfrogné et ne parlait jamais à personne d'autre que ses chefs, et uniquement dans un besoin pressant. Il n'était l'ami de personne, et personne ne cherchait à se lier avec lui tant il était désagréable. En quelques mois il avait grandi de plus d'une demi-tête, et étant déjà grand à l'origine, il était devenu le plus grand du groupe, sans compter Liu qui dépassait tout le monde d'au moins une tête.

    Tous ceux qui sortaient de la forge avaient développé leur musculature de façon impressionnante: les garçons s'étaient élargis d'épaules plus que la croissance normale, et les filles également, bien que dans une moindre mesure.

    L'échange ne se fit pas sans mal, chacun ayant du mal à s'habituer à son nouveau travail. Liu et Boue abandonnèrent leurs leçons matinales, trop fatigués pour gâcher une heure de sommeil, et Pol disparu du camp. Quand ils demandèrent où est ce qu'il était passé, on leur répondit avec un haussement d'épaule et une grimace: « Là où le chef l'a envoyé pardi! Au fin fond de l'enfer! »

    Les mois passèrent et la vie prit un train tranquille au fur et à mesure que chacun s'adaptait à ce nouveau rythme différent de tout ce qu'ils avaient vécu. Boue grandit un peu et, comme pour les autres filles, sa silhouette se modela pour la transformer en une jeune femme musclée et séduisante. Ses longs cheveux bruns étaient généralement noué sur sa nuque en une tresse serrée, parfois enroulée en un chignon. Mire et Luciole avec qui elle partageait une complicité typiquement féminine étaient devenues deux jeunes femmes blondes aux yeux bleus. Mais là s'arrêtait la ressemblance: Mire était grande et élancée, ses cheveux long formaient une crinière autour de sa tête et son rire était comme mille clochettes. Au contraire, Luciole était plus petite, moins expansive que sa compagne, mais beaucoup plus forte. Dans un souci pratique elle s'était coupée les cheveux quelques semaines après leur arrivé, et ils formaient désormais une tignasse emmêlée qu'elle ne coiffait presque jamais. Un foulard bleu empêchait les mèches de lui retomber dans les yeux et sa voix était caverneuse. Boue et Luciole étaient devenues de grandes amies et faisaient souvent équipe lors des entraînements: Ils devenaient des soldats. Liu, avec qui Boue et Luciole passaient tout leur temps, avait encore grandi et ressemblait désormais à l'image que Boue se faisait d'un barbare du sud: immense, très fort, il portait les cheveux mi-long et une barbe brune lui couvrait le menton. Il était la terreur des autres apprentis qui faisaient tout pour ne pas se retrouver en face de lui à l'entraînement car il tapait comme une brute. Le seul qui lui résistait était Carri. Lui aussi avait changé, pas forcément en bien. D'antipathique il était passé à glacial puis à asocial. Son front était toujours plissé par le mépris, le dégout ou la colère, et personne n'osait croiser son regard. Également très grand, bien que dans une moindre mesure par rapport à Liu, il était blond et son regard bleu de glace séduisait toutes les filles qui ne le connaissaient pas. Il était le meilleur combattant du groupe et le seul qui ne craignait pas les coups de Liu. Si personne ne l'appréciait et qu'il n'appréciait personne, ce n'était rien en comparaison avec la haine que lui et Boue se vouaient. Sans raison réelle sinon le manque d'amabilité de l'un et de l'autre, ils se détestaient profondément depuis le début et dès qu'ils combattaient tout le monde s'écartait prudemment. Car si Carri était le meilleur Boue n'était pas loin derrière et tous le reconnaissaient, même Liu qui désespérait de ne pouvoir la battre autrement que par la force brute.

     


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    Un an passa. Un jour le chef décida de les lâcher dans une forêt, avec pour seul mot d'ordre: rentrer vivant sur Ile.Chacun des élèves était vêtu de l’uniforme habituel plus une cape chaude, un couteau et de rien d'autre. Le chef leur avait clairement expliqué qu'ils devaient survivre à cette petite promenade pour pouvoir continuer. Il n'y aurait pas de repêchage. Littéralement.

    Ils partirent chacun leur tour à quelques minutes d'intervalles. Peu décidèrent de se presser et ils adoptèrent tous plus ou moins la même allure tranquille. Mais Lorsque Boue se rendit compte que Liu la suivait de près, elle se décida à courir, slalomant entre les arbres. L’autre essaya de la suivre mais il perdit sa trace, malgré ses immenses enjambées. Boue finit par s'arrêter. Elle entendait le bruit de l'eau courante. Elle avait soif, elle avait faim et la nuit commençait à tomber. Elle se dirigea vers l'eau, décidant qu'elle vérifierait sa position plus tard. Le court d'eau était en fait un ruisseau minuscule qui courait au milieu de l'herbe et des arbres. Elle trouva un petit bassin et gouta l'eau. Elle était fraiche et bonne. Elle y but longuement et n'ayant rien à manger, décida de remplir son estomac avec l'eau. Une fois repue elle chercha un arbre dont les branches basse faciliteraient son ascension. Elle en trouva un et commença à grimper. Arrivée en haut elle étudia le ciel, cherchant à se repérer. Elle eu beaucoup de mal, mais réussit finalement à voir la direction d'Île. Elle descendit et se mit en route.

    Ils avaient mit quatre jour pour venir à cheval. Le chef étant repartit avec, il allait falloir faire vite. Son estomac grondait et elle se mit à scruter le sol sombre de la forêt en quête de quelque chose de mangeable. Elle finit par tomber sur un tapis de vieux pignons de pin qu'elle se mit à fouiller. Elle un ramassa une assez grosse quantité qu'elle casa dans le bas de sa chemise et elle se mit à les manger tout en continuant de marcher. Elle savait que ça se serait pas suffisant à remplir son estomac et tenta de se souvenir de ce que les soldats leurs avaient appris : quand on ne peut pas chasser, ni tendre de piège qu'est ce qu'il reste ? Pignons et noix en tout genres. Ce n'était pas la saison et elle savait que si les pignons se conservaient au sol il y avait peu de chance qu'elle trouve des noisettes ou des noix. Glands. Les chênes proliféraient dans cette forêt, mais il lui faudrait faire un feu. Un feu attirait les gens et chassait les animaux. Mauvaise idée. Mais elle avait faim. Elle décida de ramasser les glands qu'elles trouverait. Elle aviserait plus tard. Quoi d'autre ? Racines. Elle avait toujours eut du mal à les reconnaître et elle savait qu'il ne fallait pas manger ce dont elle n'était pas sure.

    Champignons, pissenlits, orties.. Rien de très nourrissant et tout nécessitait un feu. Pourquoi ne pouvait elle jamais se rappeler des choses au bon moment ?

    Elle se rappelait enfin de sa liste de vocabulaire en langue de l'est. Très utiles en forêt dans la région d'Atlantide.

    Des œufs seraient un bon compromis, mais elle n'avait aucune idée de la façon de trouver un nid, surtout en pleine nuit.

    Fatiguée et tremblante de froid elle décida de s'arrêter pour dormir un peu. Elle trouva un creux de racine semblant confortable et s'y installa. Elle se couvrit de sa cape et ferma les yeux.

     

    -Debout.

    Elle se leva d'un bon et vit Carri appuyé contre l'arbre au pied duquel elle avait dormi.

    -Qu'est ce que tu veux ? Grogna-t-elle.

    -Tu connais la route pour rentrer ?

    -Plus ou moins. Pas toi ?

    Son ton était moqueur et il n'avait pas l'air d'apprécier.

    -Non.

    Elle fronça les sourcils :

    -Tu m'as suivie ?

    Il haussa les épaules :

    -Il faut savoir s'adapter.

    -Pourquoi tu m'as réveillée ?

    -Je commençais à m'ennuyer.

    Elle grogna :

    -Vas-t-en. T'es censé te débrouiller tout seul.

    Il haussa les épaules :

    -Toi aussi.

    -C'est ce que je fais.

    -Alors ce n'est pas ton ventre qui gargouille depuis des heures ?

    Boue grogna. Après un instant de silence elle demanda :

    -Tu as quelque chose à manger ?

    -A cuire. Mais on peut faire un petit feu et partir juste après. Mais il faudrait accélérer un peu. Tu es d'une lenteur...

    Finalement elle se débrouillerai seule.

    -Ferme la et va-t-en.

    Elle était très droite et son regard était froid. Carri se redressa, haussa les épaules et s'en alla en lâchant :

    -On se retrouve sur Ile. Si tu ne meures pas de faim avant.

    -Dégage !

    Il s'en alla et elle resta seule, grognon, affamée et énervée. Elle ramassa sa cape qui s'était détachée , s'enroula dedans et se remis en route. Elle regrettait un peu d'avoir chassé Carri : il avait beau être détestable, c'était toujours mieux que d'être toute seule. Et il avait à manger. Elle grogna et accéléra. Elle avait dormi quelques heures et la nuit était proche. Elle marcha longtemps même après la nuit tombée.

    Elle mit trois jour pour sortir de la forêt et encore trois autres pour rejoindre le bac qui la ramènerait dans l’Ile. Elle se signala au passeur, mais elle du attendre qu'un groupe d'éclaireur arrive avant qu'il n'accepte de traverser : il n'avait pas voulu se fatiguer pour une seule personne.

    Elle se glissa dans le camp et se dirigea vers le bureau où ils devaient signaler leur arrivée. Elle entra sans bruit et surprit le secrétaire quand elle parla.

    -J’aimerais que l’on m’inscrive comme rentrée.

    -Quelle compagnie ? demanda le petit homme en se remettant de la frayeur qu'elle venait de lui causer.

    -La dixième. Nous sommes en formation.

    -Ah oui, celle sortie faire des exercices, tu es la cinquième arrivée.

    Elle alla au dortoir, se demandant qui avait bien pu arriver avant elle. Elle grogna en se rendant compte que Carri devait se trouver parmi eux.

    En arrivant elle remarqua que malgré les ordres de couvre-feu, une petite bougie éclairait les cinq garçons déjà là.

    Carri, assis tout seul sur sa paillasse affutant un couteau, Liu, Kymé, Dui et Hugure discutant doucement à l'opposé. Ils la regardèrent arriver en souriant.

    -Je ne pensais pas que tu rentrerais aussi vite et en bon état, dit Carri méprisant, tu n’as pas eu trop peur ? Tu n'as pas l'air d'avoir trop maigri. Etonnant.

    Boue réprima son envie de l'étrangler, haussa les épaules et se dirigea à tâtons vers sa paillasse. Carri eut l’air vexé qu’elle ne réponde pas à ses provocations.

    -Tu as perdu ta langue ? fit il d'un air mauvais.

    -Tu aurais mieux fait de perdre la tienne, répondit elle sans se retourner, tout le monde en aurait été content.

    L’autre se leva d'un bon et la rejoignit. Il voulut l’attraper par l'épaule, mais au dernier moment elle s’écarta et lui fit un croche-patte qui l’envoya s’étaler dans la poussière.

    -Je t’interdis de me toucher, gronda-t-elle comme une bête.

    Il lui lança un regard noir...Et en moins d’une seconde, il la renversa et elle se retrouva par terre.

    Elle lui lança un regard de pure haine et se dégagea, retournant vers sa paillasse, où elle s’allongea et s’endormit en pensant à la torture qu'elle pourrait faire subir à Carri un jour...

    Tout le monde arriva dans les trois jours suivants. Le chef savait très bien qu’on ne pouvait pas faire le chemin en une semaine, si on voulait dormir correctement. Malgré tout il les sermonna sur leur retard.

    Le seul qui ne revint pas fut Fabr. Au bout de quatre jours de retard, pensant qu'il s'était perdu, le chef décida d’envoyer sa « compagnie » à sa recherche. Il constitua des équipes de deux, et bien évidemment, Luciole et Boue ne furent pas ensemble.

    -Luciole tu seras avec Liu, fit le chef en désignant les équipes, Boue avec Carri.

    -QUOI! Firent les deux appelé dans un même élan de fureur.

    -Vous avez des réclamations? Demanda le chef d'une voix dure.

    Personne ne répondant il continua sa liste, ignorant volontairement les regards de haine que se lançaient Boue et Carri.

    Le but de cette nouvelle sortie était de retrouver Fabr. A leur arrivée en forêt ils auraient trois jours pour le retrouver. On leur confia des armes en fonction de leurs affinités. Carri et Boue eurent chacun une épée courte, assez légère. Liu eut droit à une masse d'arme et Luciole prit pour sa part une drôle de lame des régions de l'Est nommée Katana.

    -Nous nous retrouverons ici dans trois jours, dit le chef devant l’entrée de la forêt, Ne prenez pas de risques inutiles, si dans trois jours personne n’a retrouvé Fabr, je confierais la mission à d’autre plus expérimenté.

    Tout le monde acquiesça et chaque équipe partit fouiller son secteur.


    Carri et Boue ne parlaient pas. Chacun souhaitait les pire maux pour son voisin et ses vœux, par ailleurs inefficaces, les occupaient tant que la conversation, même inamicale, ne leur était pas venue à l'esprit.

    Au bout de plusieurs heures de veines recherches ils entendirent soudain du bruit. Ils s’arrêtèrent. Leur regard se croisant ils décidèrent silencieusement de se séparer et d'avancer le plus discrètement possible vers l'origine de ces bruits suspects. Environs une dizaine de mètres plus loin ils aperçurent des sentinelles. Les évitant soigneusement ils s'approchèrent de la clairière qui se trouvait devant eux. Il y avait un camp, avec à l’intérieur, trois poteaux, sur lesquels était attachés Fabr, qui semblait inconscient et mal en point, et deux autres personnes que les jeunes éclaireurs ne connaissaient pas, mais qu'ils supposèrent être des paysans de la région. Ils n’entendaient pas se qui se disait à l'intérieur, mais Boue sursauta quand l’un des hommes du camp s’approcha et gifla Fabr avec une force qui le fit saigner du nez, mais ne le réveilla pas. L’homme cracha quelques mots à ses compagnons et se tourna vers les deux autres hommes qui tentaient, bravement mais sans succès, de ne pas trembler de terreur. De là où il se trouvait Carri put voir le soldat prendre un couteau et trancher sans sourciller l'oreille de l'un des deux hommes. Celui ci hurla et l'autre frissonna d'horreur en voyant le soldat rire en brandissant fièrement son trophée macabre. Boue le vit fermer les yeux puis les rouvrir comme pour échapper à ce cauchemar. Malheureusement pour lui ce n'était pas un rêve.

    Boue se retint pour ne pas vomir de dégout et rejoignit silencieusement Carri.

    -Il faut aller prévenir le chef, lui murmura-t-elle.

    -Oui mais il est où ? chuchota l’autre en réponse, Trois jour il a dit.

    -Tu ne penses quand même pas qu'il nous a lâché comme ça, répondit Boue, il doit y avoir une autre compagnie quelque part, au cas où.

    Malheureusement pour eux, sa dernière phrase fut perçu par les sentinelles qui poussèrent un cri d'alerte:

    -Des intrus ! siffla l'homme à l'oreille, Va prévenir le chef vite !

    Il prit une hache et fit signe à ses hommes de se déployer autour des deux jeunes gens qui prirent éperdument la fuite. Tous les principes de discrétion qu'ils avaient eut tant de mal à retenir étaient effacés par la terreur qui les tenait, l'un comme l'autre.

    Carri couraient vite mais il était ralenti par Boue qui malgré son adresse ne l'égalait pas en vitesse. Elle s'épuisait. De plus en plus inquiet Carri la pressa de continuer. Boue voulu lui faire signe de ne pas s'occuper d'elle mais elle poussa soudain un cri et s'écroula, l'épaule percée d'une flèche. Carri se précipita et l'aida à se relever tandis que leurs poursuivants déferlaient parmi les arbres.

    Boue souffrait. A chaque mouvement qu’elle faisait, sa blessure la tiraillait. Elle perdait beaucoup de sang et la sueur perlait sur son front. Elle trébucha et s’étala dans les feuilles rendues glissantes par la pluie qui avait commencé à tomber. Carri la traîna vers un buisson et d'un coup sec retira la flèche. La douleur lui fit voir trouble et elle ne le sentit pas qui bandait étroitement son épaule.

    -On ne va pas tenir longtemps à ce rythme, marmonna-t-elle.

    -A qui la faute? S'exclama Carri exaspéré.

    Boue lui jeta un regard noir:

    -Très bien. Tire toi et va prévenir le chef. Je vais les attirer ailleurs. Mais dépêche toi je ne tiendrais pas longtemps.

    -ça va pas non? Je ne vais pas te laisser comme ça!

    -Tu n'as pas le choix! Dépêche toi!

    Elle se releva et se mit à courir sans lui laisser le temps de répondre.

    Les soldats la virent et se lancèrent à sa poursuite. Quand ils eurent disparu Carri se mit à courir. Il espéra que le chef avait laissé quelqu’un dans la clairière où qu’il tomberait sur quelqu’un avant.

    Il slaloma à toute vitesse entre les grands arbres. Quand il arriva dans la clairière le chef était là en compagnie de trois éclaireurs que Carri n’avait jamais vu. Oubliant tout protocole il se précipita vers lui et lui débita toute son histoire en un temps record.

    -Parle moins vite ! lui ordonna le chef.

    -Fabr…dans un camps…repéré… courir… Boue…blessée…besoin d’aide…

    Son discours était décousu mais les trois hommes comprirent bien vite ce qui se passait.

    -Va chercher les autres, ordonna le chef à l'un des hommes.

    Il se tourna vers les deux autres:

    -Allez voir ce qu'il se passe! On vous retrouve dans cinq minutes.

    Il prit Carri par le bras et le tira brutalement vers un chemin opposé. Un centaine de mètres plus loin ils débouchèrent dans un camp où une centaine d'éclaireurs étaient en train de se réunir. Carri ouvrit la bouche stupéfait:

    -Tu ne croyais tout de même pas que j'allais vous lâcher comme ça dans la nature non? Fit le chef méprisant.

    Carri se renfrogna et ne répondit pas. Boue avait vu juste et ça l'agaçait. Elle devinait toujours tout.

     

    Les deux éclaireurs couraient rapidement, suivant aisément les traces de Carri jusqu'à l'endroit où lui et Boue s'étaient séparés. Là ils n'eurent aucun mal à voir par quel chemin elle était passée: un troupeau de bœufs en colère n'aurait pas fait plus de dégâts. Ils se regardèrent d'un air sombre: ils risquaient d'arriver trop tard.


    La nuit tombait. Les deux éclaireurs couraient en tous sens sur la plaine jonchée de cadavres.

    De toute évidence, ces hommes étaient les mercenaires. Mais comment se faisait-il qu’ils soient mort ?

    Soudain l’un des deux hommes, cria quelques chose à son compagnon. Celui ci le rejoignit et découvrit, recroquevillée entre deux rocher, une jeune fille, qu’ils avaient déjà vu. Boue. Ils la soulevèrent et la déposèrent dans un coin à peu près vide de cadavres.

    Elle n’était pas morte. Il essayèrent de la réveiller, mais elle ne bougea pas. Ils remarquèrent que l'une de ses mains était serrée autours de quelque chose. Ils la déplièrent et un dé en bois apparu. Ils eurent un frisson: la Chance était de retour.

    Quand le chef les rejoignit avec le reste de la troupe quelques minutes plus tard, les deux éclaireurs venaient de réussir à réveiller Boue. D’un commun accord ils avaient décidé de n'évoquer le dé qu'au chef, et de laisser Boue dans l'ignorance : c'était plus sur pour elle.

    La Chance était un assassin. Un homme qui pour une raison ou pour une autre tuait des gens. Par argent, par honneur, par vengeance, ou quelques fois, pour aider. Il avait du déposer le dé dans la main de la fille après qu’elle se soit évanouie. Elle n’apprendrait jamais son intervention. C'était bien trop risqué pour elle. Si la Chance ne vous tuait pas, c'était les autres qui vous tuaient, par pure terreur: on ne faisait pas confiance à l'ami d'un tueur.

    Le chef s’approcha, suivit de tout un groupe de jeunes. Les autres soldats se déployèrent et fouillèrent méthodiquement la scène macabre.

    -Alors ? demanda le chef , que s’est il passé?

    -La Chance, répondit un des éclaireur d'une voix basse, Du moins on le suppose vu l'état des lieux.

    Il désigna du pouce derrière lui Boue qui se levait.

    -Nous l’avons trouvé coincée entre les rochers, là-bas, avec ça dans la main.

    Il tendit le dé à son chef. Celui ci écarquilla les yeux en reconnaissant l'objet.

    -Il vaut mieux qu'elle ne l'apprenne jamais, fit-il d'une voix blanche.

    Il lâcha le dé et d'un brusque coup de talon il l'enfonça dans le sol meuble. Boue s’approcha, chancelante. Luciole jaillit des rangs des élèves pour la soutenir. Il n’était rien arrivé à personne, sauf à Carri et Boue. Ironiquement ils n'avaient pas eu de chance. Le chef décida de rentrer sans s’attarder d’avantage. Il laissa une partie de la troupe vérifier qu'il n'y avait pas de survivant et trouver le camp des morts. Il n'avait pas le moindre espoir sur l'état dans lequel ils allaient retrouver Fabr. Quand aux soldats il savait qu'il n'y avait pas de survivant.

     

    Dieux qu’elle avait mal à la tête ! Pourquoi fallait il que ça tombe sur elle ? Papa n’aurait jamais du la laisser partir. Elle se plaindrait à Mor. On n’avait pas le droit de la frapper comme ça.

    Elle ouvrit les yeux. Contrairement à ce qu’elle croyait, elle n’était pas dans l’auberge des trois chevaux. Des draps blancs l’entouraient et une odeur d'alcool fort et de tisane flottait dans l'atmosphère. En arrière plan une odeur de sang et de chair brulée ressortaient. Qu'est ce que c'était que cet endroit ?

    L'infirmerie. Elle était à l'infirmerie d'Ile. Elle l'avait suffisamment fréquentée pour la reconnaître. Son père était mort, Mor loin d'ici, et elle faisait partie des éclaireurs. Elle avait été blessée, avait fuit et puis... Et puis l’homme était apparu.

    Tout en noir il arriva en courant, le sourire au lèvres. Il la poussa entre les rochers où elle se cacha. Elle eut à peine le temps de songer à ce qu'il pouvait être qu'elle entendit les hurlements d'agonie. Elle frissonna de la tête aux pieds et se boucha les oreilles ferma les yeux tentant de ne pas savoir ce qu'était que tous ces bruits. Mais elle ne le savait que trop bien. Un jour elle serait au milieu de tout ça. Soudain il n'y eut plus rien. Elle sursauta quand une main lui toucha l'épaule. Elle ouvrit les yeux: l'homme lui souriait gentiment et l'incita à se lever. Elle obéit. Détournant le regard du visage étrangement calme de l'homme elle regarda la plaine. Elle eut un haut le corps et son estomac se vida sur ses chaussures: ce n'était plus une plaine verte. Elle était rouge, bosselée de membres déchiquetés. L'atmosphère avait l'odeur métallique du sang encore chaud. Déjà les corbeaux tournoyaient au dessus des cadavres. Elle détourna son regard de cet horrible spectacle, pour le poser sur son sauveur. Celui ci la regardait attentivement de ses yeux du même rouge que le sang qui venait de couler. Il guettait sa réaction.

    -M... merci, je pense, dit elle d’une voix rauque.

    L’autre éclata de rire :

    -Mais de rien ! répondit il en riant.

    Comment pouvait on être aussi joyeux après une boucherie pareille ?

    -Qui êtes vous ? demanda-t-elle.

    -Moi ? fit il amical, Bah je m’appelle Rif le Noir. Mais il y a longtemps que l'on ne me nomme plus ainsi: Je suis la Chance. Et toi ? Demanda-t-il.

    Elle resta stupéfaite. Elle connaissait la réputation de cet homme.

    -La…la Chance ? répéta-t-elle, Pourquoi ?

    Drôle de question à poser dans de telles circonstances.

    -Une ironie sur mes actes je suppose, fit il en haussant les épaules, Mais tu ne m’as pas répondu.

    -Boue, répondit elle.

    -Drôle de nom, fit il intrigué, et tu l’aimes bien ?

    Drôle de question, pensa-t-elle.

    -C'est mon nom, fit elle en haussant les épaules.

    -Tiens, continua-t-il, prend ça. Garde le, ça me ferait plaisir.

    Il lui attrapa la main et y déposa un dé en bois.

    -C’est mon insigne, dit il en lui faisant un clin d’œil, ne la montre pas à tout le monde !

    -Aucun risque, répondit elle, moitié inquiète, moitié curieuse.

    Elle ne sentait plus sa blessure, mais avait envie de dormir.

    -Retourne entre les rocher, petite femme, dit doucement la Chance.

    Elle lui obéit et dès qu’elle se fut assise, elle s’effondra. Endormie dans un sommeil réparateur.


    Quelqu’un tira le rideau. Boue ouvrit les yeux: la Chance se trouvait devant elle.

    -Qu’est ce que vous faites là ? demanda Boue un peu effrayé.

    -Eh bien je viens te refaire mon cadeau, puisque tu l'as déjà perdu.

    Il posa le dé sur le lit.

    -Je ne l'ai pas...

    Rif secoua la tête et tourna les talons. Elle guetta le bruit de ses pas, mais rien ne traversa les rideaux. Elle soupira et prit le dé qu'elle examina. Ce n'était qu'un simple dé. Un peu de terre attestait de son récent passage au sol. Elle entendit du bruit et eut à peine le temps de le dissimuler que le médecin entrait.

    -Eh bien, fit il, tu as l’air de récupérer vite ! encore un peu de repos et tu pourras retourner avec tes camarades ! Par contre tu ne pourras pas utiliser ton bras avant au moins une semaine si ce n'est plus. Tu es droitière?

    Elle hocha la tête:

    -Eh bien tu vas devoir apprendre à te débrouiller avec ta main gauche.

    Il posa une fiole sur la petite table à côté du lit, la déboucha, et en versa dans un verre.

    -Bois, ça va te faire dormir. Demain matin nous verrons comment se porte ta blessure et tu pourras peut-être sortir. Avec interdiction formelle de faire le moindre mouvement avec une arme, sur un cheval, ou la moindre chose qui pourrait ressembler à un combat.

    Boue acquiesça en haussant les épaules, et regretta immédiatement en sentant ladouleur irradier depuis son omoplate jusqu'au bout de ses doigts. Elle prit le verre que lui tendait le médecin, le but et tomba dans un sommeil mérité.

     

    Quand elle se réveilla, se fut à cause du bruit à l’extérieur. Des gens se disputaient.

    Quelqu’un tira le rideau et entra dans la chambre. C’était le médecin.

    -Ah tu es réveillée ! fit il en voyant Boue se redresser, Il fait nuit dehors, mais le chef vient de piquer une crise: tout le monde va faire des manœuvres. Toi tu restes là et tu te reposes. Je ne serais pas loin. Tu n'as pas mal au bras?

    -Non, fit elle, du moins pas encore.

    -Ne t'inquiète pas. La blessure était assez profonde mais le fait que Carri ai retiré la flèche rapidement et arrêté l'épanchement sanguin te permettra de guérir plus vite. Nous changerons ton pansement demain matin. Maintenant dors.

    Il sortit avec la lumière et Boue s'endormit aussitôt, pensant qu'elle allait devoir remercier Carri. Et ça, ça lui faisait mal.

     


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    Deux ans plus tard, en plein hiver, le chef leur annonça leur première guerre.

     

    -Mais qu'est ce que c'est que cette pluie! Ronchonna Boue en rentrant sous la tente, On n'y voit pas à trois pas!

    -Ça s'appelle l'hiver, répondit Luciole assise plus loin, tu ferais mieux d'essorer ta cape si tu ne veux pas mourir en arrosant quelqu'un.

    Effectivement les soldats présents sous la tente regardaient d'un air mauvais la flaque se formant à ses pieds et Boue décida sagement de crocher sa cape à l'entrée. Elle se laissa tomber près de la jeune femme avec un grognement de soulagement. Cela faisait trois mois qu'ils campaient devant la ville de Heiey et la bonne humeur n'était pas à son plus haut. Le combat avait plutôt bien commencé, l'armée Atlante étant largement supérieure en nombre et bien mieux préparée à une pareille situation. Mais comprenant bien vite leur faiblesse, les généraux ennemis avaient faire battre la retraite dans le seul endroit qu'ils savaient presque inexpugnable : la ville fortifiée. Une fois les portes refermées bon nombres d'Atlantes s'étaient fait massacrés sous la chute de pierre, de sable brûlant, plus occasionnellement de flèches. Un siège avait donc commencé et... ils en étaient toujours là depuis trois mois. Le temps qui était clair durant la première partie du conflit s'était rapidement dégradé et le temps était devenu pour le moins humide. L'humeur maussade de l'armée campée sous l'eau était accentuée par le fait que l'eau faisait énormément de dégâts. Elle s'infiltrait partout: dans les sacs de vêtements, dans les réserves de nourriture qui pourrissaient, dans les armures, les épées et les cottes de mailles qui rouillaient. Les maladies se répandaient de plus en plus et l'armée réputée invincible avait commencée à se disloquer, pour la plus grande joie des assiégés.

    Boue et Luciole, comme tous les éclaireurs, s'étaient vues confiés des missions de repérage, d'infiltrations... Mais devant de telles murailles leur travail devenait presque inutile. Alors elles avaient pris des tours de garde, comme tout le monde.

    Ce jour là Boue venait de finir le sien et elle et Luciole prenaient leur repas avant de repartir s'occuper quand Carri pénétra sous la tente. Avant le départ le chef l'avait nommé Lieutenant... en faisant bien comprendre à toute la troupe qu'il clouerait sur un arbre le premier à se plaindre. Curieusement, contrairement à ce qu'avait prévu Boue, Carri n'avait pas profité de sa nouvelle situation et s'était révélé être un plutôt bon chef. Il s'approcha du feu et s'assit, profitant un instant de sa chaleur. Les deux filles le regardèrent d'un air surpris. Il n'était pas du genre à supporter leur compagnie juste pour un peu de chaleur. Boue se racla la gorge :

    -Quelque chose à nous dire ? Fit-elle d'un ton neutre.

    Il tourna son regard inexpressif vers elle :

    -Les artilleurs veulent tenter une percée dans l'une des failles du côté de la petite poterne. Vous connaissez l'endroit ?

    Elles hochèrent la tête.

    -Alors rendez vous à la réserve dans cinq minutes.

    Il se leva, releva sa capuche dégoulinante et disparu.

     

    Ils rejoignirent les artificiers à l'une des extrémités du camp. Seuls Liu et Carri les avaient rejoint.

    -Pourquoi si peu de monde ? Demanda Luciole tandis qu'ils se mettaient en route, chargés de sacs étanches.

    -Si on est vu ce n'est pas le nombre qui changera grand chose, répondit Boue, Moins on est plus il reste de vivants.

    Luciole n'eut pas l'air de comprendre mais Boue haussa les épaules et se renfonça sous sa capuche pour se protéger d'une nouvelle trombe d'eau qui s'abattait sur eux.

    Ils réussirent à s'approcher de la muraille sans se faire remarquer des quelques gardes obligés de braver la pluie. Les artificiers se mirent au travail, tirant des mèches, maintenues au sec dans les vêtements, depuis les barils que les éclaireurs venaient de poser selon leurs instructions. Ils firent signe de s'éloigner et tirèrent les mèches sur plusieurs mètres. Ils battirent leurs briquets pendant plusieurs secondes tandis que les éclaireurs devenaient de plus en plus nerveux en entendant les gardes s'agiter sur la muraille. Une mèche s'enflamma soudain et se fut la débandade quand tout le monde courut se mettre à l'abri. L'armée s'était assemblée et attendait anxieusement le résultat.

    Les artilleurs finirent leur décompte. Il y eut un instant de silence. Et soudain le mur explosa. Une averse de boue et de pierre se répandit sur l'herbe dans un bruit indescriptible qui força tous les soldats à se boucher les oreilles. Un instant plus tard tout s'était arrêté. Pendant une seconde tout le monde resta immobile. Puis un cri de guerre éclata et l'armée chargea.

     

    Carri se trouvait dans la plus hautes tour de la cité et observait les allez et retours des soldats. La ville avait été facilement prise. Les soldats, stupéfaits par l'explosion, n'avaient pas eut le temps de réagir et avaient été massacré. Les civils avaient été transféré ailleurs. Seuls quelques chanceux avaient été fait prisonnier. Enfin chanceux n'était pas vraiment le terme approprié.

    La ville était belle malgré la pluie. Les maisons blanches luisaient et de son perchoir il aurait même pu apercevoir la mer, située à plus d'une centaine de kilomètres, s'il ne pleuvait pas des cordes. Il entendit soudain un bruit de chute et un juron. Il se retourna vivement, l'épée au poing, et vit Boue apparaître, chancelante. Sa manche droite était en lambeaux et il pouvait voir la plaie profonde qui lui striait le bras. Elle boitait légèrement et transpirait beaucoup. Elle jura de plus belle quand elle l'aperçut:

    -Voilà! Fit elle d'une faible voix ronchonne, je me tape six escalier pour trouver le dernier étage et je tombe sur toi! C'est vraiment pas de veine!

    Elle chancela et s'appuya contre un mur, plus pâle que la mort.

    -Je ne t'empêche pas de redescendre, fit Carri en haussant les épaules, tu seras mieux soignée en bas.

    Il se détourna pour regarder par la fenêtre, mais guettant la réaction de Boue. La jeune femme eut un vague sourire et dit d'une voix si faible qu'il l'entendit à peine:

    -Ils veulent me couper le bras.

    Et elle s'effondra. Carri se précipita et la retint pour éviter qu'elle ne dégringole dans les escaliers:

    -Tu parles d'une veine, grogna-t-il en l'asseyant contre un mur, me voilà avec cette fille sur les bras.

    -Heureusement pour moi que se n'est pas le contraire, murmura Boue en remuant, je n'aurais pas pu te porter. Tu es bien trop gros.

    -Je suis fort et tu es faible, c'est l'unique différence! Répliqua-t-il en arrachant la manche de Boue. Il s'en servit pour lui bander étroitement le bras et la souleva, la posant contre son torse. Elle gémit... et s'évanouit.

     

     

    Il faisait tout noir. Elle ne sentait plus son bras. Elle ne sentait plus grand chose d'ailleurs. Mais que s'était-il passé? Elle se rappelait être montée en haut de la tour, avoir vu... elle ne savait plus qui. C'est monstrueux les trous de mémoire que l'on peut avoir. Où était-elle tiens. Encore une énigme impossible. Des pas. Une voix grave qui parle. Bizarre, personne ne répond. Monsieur, à qui parlez vous? En tout cas, personne ne vous répond.

    -Boue.

    Ah! C'était à elle qu'il parlait, en plus elle allait devoir répondre. Elle eut un grognement, elle sentit que l'homme riait doucement.

    -Au moins tu es vivante. Allez ouvre les yeux.

    Et puis quoi encore? Il ne pouvait pas la laisser se reposer?

    Elle ouvrit les yeux. Elle se trouvait allongée dans une pièce toute en pierre. Elle entendait désormais le souffle des autres blessés. Quelqu'un l'avait amené à l'infirmerie de fortune montée dans la ville. L'homme qui l'avait réveillé avait un air familier. Elle l'avait déjà vu quelque part. Elle frissonna. Le sourire de cet homme faisait froid dans le dos.

    -La Chance, marmonna-t-elle d'une voix rauque.

    -Tout juste! Fit l'autre en riant, tu as bien grandi depuis la dernière fois, dis moi.

    Boue grogna et tenta de se redresser mais elle s'écroula sur sa couche. Trop faible. La Chance la regarda:

    -Allez un petit effort! Tu as bien réussi à te traîner jusqu'en haut de la tour, tu peux bien te redresser.

    Elle lui lança un regard noir, s'appuya sur son coude pour s'asseoir. Une fois assise, elle faillit vomir, tellement la tête lui tournait.

    -Qu'est ce que tu veux? Finit elle par murmurer d'une voix faible.

    -Moi? Demanda l'autre joyeusement, Mais rien! Je venais juste voir comment tu allais!

    -Et c'est pour ça que tu m'as réveillée, que tu m'as forcée à me lever, que je suis obligée de te tenir la conversation maintenant? Je crois que je vais me recoucher dans ce cas là.

    -Certainement pas! Fit l'homme soudain sérieux, Je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi.

    -Ben voyons! Fit elle en se rallongeant avec un soupir de soulagement, Le grand Rif le noir assassin de son état a besoin d'aide. Alors bien sur comme la petite Boue a une dette envers lui, il va la voir pour lui demander d'accomplir ce qu'il ne peut faire lui même. Bien que cette demoiselle soit blessée, avec un bras qu'elle ne sent plus, qu'elle a trop peur de regarder, qui ne peut pas s'asseoir sans vomir.

    -C'est à peu près ça oui, répondit Rif le coin de sa bouche relevé en un semblant de sourire, mais pour ton bras je suis sûr que tu vas guérir.

    -C'est pas ça qui va m'aider, grogna Boue en fermant les yeux.

    Elle sentit une douce torpeur l'envahir:

    -Eh oh! Te rendors pas! J'ai réellement besoin de toi!

    -C'est dommage pour toi, répliqua la jeune fille en ouvrant un œil, mais compte pas sur moi pour ce coup là. Je suis hors-service pour au moins deux jours.

    -Bon.

    Boue le sentit se lever et pensa qu'elle allait enfin pouvoir dormir quand elle reçu un seau d'eau sur la tête. Le choc fut si fort qu'elle poussa un petit cri en se redressant brusquement.

    -sale... commença-t-elle folle de rage en se levant.

    Mais elle chancela et Rif la rattrapa juste à temps, l'empêchant de s'écraser au sol.

    -Fais attention à ce que tu fais, fit il en la soutenant.

    Boue se dégagea avec humeur et tenta de marcher toute seule. Elle voulut lever son bras droit mais il ne répondait pas. Elle prit une grande inspiration et le regarda. Il était là à son côté, bandé. Mais il ne répondait pas. D'ailleurs elle ne le sentait pas. Elle se pinça la peau, mais c'est à peine si elle sentit ses doigts. Elle prit une grande inspiration et se tourna vers Rif qui attendait derrière elle:

    -Qu'est ce que tu attends de moi? Murmura-t-elle.

    Il lui sourit doucement :

    -Suis moi.

    Il sortit de la pièce, par un rideau, qui avait été de toute évidence placé là, après la bataille pour remplacer une porte détruite.

    Il marchait à grands pas et Boue peinait derrière lui. Il traversèrent silencieusement plusieurs rues sombres et froides. Boue trainait de plus en plus et comme elle se refusait à lui demander de ralentir au détour d'une route elle le perdit de vue.

    Elle s'arrêta et s'appuya contre mur, essoufflée. Elle leva la tête et regarda le ciel. Pour la première fois en plusieurs mois elle pouvait voir les étoiles. Milliers de points lumineux. Sa tête commença à tourner. Elle s'assit péniblement, se retenant avec son bras valide. Et soudain, la douleur éclata. D'abord dans son bras puis dans son épaule. Elle se retint de ne pas hurler. Elle se mordit la lèvre les larmes aux yeux, tâtant son bras. Elle tenta de le bouger pour trouver une position un peu moins douloureuse mais finit par le laisser reposer à terre en priant pour que la douleur s'arrête. Au bout d'un long moment elle s'estompa, pour finalement disparaître. Elle soupira de soulagement et ferma les yeux. Elle allait s'endormir quand elle entendit des bruits de pas.

    -Ah tu es là! Fit Rif en s'accroupissant près d'elle. Je m’inquiétais de ne pas te retrouver. Ça va aller ?

    Il lui tâta le bras et elle eut un petit gémissement de douleur.

    -Finalement c'était peut être mieux que tu ne sentes rien.

    -A qui la faute, franchement? Grogna-t-elle.

    Elle se leva aussi péniblement qu'elle s'était assise et fit quelques pas en chancelant. Elle trébucha et faillit s'étaler de tout son long dans la boue. Rif la rattrapa et la maintint le temps qu'elle retrouve ses esprits. Elle s'agrippa à lui de sa main valide, refusant de le lâcher.

    -Je vais rester avec toi, fit il tandis qu'ils reprenaient leur route.

    La jeune femme hocha la tête, reconnaissante. Elle ne se sentait plus du tout une âme revendicatrice.

    La Chance la mena jusqu'à un quartier qu'elle ne reconnu pas.

    -Et maintenant? Demanda Boue en fermant les yeux pour tenter d'évacuer la douleur.

    -Je voudrais que tu les fasse sortir d'ici, répondit il d'une voix calme.

    La jeune femme rouvrit brusquement les yeux. Elle se trouvait devant la prison. Dans une grande cage se tenaient trois prisonniers qui dormaient profondément. Elle faillit s'étrangler de rire, se retint juste à temps, devant le regard inquiet de l'homme vers les gardes:

    -Les... les faire sortir? Souffla-t-elle en s'efforçant de se calmer, Tu te rends compte de ce que tu me demandes? C'est de la haute trahison si je suis prise! Et puis tu ne peux pas le faire tout seul?

    -La question n'est pas de savoir si je peux le faire ou non. Ce que je demande c'est que toi tu le fasses.

    -... Pourquoi moi ?

    Il la regarda sans répondre.

    -Je ne peux pas t'aider, dit elle en s'appuyant au mur en pierre de la maison.

    -Tu peux très bien le faire et tu le sais.

    -Je ne vois pas pourquoi je risquerais ma vie pour une chose que tu ne veux pas m'expliquer.

    -Tu ne me fais pas confiance ?

    Elle lui lança un regard blessé mais ne répondit rien. Le silence s'installa.

    Boue frissonna :

    -Tu as froid ? Demanda Rif en l'entourant d'un bout de sa cape.

    -Je voudrais rentrer.

    -Très bien.

     

    -Tu n'aurais pas du te lever! Reprocha Liu, Tu te rend compte si tu t'étais évanouie? Personne n'aurait su où tu étais!

    -C'est bon! Fit Boue exaspérée, Je suis là et en bonne santé. J'avais juste envie d'un peu d'air. Et puis j'ai vu les étoiles ! Ça valait bien n'importe quel effort!

    Boue était allongée sur sa couche dans l'infirmerie et Liu lui faisait la morale depuis une demie heure. Car quand elle avait enfin réussi à rentrer, ils s'étaient croisés devant l'infirmerie, le jeune homme avait faillit avoir une attaque en la voyant debout « dans son état ! ».

    Il finit par se lever en lui recommandant de dormir un peu. Boue s'empêcha de grogner de soulagement en pensant qu'elle allait enfin pouvoir fermer les yeux.

     

    Le lendemain elle allait beaucoup mieux. Elle fut autorisée à se lever. Le médecin lui mit bras en écharpe et lui conseilla de ne pas trop forcer. Selon lui il y avait peu de chances que son bras guérisse correctement mais que si elle le ménageait suffisamment elle pourrait peut-être en récupérer un peu de mobilité. Boue cacha son désarroi en lui promettant de devenir gauchère. Elle sortit et tenta de s'occuper en allant se promener dans la ville. Sous la lumière du jour, même un peu grise les dégâts étaient bien plus visibles. L'armée Atlante ne faisait pas dans la dentelle. En marchant elle passa devant le camp de prisonnier. Elle eut un serrement de cœur et se dépêcha de dépasser leur quartier en se promettant de ne jamais y remettre les pieds. Le soir elle rejoignit le camp,où le repas était servi. Elle prit une assiette et alla s'asseoir dans un coin pour manger. Pour sa plus grande joie elle découvrit qu'elle pouvait bouger légèrement les doigts. Après avoir salué ses compagnons, elle retourna à l'infirmerie. Là le médecin eut un hochement de tête approbateur, bien que légèrement surpris, quand elle lui montra son  « exploit ». Il lui assura que finalement elle avait peut être une chance de retrouver une mobilité presque parfaite à condition qu'elle fasse très attention. Elle se coucha, joyeuse, et s'endormit aussitôt.

    Quand elle se réveilla il faisait nuit noire. Elle se redressa et regarda autour d'elle. Tous les autres blessés dormaient comme des bébés et le médecin ronflait comme un bienheureux. Elle se frotta les yeux de sa main gauche, essayant d'éclaircir sa vision, brouillée par le sommeil. Elle se leva et d'un pas un peu hésitant sortit marcher.

    Elle finit par se retrouver dans le quartier des prisonniers. Les gardes tournaient, un peu plus loin, elle s'approcha de la cage transportable qu'on utilisait pour les prisonniers dangereux et d'où venait des chuchotements. Trois hommes discutaient. Elle s'assit dans l'ombre écoutant leur conversation:

    -Bien sur que non! Fit l'un apparemment gêné, Je n'ai pas envie plus que toi de rester ici. Je dis seulement que sortir de la ville est aussi risqué que de mettre sa tête sur un billot lors d'une exécution.

    -Il suffit juste de passer une porte! Grogna un autre, Tu connais cette ville par cœur! Ne me dis pas que te ne sais pas par où passer!

    -Je sais par où passer, seulement je ne sais pas être invisible devant des gardes!

    -C'est toi qu'on appelle l'espion? Se moqua le troisième, Tu me parais bien peureux!

    -Prudent, serait le mot juste.

    -Ce ne sont que des gardes, pas des espions !

    Boue eut un sourire. Elle se leva silencieusement et s'éloigna. Elle arriva bientôt devant les gardes. Ceux ci la saluèrent et sans se faire beaucoup prier ils commencèrent à parler des prisonniers.

    -Le chef a dit de faire particulièrement attention aux trois du fond, là bas, fit l'un d'eux, ils détiennent, selon lui, de précieux renseignements. Il les interrogera demain. Les autres, toujours selon son point de vue, ne sont que de la piétaille ou des civils. Tout le gratin s'est enfuit et on ne sait toujours pas comment. Il enverra un messager au Duc, demain, pour demander un échange de prisonnier. Parce que nous aussi, on a de la piétaille là bas.

    Boue écoutait avec un sourire attentif, hochant la tête, comme pour ponctuer les paroles des deux gardes. Mais elle réfléchissait à autre chose. Elle savait depuis longtemps qu'un interrogatoire n'était pas une simple discussion. On l'avait initiée à queques unes de ces « techniques » peu de temps auparavant et elle en gardait un souvenir terrifiant. Rien que d'y penser elle frissonnait. Elle observa les deux gardes. L'un des deux portait une clef, celle de la cellule. Il n'y avait que celle là à avoir une serrure encore en état de toute façon. Elle savait qu'elle n'était pas la plus mauvaise pour le vol à la tire. Ils avaient fait des concours sur Ile. Elle se retrouva bientôt en possession de la clef qu'elle dissimula dans son écharpe. Elle s'empêcha de grogner : ce n'était pas pratique de la main gauche.

    -Bon eh bien, fit elle en se levant, je vais retourner me coucher. Bonne nuit messieurs.

    Elle s'éloigna et disparu dans l'ombre. Les deux hommes continuèrent à discuter.

     

    Boue se dissimula près de la cage. Les trois hommes discutaient toujours:

    -D'accord, fit l'espion, je veux bien admettre que c'est possible de sortir de la ville. Mais comment sortira-t-on de la cage?

    Il y eut un blanc, un soupir.

    Boue s'approcha un peu plus, assez pour distinguer le visage des trois hommes dans le clair de lune. Deux d'entre eux étaient très grands, les cheveux long, noirs noué en queue par un lacet. Le troisième était plus petit, plus mince. Si rien qu'a leur stature on pouvait deviner la profession des deux autres, celui là semblait...différent.

    Soudain il fit un signe et Boue fut happé contre la grille avec une force surhumaine. Elle sentit des doigts se refermer sur son cou. La tête commença à lui tourner. Ah non! Pas question de mourir maintenant. Elle leva ses deux bras, dégageant le droit de l'écharpe sans la moindre douleur, attrapa les doigts de l'homme. Celui ci eut un frisson d'appréhension quand il sentit ses doigts commencer à desserrer leur prise sous la main de fer de la jeune femme. Bientôt Boue fut dégagée. Elle sauta hors de portée des doigts de l'homme, se massant la gorge:

    -Eh bien, murmura-t-elle d'une voix rauque, on peut dire que vous n'y êtes pas allé de main morte!

    -C'est mon travail, répondit l'autre en se massant les doigts en tentant de rétablir la circulation dans ses doigts meurtris, mais je ne pensais pas rencontrer quelqu'un avec autant de force. Surtout avec un bras blessé.

    Boue regarda son bras et eut un sourire ravit.

    -La peur donne des ailes, répondit elle, quoique en l'occurrence je ne suis pas sur que je puisse voler.

    L'autre secoua la tête.

    -Qu'est ce que vous voulez? Demanda l'espion d'une voix froide.

    -Un peu de politesse je vous pris, répondit Boue en se massant la gorge un éclair de douleur passant sur son visage, j'ai failli me faire étrangler par l'autre gorille, alors du calme.

    L'autre gorille en question eut un petit sourire devant l'expression de l'espion.

    -Donc, reprit Boue en chuchotant, j'ai quelques informations qui pourrait vous intéresser. Primo, toutes les porte sont gardées, de jour comme de nuit. Secundo, il y a des patrouilles en ville, tertio, elles se relaient toute les quatre heures.

    -Génial, marmonna l'espion, qu'est ce que vous voulez qu'on en fasse?

    -Ce que vous voulez. Ah oui, et j'ai testé la profondeur des douves, je n'atteins pas le fond.

    Elle se redressa sous l'œil stupéfait des trois hommes et déverrouilla la porte, qu'elle entrouvrit:

    -Maintenant, faîtes ce que vous voulez, moi je vais me coucher. Bonne nuit!

    Elle disparut dans les rues sombres de la ville, sans même se rendre compte qu'elle venait de faire exactement ce qu'elle avait refusé le soir précédent.

    -C'est un piège, marmonna l'espion, il n'y a pas d'autre possibilité.

    -Si, fit le gorille, mais je ne les connais pas.

    Il poussa la porte de la grille qui s'ouvrit sans un bruit et sortit. Il jeta un coup d'œil vers les gardes qui discutaient près du feu.

    -C'est bon, chuchota-t-il.

    Les deux autres le suivirent après une hésitation. L'espion prit la tête et les mena sans encombre vers le rempart.

    En plein milieu de l'escalier qui y menait ils entendirent la voix des gardes qui approchaient. Nul coin d'ombre, ils étaient perdus.

    Soudain retentit une voix:

    -Euh excusez moi.

    Le bruit des pas s'arrêta, les trois hommes montèrent rapidement le reste des marches pour se blottir dans l'ombre du mur. Ils écoutèrent la voix qui continuait de parler en bas:

    -Je cherche à retourner à l'infirmerie, mais je crois que je me suis perdue.

    -Ah en effet, fit la grosse voix de l'un des gardes, c'est de l'autre côté.

    Il se tut un instant, les trois hommes supposèrent qu'il lui montrait la direction.

    -Eh bien merci beaucoup, fit la voix de la jeune femme, sans vous je crois que j'aurais passé le reste de la nuit dehors. Je pense que je n'aurais pas bien supporté l'humidité ambiante !

    Il y eut un rire et la marche des soldats reprit, diminua puis s'éteignit au loin. L'espion se redressa doucement et jeta un coup d'œil autour de lui. Il n'y avait personne sur le rempart et personne ne pouvait les voir d'en bas. Il regarda par dessus le mur et frissonna. Il ne pensait pas que se serait si haut. Il sentit la présence de ses deux amis près de lui, sentit également leur appréhension. Il ne fallait pas qu'ils abandonnent maintenant, si près de la liberté.

    -Allez, fit il, c'est le moment de vérité. Elle a dit la vérité, dans ce cas, nous avons toutes les chances de survie, soit elle nous a mentit, on mourra écrasé au fond. Mais je ne vois pas pourquoi elle nous aurait libéré dans ce cas...

    Il prit une grande inspiration, enjamba le parapet. Les deux autre l'imitèrent.

    -A trois, fit le gorille d'une petite voix, un... deux... trois!

    Ils sautèrent et il y eut un grand plouf. Personne ne l'entendit, ou alors personne ne comprit. On peut dire que la chance était là.

    Étourdit par le choc de l'eau l'espion sentit l'air lui manquer alors qu'il n'était pas encore remonté à la surface. Sa vue se brouilla. Non...pas maintenant...pas si près...

    Une grosse main lui attrapa le col et il sentit l'air frais de la nuit sur ses joues mouillées. Le deuxième gorille le tenait par le col, l'entraînait vers la rive, où le premier Gorille commençait à sortir de l'eau. Bientôt ils furent tous les trois sur la rive, toussant et crachant.

    -Ça va aller? Demandèrent les deux soldats à l'espion.

    -Oui, oui, murmura-t-il.

    Il se redressa en chancelant et soutenu par le deuxième ils s'éloignèrent en courant. Au dernier moment le gorille, qui fermait la marche, vit une jeune femme sur le mur qui les regardait s'éloigner. Il la vit lever la main comme un signe, puis disparaître. Drôle de fille.

     

    -Évidemment que tu as mal au bras! Tu te rends comptes? Te balader comme ça dans la nuit alors que tu es blessée! C'est n'importe quoi!

    Liu fulminait devant Boue qui le regardait exaspéré et le médecin qui avait un petit sourire moqueur.

    -Dix contre un qu'il se fait jeter dans moins d'une minute, murmura l'un des blessés qui observait la scène.

    -Je ne prend pas, répondit le médecin hilare.

    En effet, quelques secondes après:

    -C'est bon, t'as fini?

    -Non! Je ne...

    -Si tu n'as pas disparu dans dix secondes je vais te prouver

    -Tu n'y arriveras pas, fit Liu moqueur en haussant les épaules.

    -Pari tenu, fit Boue.

    Et elle commença à compter.

    -Mais dites lui vous qu'elle n'aurait pas du sortir! Fit le garçon en se tournant vers le médecin.

    L'autre haussa les épaules.

    -Quatre, trois deux, un, zéro.

    Liu ne bougea pas, les bras croisé, la défiant du regard. Boue leva les yeux au ciel.

     

     

    Carri bondit en arrière juste à temps pour ne pas prendre Liu de plein fouet. Il passa la tête à l'intérieur et vit Boue qui se tenait debout les deux poing sur les hanches.

    -Eh bien! Tu m'as l'air en forme.

    -On ne peut mieux, fit Boue avec un haussement d'épaule. Derrière elle retentirent les éclats de rire du blessé et du médecin.

    Carri secoua la tête avec une moue mi-amusée, mi-méprisante et entra dans l'infirmerie:

    -Le chef voulait savoir si tu étais assez en forme pour repartir.

    Elle tourna son regard vers le médecin qui hocha la tête.

    -Très bien, fit Carri avec une lueur féroce dans le regard, On part dans une heure, porte Ouest.

    -J'y serais.

    -j'y compte bien.

     


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